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Sur ce Madame… il s’arrêta.

C’était une interrogation.

– Mme la comtesse de La Motte Valois, répliqua nonchalamment Jeanne.

On vit alors sur ce titre bien sonnant M. Fingret dissoudre ses ongles, mettre sa clef dans sa poche et se rapprocher.

– Oh! dit-il, il n’y a rien ici de ce qui convient à Madame. J’ai du neuf, j’ai du beau, j’ai du magnifique. Il ne faudrait pas que Madame la comtesse se figurât, parce qu’elle est à la place Royale, que la maison Fingret n’a pas d’aussi beaux meubles que le tapissier du roi. Laissez tout cela, madame, s’il vous plaît, et voyons dans l’autre magasin.

Jeanne rougit.

Tout ce qu’elle avait vu là lui paraissait fort beau, si beau qu’elle n’espérait pas pouvoir l’acquérir.

Flattée sans aucun doute d’être si favorablement jugée par M. Fingret, elle ne pouvait s’empêcher de craindre qu’il ne la jugeât trop bien.

Elle maudit son orgueil, et regretta de ne s’être pas annoncée simple bourgeoise.

Mais de tout mauvais vice un esprit habile se tire avec avantage.

– Pas de neuf, monsieur, dit-elle, je n’en veux pas.

– Madame a sans doute quelques appartements d’amis à meubler.

– Vous l’avez dit, monsieur, un appartement d’ami. Or, vous comprenez que pour un appartement d’ami…

– À merveille. Que Madame choisisse, répliqua Fingret, rusé comme un marchand de Paris, lequel ne met pas d’amour-propre à vendre du neuf plutôt que du vieux, s’il peut gagner autant sur l’un que sur l’autre.

– Ce petit meuble bouton d’or, par exemple, demanda la comtesse.

– Oh! mais c’est peu de chose, madame, il n’y a que dix pièces.

– La chambre est médiocre, repartit la comtesse.

– Il est tout neuf, comme peut le voir Madame.

– Neuf… pour de l’occasion.

– Sans doute, fit M. Fingret en riant; mais, enfin, tel qu’il est, il vaut huit cents livres.

Ce prix fit tressaillir la comtesse; comment avouer que l’héritière des Valois se contentait d’un meuble d’occasion, mais ne pouvait le payer huit cents livres?

Elle prit le parti de la mauvaise humeur.

– Mais, s’écria-t-elle, on ne vous parle pas d’acheter, monsieur. Où prenez vous que j’aille acheter ces vieilleries? Il ne s’agit que de louer, et encore…

Fingret fit la grimace, car, insensiblement, la pratique perdait de sa valeur. Ce n’était plus un meuble neuf, ni même un meuble d’occasion à vendre, mais une location.

– Vous désireriez tout ce meuble bouton d’or, dit-il; est-ce pour un an?

– Non, c’est pour un mois. J’ai un provincial à meubler.

– Ce sera cent livres par mois, dit maître Fingret.

– Vous plaisantez, je suppose, monsieur; car à ce compte, au bout de huit mois, mon meuble serait à moi.

– D’accord, madame la comtesse.

– Eh bien! alors?

– Eh bien! alors, madame, s’il était à vous, il ne serait plus à moi et, par conséquent, je n’aurais pas à m’occuper de le faire restaurer, rafraîchir: toutes choses qui coûtent.

Mme de La Motte réfléchit.

«Cent livres pour un mois, se dit-elle, c’est beaucoup; mais il faut raisonner: ou ce sera trop cher dans un mois et alors je rends les meubles en laissant une grande opinion au tapissier, ou dans un mois je puis commander un meuble neuf. Je comptais employer cinq à six cents livres; faisons les choses en grand, dépensons cent écus.»

– Je garde, dit-elle tout haut, ce meuble bouton d’or pour un salon, avec tous les rideaux pareils.

– Oui, madame.

– Et les tapis?

– Les voici.

– Que me donnerez-vous pour une autre chambre?

– Ces banquettes vertes, ce corps d’armoire en chêne, cette table à pieds tordus, des rideaux verts en damas.

– Bien; et pour une chambre à coucher?

