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Le prince n’était pas prêt à partir de sitôt. Il avait décidé de déjeuner auparavant d’une orange sanguine et d’une assiettée d’œufs de mouette durs découpés en cubes et mêlés de morceaux de jambon et de piments de feu. Après quoi, plus rien ne le retiendrait, si ce n’est qu’il devait encore faire ses adieux à plusieurs des enfants qui s’étaient particulièrement attiré sa prédilection, tels le petit Dalt et la couvée de lady Noirmont, ainsi que la jeune orpheline à museau poupin dont le père passait sa vie à descendre et à remonter la Sang-vert pour vendre épices et tissus. Soucieux de leur épargner la vue de son œdème et de ses pansements, Doran ne cessa de dissimuler ses jambes sous une splendide couverture de Myr pendant qu’il s’entretenait avec eux.

Au bout du compte, le cortège ne s’ébranla qu’à midi sonné ; le prince dans sa litière, mestre Caleotte monté sur un âne, tout le reste à pied. Cinq piques marchaient en tête, cinq sur les arrières, et cinq sur chacun des flancs de la litière. Areo Hotah s’adjugea quant à lui sa place familière à la gauche de Doran Martell pour effectuer le trajet, sa hallebarde sur une épaule. La route menant des Jardins Aquatiques à Lancehélion longeant constamment la mer, on y bénéficiait d’une brise fraîche qui rendait moins accablante la traversée de ce paysage ocre rouge parsemé de rochers, de sable et d’arbres tordus, rabougris.

C’est à mi-chemin que leur tomba dessus le deuxième Aspic des Sables.

Elle fit subitement son apparition au sommet d’une dune, montée sur un destrier des sables à la robe dorée dont la crinière avait la blancheur et la finesse de la soie. Même à cheval, cette lady Nym avait une allure gracieuse, elle n’était que chatoiements de robes lilas, et son immense cape de soie crème et cuivre qui s’animait au moindre souffle donnait à tout instant l’impression qu’elle allait prendre son envol. Agée de vingt-cinq ans, Nyméria Sand avait la minceur d’un saule. Coiffés en une longue natte nouée par un fil d’or rouge, ses cheveux raides et noirs qui, tout comme ceux de son défunt père, formaient un V sur son front, rehaussaient ses prunelles sombres. Avec ses pommettes hautes, ses lèvres charnues, son teint de lait, elle avait toute la beauté qui faisait défaut à sa sœur aînée. Mais la mère d’Obara n’avait jamais été qu’une vulgaire pute de Villevieille, alors que le sang le plus noble de l’antique Volantis coulait dans les veines de celle de Nym. Une douzaine de piques à cheval dont le soleil faisait miroiter les boucliers ronds lui servaient de suite et dévalèrent la dune sur ses talons.

Le prince avait accroché les tentures de sa litière afin de mieux jouir de la brise marine. Lady Nym vint se porter auprès de lui tout en bridant sa ravissante jument dorée pour lui faire adopter l’allure du véhicule. « Quelle heureuse rencontre, Oncle ! se récria-t-elle d’une voix mélodieuse, comme si c’était le plus pur hasard qui l’avait précisément conduite à cet endroit-là. Puis-je me permettre de chevaucher à vos côtés jusqu’à Lancehélion ? » Le capitaine avait beau se tenir sur le bord opposé de la litière, il entendait distinctement chacun des mots que prononçait l’intruse.

« J’en serais enchanté », répliqua le prince Doran, d’un ton qu’Hotah trouva tout sauf enchanté. « Goutte et chagrin font de bien piètres compagnons de route. » Ce qui revenait à dire en clair, le capitaine le savait, que chaque cahot sur chaque caillou du chemin lancinait ses maudites articulations.

« Contre la goutte, je ne puis rien, fit-elle, mais le chagrin, mon père n’en avait que faire. La vengeance était davantage à son goût. Est-il vrai que Gregor Clegane ait admis avoir tué Elia et ses enfants ?

