Выбрать главу

— Voilà, disait Bouzille, c’est comme ça qu’on s’goure aussi, des fois… M’sieur Juve, moi, n’est-ce pas, j’croyais que j’avais découvert une piste intéressante, mais je m’suis fichu le doigt dans l’œil. Ça sera pour une autre fois, hein !

Bouzille toussait pour se donner de l’importance, il ajoutait :

— Car aujourd’hui, m’sieu Juve, y a pas, faut que j’vous quitte, il est cinq heures du matin, et dame, à six heures juste, j’dois être à la morgue pour boire un verre avec le garçon qui m’présentera au chef du personnel.

Bouzille quittait immédiatement Juve, qui lui souhaitait naturellement toutes les félicités du monde dans sa nouvelle carrière, et trottinait, fort joyeux, dans la direction de la morgue.

Bouzille, en arrivant devant le lugubre établissement, fut étonné de voir les portes ouvertes.

— Tiens, pensa-t-il, ça, c’est curieux. Justement on m’avait dit que ça n’ouvrait pas avant six heures du matin. Y m’a donc fichu d’dans, l’copain ?

Maugréant, car Bouzille prévoyait que s’il devenait fonctionnaire, il lui faudrait chaque jour se lever de fort bonne heure, ce qui n’était point dans ses goûts, Bouzille entrait dans le bâtiment et se dirigeait vers la courette intérieure.

— Hé ! Jules ! appelait-il.

Jules, l’un des garçons de la morgue, ami de Bouzille, accourut.

— Alors, quoi ? demandait le chemineau. Comment qu’ça se fait que les portes sont débouclées ? C’est pas l’heure, pourtant…

Mais Bouzille n’avait point fini de parler que le garçon se précipitait sur lui, lui fermant la bouche d’autorité.

— Chut, disait-il, fais pas de remarques ! Tais-toi donc, bon Dieu ! Ah ! c’est pas l’instant de gueuler…

Bouzille ouvrit de grands yeux, hocha la tête, puis interrogea :

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Le garçon haussa les épaules d’un air désespéré.

— Ce qu’il y a ? Dame, je n’sais pas… Des sales blagues, bien sûr… des choses pas ordinaires.

— Quoi, enfin ? demanda Bouzille.

Jules confessa tout d’un trait :

— Eh bien, voilà : il y a des morts qui se promènent, qui changent de table, et qui vous éternuent au nez !… Tu comprends que c’est pas ordinaire…

— Oui, j’comprends, fit Bouzille.

Mais Bouzille, assurément, mentait.

Que s’était-il donc passé, et d’où provenait l’émotion de Jules ?

Elle était à vrai dire assez naturelle, et pouvait s’expliquer parfaitement.

Jules, le garçon de la morgue, avait reçu la veille au soir de Juve des instructions formelles.

Juve, en effet, qui se passionnait à ce moment relativement à l’enquête qu’il faisait sur le personnage de Daniel, ce sosie de Fandor qu’il avait retrouvé dans le train, avait dit au garçon :

— J’entends, n’est-ce pas, que ce cadavre soit très soigneusement conservé. Vous allez donc le mettre dans le frigorifique, et prêter toute votre attention à ce que la température, dans l’appareil, soit parfaitement réglée.

— Oui, m’sieur Juve, avait dit le garçon, qui s’était en effet empressé de soigner le mort, comme il le disait, puisque c’était un mort recommandé !

Jules avait couché le cadavre dans l’appareil frigorifique, et le policier une fois parti, comme c’était l’heure de la fermeture, avait, lui aussi, quitté la morgue.

De bonne heure, le lendemain matin, à quatre heures et demie, Jules était arrivé au lugubre bâtiment. Il ne prenait pas sitôt d’ordinaire son service, mais précisément il avait remarqué, la veille au soir, que le frigorifique fonctionnait mal. Jules tenait donc à avoir le temps d’effectuer une petite réparation à l’appareil avant l’arrivée des personnalités qui travaillaient au cours de médecine légale.

Or, Jules, en pénétrant dans la cour de la morgue, avait tout naturellement aperçu la niche du frigorifique ouverte, la niche précisément dans laquelle, la veille au soir, il avait enfermé le cadavre de Daniel, cadavre que lui avait recommandé Juve, et que Fantômas, au cours de la nuit, avait été voler.

