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Le silence est l’ami d’un prince,l’avait une fois entendu dire à sa fille le capitaine. Les mots sont comme des flèches, Arianne. Une fois qu’on les a lâchés, c’est en vain qu’on chercherait à les rattraper.

« J’ai écrit à lord Tywin pour…

— Ecrit ? Si vous étiez seulement la moitié de l’homme que mon père était…

— Je ne suis pas ton père.

— Ça, je savais. » Le ton marquait un souverain mépris.

« Tu voudrais me faire partir en guerre.

— Pas si folle. Vous n’avez même pas besoin d’abandonner votre chaise longue. Permettez-moi seulement de venger mon père moi-même. Vous avez une armée dans le Pas-du-Prince. Lord Ferboys en a une autre aux Osseux. Accordez-moi la première, et la seconde à Nym. Laissez-lui emprunter la route Royale pendant que, de mon côté, j’expulserai de leurs châteaux les seigneurs des Marches puis ferai un crochet pour me porter contre Villevieille.

— Et tu fondes sur quoi ton espoir de tenir Villevieille ?

— Il suffira de la mettre à sac. L’opulence de Hightower…

— C’est de l’or que tu veux ?

— C’est du sang que je veux.

— Lord Tywin va nous faire apporter la tête de la Montagne.

— Et qui nous apportera la tête de lord Tywin ? La Montagne a toujours été son toutou, vous le savez pertinemment. »

Le prince fit un geste en direction des bassins. « Regarde les gosses, Obara, s’il te plaît.

— Il ne me plaît pas. Je prendrais infiniment plus de plaisir à planter ma pique dans la bedaine de lord Tywin. Je lui ferai chanter Les pluies de Castamere tout en lui arrachant les tripes et en y farfouillant pour voir s’il s’y trouve de l’or.

— Regarde, répéta le prince. Je te l’ordonne. »

Quelques-uns des gamins les plus âgés reposaient à plat ventre sur le dallage lisse de marbre rose et bronzaient au soleil. D’autres pataugeaient dans la mer, au-delà. Trois s’affairaient à construire un château de sable que sa pointe gigantesque faisait ressembler à la tour Lance du Palais Vieux. Une vingtaine, pour le moins, s’étaient rassemblés dans le vaste étang pour assister aux batailles que se livraient les plus petits, montés sur les épaules des plus grands, dans les endroits où l’eau ne vous montait que jusqu’à la ceinture, en cherchant à se désarçonner mutuellement. Chaque fois qu’un cheval et son cavalier s’affalaient, leur plouf retentissant suscitait une explosion de rires et de rugissements. Une fillette à cheveux châtains réussit sous leurs yeux l’exploit de décrocher des épaules de son frère un garçonnet filasse et de l’expédier boire sa tasse tête la première.

« Ton père a joué jadis à ce même jeu, tout comme je l’avais fait moi-même avant lui, commenta le prince. Vu qu’il y avait dix ans d’écart entre nous, je ne fréquentais déjà plus les bassins lorsqu’il atteignit l’âge de s’y amuser, mais je me plaisais à le regarder faire quand je venais ici rendre visite à Mère. Il était tellement coriace, même tout jeunot. Preste comme un serpent d’eau. Je l’ai vu, et plutôt deux fois qu’une, renverser des garçons beaucoup plus forts que lui. Il m’a rafraîchi la mémoire à ce sujet, le jour où il s’est mis en route pour Port-Réal. Il m’a juré ses grands dieux qu’il le ferait encore, ce coup-ci, sans quoi je ne l’aurais jamais laissé partir.

— Laissé partir ? » Obara s’esclaffa. « Vous auriez été capable de l’en empêcher, peut-être ? La Vipère Rouge de Dorne allait toujours où ça lui chantait.

— En effet. Que n’ai-je un mot de réconfort à…

— Je ne suis pas venue vous demander du réconfort. » Sa voix n’exprimait que dédain. « Le jour où mon père se présenta pour faire valoir ses droits sur moi, ma mère souhaitait tout sauf me voir m’en aller. "Ce n’est qu’une fille, dit-elle, et je ne pense pas qu’elle soit de vous. Des hommes, j’en ai eu mille autres." Il jeta sa pique à mes pieds puis gifla ma mère en pleine figure d’un revers de main si brutal qu’elle se mit à pleurer. "Fille ou garçon, nous livrons tous nos propres batailles, ajouta-t-il, mais les dieux nous laissent le choix de nos armes." Il pointa l’index vers sa pique puis vers les larmes de ma mère, et je ramassai la pique. "Je t’avais bien dit qu’elle était de moi", lui dit-il, et il m’emmena. Ma mère mit moins d’un an à mourir à force de se soûler. On raconte qu’elle est morte en larmes. » Obara se rapprocha du fauteuil du prince. « Laissez-moi me servir de la pique, je ne demande rien de plus.

