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Creb demeura auprès d’Iza. Il n’était pas tenu de se conformer aux règles régissant le rang et le statut de chacun ; il pouvait marcher aux côtés de qui bon lui semblait, et même du chef, s’il le désirait. Mog-ur se situait au-dessus de la stricte hiérarchie du clan.

Brun les conduisit loin au-delà du territoire des lions des cavernes avant de faire halte et d’examiner le terrain. De l’autre côté de la rivière, la prairie s’étendait à perte de vue en ondoyant doucement. Seuls quelques arbres aux silhouettes tourmentées par les vents constants donnaient une échelle au paysage en soulignant sa nudité.

A l’horizon, un nuage de poussière révélait la présence d’un important troupeau de bêtes à cornes, et Brun regretta amèrement de ne pouvoir lancer ses chasseurs à leur poursuite. Derrière lui, seules les crêtes des grands conifères se détachaient dans le ciel au-delà des arbustes et des buissons forestiers venus s’échouer au bord de l’immense steppe.

De ce côté-ci de la rivière, la prairie se terminait brusquement, barrée par la falaise qui à quelque distance de là obliquait, s’éloignant du cours d’eau. La paroi abrupte ceignait comme un ruban de pierre les contreforts des hautes montagnes qui dressaient au loin leurs pics enneigés. Ils luisaient de reflets pourpres et violets. Le paysage était si beau, si majestueux que même Brun, homme à l’esprit pratique, fut ému.

Il se détourna de la rivière et, suivi du clan, prit la direction de la falaise, où ils avaient une chance de trouver une caverne. Ils avaient besoin d’un abri et, bien plus important encore, d’une demeure pour les esprits de leurs totems, si toutefois ils n’avaient pas déjà déserté le clan. Les esprits étaient en colère, comme le prouvait le tremblement de terre, et leur mécontentement était tel qu’il avait entraîné la mort de six personnes et la destruction de leur caverne. Si les esprits ne retrouvaient pas de lieu stable, ils abandonneraient le clan à la merci des esprits malins qui envoient les maladies et font fuir le gibier. Personne ne connaissait les raisons de leur colère, pas même Mog-ur, en dépit des rites nocturnes auxquels il se livrait pour apaiser leur courroux et l’angoisse du clan. Chacun était inquiet, et Brun tout particulièrement.

Il sentait monter la tension qui pesait sur le clan dont il avait la responsabilité. Les esprits, forces obscures aux désirs impénétrables, le déconcertaient profondément, et il préférait de loin le monde plus matériel de la chasse. Aucune des cavernes qu’ils avaient visitées jusqu’ici ne pouvait convenir : il y manquait chaque fois une condition essentielle et Brun commençait à désespérer. Ils gaspillaient de précieuses journées ensoleillées à chercher un refuge au lieu de les consacrer à amasser les provisions nécessaires pour l’hiver. D’ici peu, Brun se verrait obligé d’abriter son clan dans une caverne inappropriée et d’attendre l’année suivante pour reprendre les recherches. Néanmoins, il espérait ardemment que lui serait épargnée cette pénible épreuve.

Ils longeaient toujours la falaise lorsque la nuit tomba. En arrivant à la hauteur d’une petite cascade, dont les eaux irisées par la lumière rasante des derniers rayons du soleil dévalaient la paroi rocheuse, Brun ordonna une halte. Les femmes ne furent pas fâchées de déposer enfin leurs fardeaux et elles partirent ramasser du bois.

Iza étala sa fourrure par terre et, après y avoir étendu l’enfant, se hâta d’aider les autres femmes. L’état de la fillette la préoccupait. Sa respiration était faible, et ses plaintes mêmes se faisaient de plus en plus rares. Iza se demandait comment soulager la petite fille. Elle avait examiné les herbes séchées que contenait sa sacoche de loutre et, tout en ramassant du bois mort, elle inspectait les plantes alentour. A ses yeux, tout ce qui poussait avait un intérêt, curatif ou nutritif, et il était peu de plantes qu’elle ne sût identifier.