— Il a si fort rugi sa culpabilité que la Cour tout entière l’a entendu, concéda le prince. Lord Tywin nous a promis sa tête.

— Et un Lannister paie toujours ses dettes, conclut lady Nym, mais il me semble que lord Tywin se propose de nous payer avec notre propre monnaie. J’ai reçu un oiseau de notre adorable ser Daemon, qui jure que mon père a chatouillé ce monstre à plus d’une reprise au cours de leur affrontement. Dans ce cas, ser Gregor vaut son pesant d’homme déjà mort, et pas un seul liard de remerciements à Tywin Lannister. »

Le prince grimaça. S’il fallait en attribuer la faute aux douleurs de goutte ou aux assertions de sa nièce, le capitaine n’aurait su dire. « C’est peut-être bien le cas.

— Peut-être ? Moi, je dis : c’est.

— Obara voudrait me voir partir en guerre. »

Nym éclata de rire. « Oui, elle meurt d’envie d’incendier Villevieille. Elle met autant d’ardeur à exécrer cette ville que notre petite sœur à l’adorer.

— Et toi ? »

Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule vers ses compagnons, derrière. Une douzaine de longueurs les séparait d’elle. « Je couchais avec les jumeaux Poulet quand le billet m’est parvenu, l’entendit dire le capitaine. Vous connaissez la devise des Poulet ? Laissez-moi prendre mon essor ! Voilà tout ce que je vous demande. Laissez-moi prendre mon essor, Oncle. Je n’ai pas besoin d’une armée puissante, simplement d’une sœur chérie.

— Obara ?

— Tyerne. Obara fait trop de boucan. Tyerne est si délicieuse et gentille que personne au monde ne la soupçonnera. Obara voudrait faire de Villevieille le bûcher funéraire de notre père, mais je ne suis pas si goulue. Je me contenterai de quatre existences. Les jumeaux d’or de lord Tywin, à titre de paiement pour les enfants d’Elia. Le vieux lion, pour Elia elle-même. Enfin, pour mon propre père et pour solde de tout compte, le petit roi.

— Le gamin ne nous a jamais causé de tort.

— Le gamin n’est qu’un bâtard issu de la félonie, de l’inceste et de l’adultère, si l’on peut en croire lord Stannis. » Les inflexions de sa voix s’étaient si subitement dépouillées de tout enjouement que le capitaine se retrouva en train de la lorgner les yeux plissés. Sa sœur Obara affichait son fouet sur sa hanche et brandissait une pique que n’importe qui pouvait voir. Lady Nym n’était pas moins mortelle, mais elle gardait ses poignards soigneusement dissimulés. « Il n’y a que du sang royal qui soit susceptible de laver définitivement l’assassinat de mon père.

— Oberyn est mort au cours d’un combat singulier livré pour une affaire qui ne nous concernait nullement. Je n’appelle pas cela un assassinat.

— Appelez-le comme il vous plaira. Nous leur avons dépêché l’homme le plus éminent de Dorne, et c’est un sac d’ossements qu’ils nous réexpédient.

— Il a outrepassé toutes les missions que je lui avais assignées. "Prends la mesure de ce bout de roi et de son Conseil, et dresse un état de leurs forces et de leurs faiblesses, lui dis-je, sur la terrasse. Trouve-nous des amis, s’il est possible d’en trouver. Fais tout ton possible pour te procurer des renseignements sur la fin d’Elia, mais veille à ne pas provoquer lord Tywin à tort et à travers", tels furent les propos que je lui tins exactement. Il se mit à rire et me répliqua : "M’est-il jamais arrivé de provoquer quiconque… à tort et à travers ? Tu ferais mieux de mettre en garde les Lannister contre toute provocation à mon propre endroit." Il brûlait d’obtenir justice en faveur d’Elia, mais il se refusait à patienter, tandis que…