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Cette fois-ci, il lança à Eddie un jeu de clés de voiture, en guise de balle de base-ball.

— Je te confie la boîte automatique. Au cas où tu serais vraiment rouillé. La camionnette a un levier de vitesse. Tu me suis, et en cas de pépin, tu appuies sur le klaxon.

— Je le ferai, vous pouvez me croire.

Tandis qu’ils quittaient la maison derrière Cullum, Roland demanda :

— C’était encore Susannah ? C’est pour ça que tu es devenu livide ?

Eddie hocha la tête.

— Nous l’aiderons, si nous le pouvons. Mais c’est sans doute le seul moyen d’arriver jusqu’à elle.

Eddie le savait. Il savait aussi que, le temps qu’ils la rejoignent, il serait peut-être trop tard.

SOLISTE :

Commala-ka-cata Te voilà entre les mains du destin. Que tu sois réel ou pas Le temps n’attendra pas demain.

CHŒUR :

Commala-sept-huit ! Le temps n’attendra pas demain ! Que ton ombre soit courte ou longue, pfuit ! Te voilà entre les mains du destin.

NEUVIÈME COUPLET

EDDIE TIENT SA LANGUE

UN

Le Père Callahan avait rendu une brève visite au bureau de poste d’East Stoneham presque deux semaines avant la fusillade à la boutique de Chip McAvoy, et c’est là que le prêtre de la paroisse de Jerusalem’s Lot avait griffonné son petit mot à la hâte.

Tower…

Je suis un ami du type qui vous a tiré d’affaire, avec Andolini, Où que vous soyez, il faut que vous en partiez immédiatement. Trouvez une grange, un refuge abandonné, ou même un cabanon s’il le faut. Vous n’y serez pas bien installé, mais rappelez-vous que c’est ça ou être mort. Et je pèse mes mots ! Laissez des lumières allumées là où vous vous trouvez actuellement et ne déplacez pas votre voiture, qu’elle reste au garage ou dans l’allée. Laissez un mot avec des indications sur le lieu où vous êtes, sous le tapis de sol de votre voiture, côté conducteur ou sous la marche du porche, à l’arrière de la maison. Nous vous contacterons. Rappelez-vous que nous sommes les seuls à pouvoir vous soulager du fardeau que vous portez. Mais si vous voulez notre aide, il vous faut nous aider aussi.

Callahan, de la lignée d’Eld.

Et que ce soit votre DERNIER passage par la poste. Comment peut-on être aussi stupide ???

Callahan avait risqué sa vie pour déposer ce mot, et Eddie, sous l’emprise maléfique de la Treizième Noire, avait bien failli perdre la sienne. Et quel était le profit net de ces risques et de ces tentatives ? Eh bien, Calvin Tower était allé gambader joyeusement dans la campagne du Maine, à la recherche de livres rares ou épuisés.

Tout en suivant John Cullum sur la Route 5, avec Roland assis silencieusement à ses côtés, puis en tournant dans Dimity Road, Eddie sentit que, nerveusement, il n’était pas loin de la zone de danger.

Il va falloir que je me mette les mains dans les poches et que je tienne ma langue, se dit-il. Mais dans ce cas précis, il n’était même pas certain que les bonnes vieilles recettes fonctionneraient.

DEUX

Environ trois kilomètres après avoir quitté la Route 5, la Ford F-150 de Cullum prit un virage à droite, dans Dimity Road, indiqué par deux panneaux accrochés sur un poteau rouillé. Celui du haut disait : ROCKET RD[9] ; l’autre, plus rouillé encore, faisait miroiter des CABANES BORD LAC, LOCATION WE, MOIS OU SAISON. Rocket Road était à peine plus qu’un petit sentier serpentant entre les arbres et Eddie colla au train de Cullum, pour éviter le panache de poussière que laissait derrière lui le vieux camion de leur nouvel ami. La « cartomobile » était également un modèle Ford, une trois-portes anonyme qu’Eddie n’aurait su nommer sans vérifier l’inscription chromée à l’arrière ou le manuel du conducteur. Mais conduire de nouveau lui procurait un plaisir presque mystique, avec non pas un seul cheval sous les fesses, mais plusieurs centaines prêts à bondir au moindre frémissement de son pied droit. C’était agréable aussi d’entendre le brouhaha des sirènes s’évanouir au fur et à mesure.

L’ombre des frondaisons les engloutissait. Le parfum des pins et de la sève était à la fois doux et vif.

— Charmante région, fit remarquer le Pistolero. On rêverait de venir s’y installer.

Ce fut son seul commentaire.

Le camion de Cullum croisa des allées numérotées. Sous chaque numéro apparaissait une petite légende, LOCATIONS JAFFORDS. Eddie songea à signaler à Roland qu’ils avaient connu un Jaffords à La Calla, qu’ils l’avaient même très bien connu, mais il se ravisa. C’était enfoncer une porte ouverte.

Ils dépassèrent les numéros 15, 16 et 17. Cullum marqua un temps d’arrêt devant le 18 puis, après réflexion, passa la main par la vitre de son camion et leur fit signe de continuer. Eddie avait déjà enclenché la vitesse, sachant pertinemment que ce n’était pas le numéro 18 qui les intéressait.

Cullum s’engagea dans l’allée suivante. Eddie le suivit, et les pneus de la berline firent chuchoter l’épais tapis d’aiguilles de pin. Des éclats bleus se mirent à apparaître entre les arbres, mais quand ils atteignirent le bungalow numéro 19 avec sa vue sur le lac, Eddie constata qu’il s’agissait d’un vrai plan d’eau, contrairement à l’Étang de Keywadin. Probablement pas plus grand qu’un terrain de football. La cabane elle-même ne devait pas avoir plus de deux pièces. Elle comprenait aussi une véranda couverte qui donnait sur l’étang, avec deux rocking-chairs fatigués mais à l’air confortable. Un tuyau en zinc sortait du toit. Il n’y avait ni garage ni voiture garée devant la cabane, même si Eddie croyait deviner où elle était passée. Mais avec le tapis d’aiguilles de pin, c’était difficile à dire.

Cullum coupa le moteur du camion. Eddie l’imita. On n’entendait plus à présent que le clapotis de l’eau sur les rochers, le soupir de la brise à travers les pins, et le gazouillis léger des oiseaux. En tournant la tête vers la droite, Eddie vit le Pistolero assis, ses longs doigts de génie croisés paisiblement sur ses genoux.

— Ça te paraît comment ? demanda Eddie.

— Calme — à la mode de La Calla : Côlme.

— Il y a quelqu’un ?

— Je dirais que oui.

— Du danger ?

— Oui-là. Juste à côté de moi.

Eddie le fixa en fronçant les sourcils.

— Toi, Eddie. Tu veux le tuer, pas vrai ?

Au bout d’un moment, Eddie dut bien admettre qu’il disait vrai. Cette partie de sa nature, à découvert, dans sa simplicité et sa sauvagerie, le mettait parfois mal à l’aise, mais il ne pouvait la renier. Et après tout, qui l’avait réveillée et aiguisée à ce point ?

Roland hocha la tête.

— Un jour, après des années d’errance dans le désert, solitaire comme tout ermite digne de ce nom, j’ai vu entrer dans ma vie un jeune homme pleurnicheur et égoïste, dont l’unique ambition était de continuer à consommer une drogue qui le faisait renifler et somnoler toute la journée. Une sorte de rustre prétentieux, fort en gueule, qui n’avait pas grand-chose pour lui…

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9

Littéralement : « Route de la Fusée ». (N.d.T.)