– Un lit large et beau, un coucher excellent, une courtepointe de velours brodée rose et argent, rideaux bleus, garniture de cheminée un peu gothique, mais d’une riche dorure.

– Toilette?

– Dont les dentelles sont de Malines. Regardez-les, madame. Commode d’une marqueterie délicate, chiffonnier pareil, sofa de tapisserie, chaises pareilles, feu élégant, qui vient de la chambre à coucher de Mme de Pompadour, à Choisy.

– Tout cela pour quel prix?

– Un mois?

– Oui.

– Quatre cents livres.

– Voyons, monsieur Fingret, ne me prenez pas pour une grisette, je vous prie. On n’éblouit pas les gens de ma qualité avec des drapeaux. Voulez-vous réfléchir, s’il vous plaît, que quatre cents livres par mois valent quatre mille huit cents livres par an, et que, pour ce prix, j’aurais un hôtel tout meublé.

Maître Fingret se gratta l’oreille.

– Vous me dégoûtez de la place Royale, continua la comtesse.

– J’en serais au désespoir, madame.

– Prouvez-le. Je ne veux donner que cent écus de tout ce mobilier.

Jeanne prononça ces derniers mots avec une telle autorité que le marchand songea de nouveau à l’avenir.

– Soit, dit-il, madame.

– Et à une condition, maître Fingret.

– Laquelle, madame?

– C’est que tout sera posé, arrangé, dans l’appartement que je vous indiquerai, d’ici à trois heures de l’après-midi.

– Il est dix heures, madame; réfléchissez-y, dix heures sonnent.

– Est-ce oui ou non?

– Où faut-il aller, madame?

– Rue Saint-Claude, au Marais.

– À deux pas?

– Précisément.

Le tapissier ouvrit la porte de la cour et se mit à crier:

– Sylvain! Landry! Rémy!

Trois des apprentis accoururent, enchantés d’avoir un prétexte pour interrompre leur ouvrage, un prétexte pour voir la belle dame.

– Les civières, messieurs, les chariots à bras! Rémy, vous allez charger le meuble bouton d’or. Sylvain, l’antichambre dans le chariot, tandis que vous, qui êtes soigneux, vous aurez la chambre à coucher. Relevons la note, madame, et, s’il vous plaît, je signerai le reçu.

– Voici six doubles louis, dit la comtesse, plus un louis simple, rendez-moi.

– Voici deux écus de six livres, madame.

– Desquels je donnerai l’un à ces messieurs, si la besogne est bien faite, répondit la comtesse.

Et, ayant donné son adresse, elle regagna la brouette.

Une heure après, le logement du troisième était loué par elle, et deux heures ne s’étaient pas écoulées que, déjà, le salon, l’antichambre et la chambre à coucher se meublaient et se tapissaient simultanément.

L’écu de six livres fut gagné par MM. Landry, Rémy et Sylvain, à dix minutes près.

Le logement ainsi transformé, les vitres nettoyées, les cheminées garnies de feu, Jeanne se mit à sa toilette et savoura le bonheur deux heures, le bonheur de fouler un bon tapis, autour de soi, la répercussion d’une atmosphère chaude sur des murailles ouatées, et de respirer le parfum de quelques giroflées qui baignaient avec joie leur tige dans des vases du Japon, leur tête dans la tiède vapeur de l’appartement.

Maître Fingret n’avait pas oublié les bras dorés qui portent les bougies; aux deux côtés des glaces, les lustres à girandoles de verre, qui, sous le feu des cires, s’irisent de toutes les nuances de l’arc-en-ciel.

Feu, fleurs, cires, roses parfumées, Jeanne employa tout à l’embellissement du paradis qu’elle destinait à Son Excellence.

Elle donna même ses soins à ce que la porte de la chambre à coucher, coquettement entrouverte, laissât voir un beau feu doux et rouge, aux reflets duquel reluisaient les pieds des fauteuils, le bois du lit et les chenets de Mme de Pompadour, têtes de chimères sur lesquelles avait posé le pied charmant de la marquise.

Cette coquetterie de Jeanne ne se bornait pas là.

Si le feu relevait l’intérieur de cette chambre mystérieuse, si les parfums décelaient la femme, la femme décelait une race, une beauté, un esprit, un goût dignes d’une éminence.