La découverte d’iris prêts à fleurir dont les longues tiges se dressaient au bord du ruisseau résolut l’un de ses problèmes et elle s’empressa de les cueillir. Les feuilles de houblon qui s’enroulaient autour d’un arbre retinrent également son attention, mais elle préférait utiliser la poudre sèche de houblon qu’elle possédait déjà, les petits fruits coniques n’étant pas encore mûrs. Elle détacha d’un aulne la tendre écorce grise dont elle huma le fort arôme en hochant la tête et, avant de rejoindre les autres, elle arracha plusieurs poignées de feuilles de trèfle.

Une fois le bois amassé et le foyer préparé, Grod, l’homme qui marchait aux côtés de Brun, sortit d’une corne d’aurochs un charbon ardent enveloppé de mousse. Le clan savait faire naître le feu mais en voyage il était plus sûr de conserver une braise du feu précédent pour allumer le prochain.

Grod avait anxieusement entretenu le brandon rougeoyant tout au long de la marche. Nuit après nuit, le feu avait été allumé à partir d’une braise conservée d’un feu antérieur, et l’on pouvait ainsi remonter jusqu’au foyer qui brûlait à l’entrée de l’ancienne caverne. Pour qu’une grotte soit, selon les rites, considérée comme un lieu de résidence acceptable, le clan devait y allumer un feu à l’aide d’une braise dont il pouvait suivre la trace jusqu’à sa précédente demeure.

L’entretien du feu ne pouvait être confié qu’à un homme de rang élevé. Si le brandon venait à s’éteindre, il faudrait y voir le signe que les esprits protecteurs avaient déserté le clan, et Grod, second par le rang, se trouverait ravalé au dernier échelon du clan, une déchéance qu’il redoutait par-dessus tout. Sa tâche représentait un grand honneur en même temps qu’une écrasante responsabilité.

Pendant que Grod disposait soigneusement la braise sur un lit de brindilles sèches et qu’il animait la flamme, les femmes vaquaient à diverses occupations. Selon des techniques ancestrales, elles dépecèrent rapidement le gibier. Quelques instants plus tard, le feu flambait clair, et la viande embrochée sur des piques de bois vert grillait. Saisie par l’intense chaleur, elle conservait son jus. Le clan s’en régalerait jusqu’à la dernière bouchée.

Les femmes grattèrent et coupèrent les racines et les tubercules avec les mêmes instruments tranchants dont elles se servaient pour dépecer et découper le gibier. Elles remplirent d’eau les paniers étanches tressés serré et les bols en bois, puis y déposèrent des pierres brûlantes. Dès que les pierres refroidissaient, elles les remettaient dans le feu et en prenaient d’autres qu’elles plongeaient dans l’eau jusqu’à ce qu’elle bouille et que les légumes soient cuits. Les gros vers de souches étaient légèrement grillés et les petits lézards rôtis dans leur peau jusqu’à ce que celle-ci noircisse et craquelle, exposant une chair goûteuse et cuite à point.

Tout en les aidant à la préparation du repas, Iza s’occupait de ses propres potions. Elle mit l’eau à chauffer dans un bol en bois qu’elle avait taillé dans une vieille souche de nombreuses années auparavant. Quand elle eut lavé les rhizomes d’iris, elle les réduisit en pâte en les mâchant et les recracha dans l’eau bouillante. Dans un autre bol, confectionné avec la mâchoire inférieure d’un grand daim, elle pila les feuilles de trèfle, y ajouta quelques pincées de houblon en poudre, des bouts d’écorce d’aulne, et versa de l’eau chaude sur le tout. Elle écrasa ensuite de la viande séchée entre deux pierres avant de la malaxer dans un troisième bol avec l’eau de cuisson des légumes.

La femme qui marchait dans la file derrière Iza lui jetait de temps à autre un regard, espérant quelque commentaire. Tout le clan brûlait de curiosité. Chacun avait trouvé quelque prétexte pour approcher de la fourrure de la guérisseuse depuis l’installation du camp. Les spéculations allaient bon train, et tous de se demander pourquoi l’enfant se trouvait là et, surtout, pourquoi Brun avait accepté une créature qui, de toute évidence, venait de chez les Autres.