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C’est au milieu de cette foule répandue en plaintes, en ironie, en admiration et surtout en murmures, que Mme la comtesse de La Motte passa droite et ferme, un masque sur la figure, et ne laissant d’autres traces de son passage que cette phrase répétée sur son chemin: «Ah! celle-ci ne doit pas être bien malade.»

Mais qu’on ne s’y trompe point, cette phrase n’impliquait point absence de commentaires.

Car si Mme de La Motte n’était point malade, que venait-elle faire chez Mesmer?

Si la foule eût, comme nous, été au courant des événements que nous venons de raconter, elle eût trouvé que rien n’était plus simple que cette vérité.

En effet, Mme de La Motte avait beaucoup réfléchi à son entretien avec M. le cardinal de Rohan, et surtout à l’attention toute particulière dont le cardinal avait honoré cette boîte au portrait, oubliée ou plutôt perdue chez elle.

Et comme dans le nom de la propriétaire de cette boîte à portrait gisait toute la révélation de la soudaine gracieuseté du cardinal, Mme de La Motte avait avisé à deux moyens de savoir ce nom.

D’abord elle avait eu recours au plus simple.

Elle était allée à Versailles pour s’informer du bureau de charité des dames allemandes.

Là, comme on le pense bien, elle n’avait recueilli aucun renseignement.

Les dames allemandes qui habitaient Versailles étaient en grand nombre, à cause de la sympathie ouverte que la reine éprouvait pour ses compatriotes; on en comptait cent cinquante ou deux cents.

Seulement toutes étaient fort charitables, mais aucune n’avait eu l’idée de mettre une enseigne sur le bureau de charité.

Jeanne avait donc demandé inutilement des renseignements sur les deux dames qui étaient venues la visiter; elle avait dit inutilement que l’une d’elles s’appelait Andrée. On ne connaissait dans Versailles aucune dame allemande portant ce nom, du reste assez peu allemand.

Les recherches n’avaient donc, de ce côté, amené aucun résultat.

Demander directement à M. de Rohan le nom qu’il soupçonnait, c’était d’abord lui laisser voir qu’on avait des idées sur lui; c’était ensuite se retirer le plaisir et le mérite d’une découverte faite malgré tout le monde et en dehors de toutes les possibilités.

Or, puisqu’il y avait eu mystère dans la démarche de ces dames chez Jeanne, mystère dans les étonnements et les réticences de M. de Rohan, c’est avec mystère qu’il fallait arriver à savoir le mot de tant d’énigmes.

Il y avait d’ailleurs un attrait puissant dans le caractère de Jeanne pour cette lutte avec l’inconnu.

Elle avait entendu dire qu’à Paris, depuis quelque temps, un homme, un illuminé, un faiseur de miracles avait trouvé le moyen d’expulser du corps humain les maladies et les douleurs, comme autrefois le Christ chassait les démons du corps des possédés.

Elle savait que non seulement cet homme guérissait les maux physiques, mais qu’il arrachait de l’âme le secret douloureux qui la minait. On avait vu, sous sa conjuration toute-puissante, la volonté tenace de ses clients s’amollir et se transformer en une docilité d’esclave.

Ainsi, dans le sommeil qui succédait aux douleurs, après que le savant médecin avait calmé l’organisation la plus irritée en la plongeant dans un oubli complet, l’âme charmée du repos qu’elle devait à l’enchanteur se mettait à l’entière disposition de ce nouveau maître. Il en dirigeait dès lors toutes les opérations; il en dirigeait dès lors tous les fils; aussi chaque pensée de cette âme reconnaissante lui apparaissait transmise par un langage qui avait sur le langage humain l’avantage ou le désavantage de ne jamais mentir.

Bien plus, sortant du corps qui lui servait de prison au premier ordre de celui qui momentanément la dominait, cette âme courait le monde, se mêlait aux autres âmes, les sondait sans relâche, les fouillait impitoyablement, et faisait si bien que, comme le chien de chasse qui fait sortir le gibier du buisson dans lequel il se cache, s’y croyant en sûreté, elle finissait par faire sortir ce secret du cœur où il était enseveli, le poursuivait, le joignait, et finissait par le rapporter aux pieds du maître. Image assez fidèle du faucon ou de l’épervier bien dressé, qui va chercher sous les nuages, pour le compte du fauconnier son maître, le héron, la perdrix ou l’alouette désignés à sa féroce servilité.

