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Bossange prit alors la parole pour défendre le commerce incriminé dans sa personne et celle de son associé.

Mais il ne fut pas éloquent.

Beausire lui fit clore la bouche avec ce seul mot:

– Vous avez trouvé un enchérisseur?

Les joailliers, qui n’étaient pas extrêmement forts en politique, et qui avaient de la diplomatie en général et des diplomates portugais en particulier une idée excessivement haute, rougirent, se croyant pénétrés.

Beausire vit qu’il avait frappé juste; et comme il lui importait de finir cette affaire, dans laquelle il sentait toute une fortune, il feignit de consulter en portugais son ambassadeur.

– Messieurs, dit-il alors aux joailliers, on vous a offert un bénéfice; rien de plus naturel; cela prouve que les diamants sont d’un beau prix. Eh bien! Sa Majesté portugaise ne veut pas d’un bon marché qui nuirait à des négociants honnêtes. Faut-il vous offrir cinquante mille livres?

Bœhmer fit un signe négatif.

– Cent mille, cent cinquante mille livres, continua Beausire, décidé, sans se compromettre, à offrir un million de plus pour gagner sa part des quinze cent mille livres.

Les joailliers, éblouis, demeurèrent un moment gênés; puis, s’étant consultés:

– Non, monsieur le secrétaire, dirent-ils à Beausire, ne prenez pas la peine de nous tenter; le marché est fini, une volonté plus puissante que la nôtre nous contraint de vendre le collier dans ce pays. Vous comprenez sans doute; excusez-nous, ce n’est pas nous qui refusons, ne nous en veuillez donc point; c’est de quelqu’un plus grand que nous, plus grand que vous, que naît l’opposition.

Beausire et Manoël ne trouvèrent rien à répondre. Bien au contraire, ils firent une sorte de compliment aux joailliers et tâchèrent de se montrer indifférents.

Ils s’y appliquèrent si activement, qu’ils ne virent pas dans l’antichambre monsieur le commandeur, valet de chambre, occupé à écouter aux portes, pour savoir comment se traitait l’affaire dont on voulait l’exclure.

Ce digne associé fut maladroit cependant, car en s’inclinant sur la porte, il glissa et tomba dans le panneau qui résonna.

Beausire s’élança vers l’antichambre et trouva le malheureux tout effaré.

– Que fais-tu ici, malheureux? s’écria Beausire.

– Monsieur, répondit le commandeur, j’apportais le courrier de ce matin.

– Bien! fit Beausire; allez.

Et, prenant ces dépêches, il renvoya le commandeur.

Ces dépêches étaient toute la correspondance de la chancellerie: lettres de Portugal ou d’Espagne, fort insignifiantes pour la plupart, qui faisaient le travail quotidien de monsieur Ducorneau, mais qui, passant toujours par les mains de Beausire ou de don Manoël avant d’aller à la chancellerie, avaient déjà fourni aux deux chefs d’utiles renseignements sur les affaires de l’ambassade.

Au mot dépêches que les joailliers entendirent, ils se levèrent soulagés, comme des gens qui viennent de recevoir leur congé, après une audience embarrassante.

On les laissa partir, et le valet de chambre reçut l’ordre de les accompagner jusque dans la cour.

À peine eût-il quitté l’escalier que don Manoël et Beausire, s’envoyant de ces regards qui entament vite une action, se rapprochèrent.

– Eh bien! dit don Manoël, l’affaire est manquée.

– Net, dit Beausire.

– Sur cent mille livres, vol médiocre, nous avons chacun 8 400 livres.

– Ce n’est pas la peine, répliqua Beausire.

– N’est-ce pas? Tandis que là, dans la caisse…

Il montrait la caisse si vivement convoitée par le commandeur.

– Là, dans la caisse, il y a cent huit mille livres.

– Cinquante-quatre mille chacun.

– Eh bien! c’est dit, répliqua don Manoël. Partageons.

– Soit, mais le commandeur ne va plus nous quitter à présent qu’il sait l’affaire manquée.

– Je vais chercher un moyen, dit don Manoël d’un air singulier.

– Et moi j’en ai trouvé un, dit Beausire.