Jules, alors, s’était désespéré.

— Ah ! bon Dieu de bon Dieu ! s’était dit le pauvre employé de la morgue, c’est toujours comme ça que les malheurs arrivent ! Qu’est-ce qui a bien pu se passer, et comment diable que c’mort a pu disparaître ?

Il n’était pas coutume, en effet, que les tristes pensionnaires de la morgue quittent l’établissement qui les loge. Jules s’effarait donc à bon droit. Il s’effraya d’autant plus que sa situation eût été évidemment compromise par l’étrange disparition du mort, et qu’en réalité il lui apparaissait qu’il n’avait commis aucune imprudence.

Rien ne servait pourtant de se lamenter. Après s’être désespéré pendant une heure, Jules allait commencer son travail, et se préparait à mettre en ordre le bureau d’un professeur qui était particulièrement exigeant.

Or, comme Jules, quelques instants plus tard, traversait à nouveau la courette, toujours préoccupé, marchant tête basse, il poussait un grand cri et se rejetait en arrière…

— Seigneur mon Dieu ! gémissait-il, voilà que j’deviens fou… C’est mon mort, c’est mon mort !… et c’est mon mort qui éternue.

Jules, à ce moment, comme un fou en effet, s’enfuyait de la courette, en poussant de véritables clameurs, grimpait quatre à quatre, sans même savoir où il allait, jusqu’au grenier de la morgue.

Quelle était la cause de son épouvante ? En vérité, elle était assez effroyable.

Dans la courette, en effet, Jules venait d’apercevoir, brusquement, en revenant, étendu par terre, fort loin du frigorifique, le propre cadavre de Daniel, le cadavre qu’il avait vainement cherché quelques instants plus tôt, le cadavre qui n’était plus là !

Jules avait eu d’autant plus peur qu’il avait nettement entendu ce cadavre éternuer…

Il y avait là un phénomène effroyable, ahurissant, et Jules en était si saisi qu’il demeurait blotti dans le grenier, n’osant bouger, pendant plus de dix longues minutes.

À la fin cependant, Jules s’enhardissait : il redescendait dans la cour, et, prêt à la fuite, jetait un coup d’œil furtif dans la courette.

— Bon Dieu ! j’verrai bien si j’me suis trompé ! pensait-il ; j’ai été halluciné…

Jules, au même moment, poussait un soupir de soulagement. L’explication qu’il inventait à sa vision devait être la bonne en effet, car désormais Jules ne distinguait plus rien du tout.

— Bon Dieu, qu’c’est bête ! songea le garçon… C’que c’est que d’être préoccupé, tout de même ! J’ai cru voir, mais j’n’ai rien vu !

Il n’y avait en effet, dans la cour, aucun cadavre, certainement Jules devait avoir raison en parlant d’hallucination.

À demi rassuré cependant, le garçon de l’amphithéâtre voulait alors tirer complètement au clair son étrange aventure. Il entreprenait donc de fouiller la morgue, décidé à regarder partout pour bien se persuader si le cadavre de Daniel, ce cadavre qu’il avait cru disparu et qu’il avait revu ensuite, n’avait pas été en réalité tout simplement déplacé par un collègue ignorant les instructions de Juve.

Jules commença tout naturellement par gagner la salle d’exposition, désireux d’inspecter les morts qui se trouvaient étendus là et que le public, dans un instant, allait être admis à contempler dans l’intérêt de la justice.

Or, Jules ne faisait pas trois pas dans la salle d’exposition qu’il poussait encore un grand cri, et, cloué par la stupeur, demeurait immobile, tremblant de tous ses membres.

Il était à nouveau en présence du mort ; il voyait à nouveau l’extraordinaire cadavre, et, cette fois, il le voyait étendu sur l’une des civières, la tête tournée vers la direction de la grande vitre qui sépare le public des cadavres exposés !

Jules, immobile, haletant, contempla le mort fort longuement. Puis il retrouvait un peu de sang-froid, il songeait :

— Bon Dieu, que j’suis donc bête !… Sûrement, c’est un collègue qui l’a ramassé dans la cour et qui l’a apporté ici…