— C’est demander beaucoup, Obara. J’y réfléchirai pendant mon sommeil.

— Votre sommeil a déjà duré trop longtemps.

— Il se pourrait que tu n’aies pas tort. Je te ferai parvenir un mot à Lancehélion.

— Pourvu que ce mot soit guerre. » Obara pivota sur ses talons et, d’une allure aussi furibonde qu’à son arrivée, s’en fut droit aux écuries réclamer une monture fraîche avant de reprendre la route cette fois encore au triple galop.

Mestre Caleotte la laissa filer. « Mon prince ? s’enquit-il. Est-ce que vos jambes vous font mal ? »

Doran esquissa un maigre sourire. « Est-ce que le soleil est brûlant ?

— Si j’allais vous chercher une potion contre la douleur ?

— Non. J’ai besoin de tous mes esprits. »

Le petit homme rondouillard hésita. « Mon prince, est-il… Est-il bien prudent de permettre à lady Obara de regagner Lancehélion ? Elle est certaine d’enflammer les gens du commun. Ils aimaient beaucoup votre frère.

— Comme nous tous. » Il pressa ses doigts sur ses tempes. « Non. Vous avez raison. Je dois absolument retourner moi-même à Lancehélion. »

Nouvelle hésitation du mestre. « Est-ce bien sage ?

— Pas du tout sage, mais indispensable. Mieux vaut expédier une estafette à Ricasso pour le mettre en demeure de rouvrir mes appartements dans la tour du Soleil. Avertissez ma fille Arianne que j’arriverai là-bas dès demain. »

Ma petite princesse. Le capitaine avait cruellement souffert d’être séparé d’elle.

« Vous allez être vu », prévint le mestre.

Hotah le comprit à demi-mot. Deux ans plus tôt, lorsqu’ils avaient quitté Lancehélion pour la solitude paisible des Jardins Aquatiques, la gravité de la goutte qui affligeait le prince Doran était bien moindre. A cette époque-là, il marchait encore, quoique lentement, appuyé sur une canne et grimaçant à chacun de ses pas. Il ne tenait pas à ce que ses ennemis sachent à quel point s’était aggravée sa faiblesse, et le Palais Vieux comme sa ville ombreuse pullulaient d’espions. Les espions, songea le capitaine, et ces maudits escaliers qu’il ne peut pas gravir. Il lui faudrait des ailes pour aller résider au sommet de la tour du Soleil.

« Je dois être vu. Il est nécessaire que les trublions trouvent à qui parler. Il est nécessaire de rappeler à Dorne qu’elle possède encore un prince. » Il eut un sourire las. « Si vieux et goutteux soit-il.

— Si vous rentrez à Lancehélion, vous ne pourrez vous dispenser d’accorder une audience à la princesse Myrcella, reprit Caleotte. Son chevalier blanc ne manquera pas de se trouver à ses côtés. Et vous savez qu’il envoie des lettres à la reine.

— Je le présume. »

Le chevalier blanc. Le capitaine fronça les sourcils. Ser Arys était venu à Dorne veiller sur sa propre princesse, tout comme l’avait fait jadis pour la sienne Areo Hotah. Même leurs deux noms sonnaient bizarrement de manière analogue. Arys et Areo. Là s’arrêtait pourtant l’analogie. Le capitaine avait quitté pour jamais Norvos et ses prêtres à barbe, alors que ser Arys du Rouvre, lui, continuait à servir le Trône de Fer. Ce n’était pas sans éprouver une certaine tristesse qu’Hotah l’avait vu dans son long manteau neigeux, toutes les fois où il était allé à Lancehélion sur ordre du prince. Un jour, pressentait-il, les mettrait aux prises tous deux ; et Arys du Rouvre périrait, ce jour-là, le crâne fracassé d’un coup de hallebarde. Tout en laissant glisser sa main le long de la hampe de frêne lisse de celle-ci, le capitaine se demanda si ce fameux jour n’était pas en train de se rapprocher.