De là, révélation d’une quantité de secrets merveilleux.

Mme de Duras avait retrouvé de la sorte un enfant volé en nourrice; Mme de Chantoné un chien anglais, gros comme le poing, pour lequel elle eût donné tous les enfants de la terre; et M. de Vaudreuil une boucle de cheveux pour laquelle il eût donné la moitié de sa fortune.

Ces aveux avaient été faits par des voyants ou des voyantes, à la suite des opérations magnétiques du docteur Mesmer.

Aussi pouvait-on venir choisir, dans la maison de l’illustre docteur, les secrets les plus propres à exercer cette faculté de divination surnaturelle; et Mme de La Motte comptait bien, en assistant à une séance, rencontrer ce phénix de ses curieuses recherches, et découvrir, par son moyen, la propriétaire de la boîte qui faisait pour le moment l’objet de ses plus ardentes préoccupations.

Voilà pourquoi elle se rendait en si grande hâte dans la salle où les malades se réunissaient.

Cette salle, nous en demandons pardon à nos lecteurs, va demander une description toute particulière.

Nous l’aborderons franchement.

L’appartement se divisait en deux salles principales.

Lorsqu’on avait traversé les antichambres et exhibé les passeports nécessaires aux huissiers de service, on était admis dans un salon dont les fenêtres, hermétiquement fermées, interceptaient le jour et l’air dans le jour, le bruit et l’air pendant la nuit.

Au milieu du salon, sous un lustre dont les bougies ne donnaient qu’une clarté affaiblie et presque mourante, on remarquait une vaste cuve fermée par un couvercle.

Cette cuve n’avait rien d’élégant dans la forme. Elle n’était pas ornée; nulle draperie ne dissimulait la nudité de ses flancs de métal.

C’était cette cuve que l’on appelait le baquet de Mesmer.

Quelle vertu renfermait ce baquet? Rien de plus simple à expliquer.

Il était presque entièrement rempli d’eau chargée de principes sulfureux, laquelle eau concentrait ses miasmes sous le couvercle pour en saturer à leur tour les bouteilles rangées méthodiquement au fond du baquet dans des positions inverses.

Il y avait ainsi croisement des courants mystérieux à l’influence desquels les malades devaient leur guérison.

Au couvercle était soudé un anneau de fer soutenant une longue corde, dont nous allons connaître la destination en jetant un coup d’œil sur les malades.

Ceux-ci, que nous avons vus entrer tout à l’heure dans l’hôtel, se tenaient, pâles et languissants, assis sur des fauteuils rangés autour de la cuve.

Hommes et femmes entremêlés, indifférents, sérieux ou inquiets, attendaient le résultat de l’épreuve.

Un valet, prenant le bout de cette longue corde, attachée au couvercle du baquet, la roulait en anneau autour des membres malades, de telle sorte que tous, liés par la même chaîne, perçussent en même temps les effets de l’électricité contenue dans le baquet.

Puis, afin de n’interrompre aucunement l’action des fluides animaux transmis et modifiés à chaque nature, les malades avaient soin, sur la recommandation du docteur, de se toucher l’un l’autre, soit du coude, soit de l’épaule, soit des pieds, en sorte que le baquet sauveur envoyait simultanément à tous les corps sa chaleur et sa régénération puissantes.

Certes, c’était un curieux spectacle que celui de cette cérémonie médicale, et l’on ne s’étonnera pas qu’il excitât la curiosité parisienne à un si haut degré.

Vingt ou trente malades rangés autour de cette cuve; un valet muet comme les assistants et les enlaçant d’une corde comme Laocoon et ses fils, des replis de leurs serpents; puis cet homme lui-même se retirant d’un pas furtif, après avoir désigné aux malades les tringles de fer qui, s’emboîtant à certains trous de la cuve, devaient servir de conducteurs plus immédiatement locaux à l’action salutaire du fluide mesmérien.