– Lequel?

– Le voici. Le commandeur va rentrer?

– Oui.

– Il va demander sa part et celle des associés?

– Oui.

– Nous allons avoir toute la maison sur les bras?

– Oui.

– Appelons le commandeur comme pour lui conter un secret, et laissez-moi faire.

– Il me semble que je devine, dit don Manoël; allez au-devant de lui.

– J’allais vous dire d’y aller vous-même.

Ni l’un ni l’autre ne voulait laisser son ami seul avec la caisse. C’est un rare bijou que la confiance.

Don Manoël répondit que sa qualité d’ambassadeur l’empêchait de faire cette démarche.

– Vous n’êtes pas un ambassadeur pour lui, dit Beausire; enfin n’importe.

– Vous y allez?

– Non; je l’appelle par la fenêtre.

En effet, Beausire héla par la fenêtre monsieur le commandeur, qui déjà se préparait à entamer une conversation avec le suisse.

Le commandeur, se voyant appeler, monta.

Il trouva les deux chefs dans la chambre voisine de celle où était la caisse.

Beausire, s’adressant à lui d’un air souriant:

– Gageons, dit-il, que je sais ce que vous disiez au suisse.

– Moi?

– Oui: vous lui contiez que l’affaire avec Bœhmer avait manqué.

– Ma foi! non.

– Vous mentez.

– Je vous jure que non!

– À la bonne heure; car si vous aviez parlé, vous auriez fait une bien grande sottise et perdu une bien belle somme d’argent.

– Comment cela? s’écria le commandeur surpris; quelle somme d’argent?

– Vous n’êtes pas sans comprendre qu’à nous trois seuls nous savons le secret.

– C’est vrai.

– Et qu’à nous trois, par conséquent, nous avons les cent huit mille livres, puisque tous croient que Bœhmer et Bossange ont emporté la somme.

– Morbleu! s’écria le commandeur saisi de joie, c’est vrai.

– Trente-trois mille trois cent trente-trois livres six sols chacun, dit Manoël.

– Plus! plus! s’écria le commandeur; il y a une fraction de huit mille livres.

– C’est vrai, dit Beausire; vous acceptez?

– Si j’accepte! fit le valet de chambre en se frottant les mains, je le crois bien. À la bonne heure, voilà parler.

– Voilà parler comme un coquin! dit Beausire d’une voix tonnante; quand je vous disais que vous n’étiez qu’un fripon. Allons, don Manoël, vous qui êtes robuste, saisissez-moi ce drôle, et livrons-le pour ce qu’il est à nos associés.

– Grâce! grâce! cria le malheureux, j’ai voulu plaisanter.

– Allons! allons! continua Beausire, dans la chambre noire jusqu’à plus ample justice.

– Grâce! cria encore le commandeur.

– Prenez garde, dit Beausire à don Manoël, qui serrait le perfide commandeur; prenez garde que monsieur Ducorneau n’entende!

– Si vous ne me lâchez pas, dit le commandeur, je vous dénoncerai tous!

– Et moi, je t’étranglerai! dit don Manoël d’une voix pleine de colère en poussant le valet de chambre vers un cabinet de toilette voisin.

– Renvoyez monsieur Ducorneau, fit-il à l’oreille de Beausire.

Celui-ci ne se le fit pas répéter. Il passa rapidement dans la chambre contiguë à celle de l’ambassadeur, tandis que ce dernier enfermait le commandeur dans la sourde épaisseur de ce cachot.

Une minute se passa, Beausire ne revenait pas.

Don Manoël eut une idée; il se sentait seul, la caisse était à dix pas; pour l’ouvrir, pour y prendre les cent huit mille livres en billets, pour s’élancer par une fenêtre et déguerpir à travers le jardin avec la proie, tout voleur bien organisé n’avait besoin que de deux minutes.

Don Manoël calcula que Beausire, pour le renvoi de Ducorneau et son retour à la chambre, perdrait cinq minutes au moins.

Il s’élança vers la porte de la chambre où était la caisse. Cette porte se trouva fermée au verrou. Don Manoël était robuste, adroit; il eût ouvert la porte d’une ville avec une clef de montre.