Выбрать главу

Il remarqua dans cette délicate beauté des traits fins et voluptueux, la grâce noble de ce sommeil abandonné; puis, revenant sur ses pas:

«Décidément, dit-il, la ressemblance est effrayante. Dieu, qui l’a faite, avait ses desseins; il a condamné d’avance celle de là-bas, à qui celle-ci ressemble.»

Au moment où il achevait de formuler cette pensée menaçante, la jeune femme se souleva lentement du milieu des coussins, et, s’aidant du bras d’un voisin réveillé déjà de l’extase, elle s’occupa de remettre un peu d’ordre dans sa toilette fort compromise.

Elle rougit un peu de voir l’attention que les assistants lui donnaient, répondit avec une politesse coquette aux questions graves et avenantes à la fois de Mesmer; puis, étirant ses bras ronds et ses jolies jambes comme une chatte qui sort du sommeil, elle traversa les trois salons, récoltant, sans en perdre un seul, tous les regards, soit railleurs, soit convoiteurs, soit effarés, que lui envoyaient les assistants.

Mais ce qui la surprit au point de la faire sourire, c’est qu’en passant devant un groupe chuchotant dans un coin du salon, elle essuya, au lieu d’œillades mutines et de propos galants, une bordée de révérences si respectueuses que nul courtisan français n’en eût trouvé de plus guindées et de plus sévères pour saluer sa reine.

Et réellement ce groupe stupéfait et révérencieux avait été composé à la hâte par cet inconnu infatigable qui, caché derrière eux, leur disait à demi voix:

– N’importe, messieurs, n’importe, ce n’est pas moins la reine de France; saluons, saluons bas.

La petite personne, objet de tant de respect, franchit avec une sorte d’inquiétude le dernier vestibule et arriva dans la cour.

Là ses yeux fatigués cherchèrent un fiacre ou une chaise à porteurs: elle ne trouva ni l’un ni l’autre; seulement, au bout d’une minute d’indécision à peu près, lorsqu’elle posait déjà son pied mignon sur le pavé, un grand laquais s’approcha d’elle.

– La voiture de madame! dit-il.

– Mais, répliqua la jeune femme, je n’ai pas de voiture.

– Madame est venue dans un fiacre?

– Oui.

– De la rue Dauphine?

– Oui.

– Je vais ramener madame chez elle.

– Soit, ramenez-moi, dit la petite personne d’un air fort délibéré, sans avoir conservé plus d’une minute l’espèce d’inquiétude que l’imprévu de cette position eût causée à toute autre femme.

Le laquais fit un signe auquel répondit aussitôt un carrosse de bonne apparence, qui vint recevoir la dame au péristyle.

Le laquais releva le marchepied, cria au cocher:

– Rue Dauphine!

Les chevaux partirent avec rapidité; arrivés au Pont-Neuf, la petite dame, qui goûtait fort cette façon d’aller, comme dit La Fontaine, regrettait de ne pas loger au Jardin des Plantes.

La voiture s’arrêta. Le marchepied s’abaissa; déjà le laquais bien appris tendait la main pour recevoir le passe-partout à l’aide duquel rentraient chez eux les habitants des trente mille maisons de Paris qui n’étaient pas des hôtels et qui n’avaient ni concierge ni suisse.

Ce laquais ouvrit donc la porte pour ménager les doigts de la petite dame; puis, au moment où celle-ci pénétrait dans l’allée sombre, il salua et referma la porte.

Le carrosse se remit à rouler et disparut.

– En vérité! s’écria la jeune femme, voilà une agréable aventure. C’est bien galant de la part de M. de Mesmer. Oh! que je suis fatiguée. Il aura prévu cela. C’est un bien grand médecin.

En disant ces mots, elle était arrivée au deuxième étage de la maison, sur un palier commandé par deux portes.

Aussitôt qu’elle eut frappé, une vieille lui ouvrit.

– Oh! bonsoir, mère; le souper est-il prêt?

– Oui, et même il refroidit.

– Est-il là, lui?

– Non, pas encore; mais le monsieur y est.

– Quel monsieur?

– Celui auquel vous avez besoin de parler ce soir.

– Moi!

– Oui, vous.

Ce colloque avait lieu dans une espèce de petite antichambre vitrée, qui séparait le palier d’une grande chambre donnant sur la rue.

Au travers du vitrage, on voyait distinctement la lampe qui éclairait cette chambre, dont l’aspect était, sinon satisfaisant, du moins supportable.

De vieux rideaux, d’une soie jaune, que le temps avait veinés et blanchis par places, quelques chaises de velours d’Utrecht vert à côtes, et un grand chiffonnier à douze tiroirs, en marqueterie, un vieux sofa jaune, telles étaient les magnificences de l’appartement.

Elle ne reconnut pas cet homme, mais nos lecteurs le reconnaîtront bien; c’était celui qui avait ameuté les curieux sur le passage de la prétendue reine, l’homme aux cinquante louis donnés pour le pamphlet.

Un cartel meublait la cheminée, flanqué de deux potiches bleu-Japon visiblement fêlées.

La jeune femme ouvrit brusquement la porte vitrée et vint jusqu’au sofa, sur lequel elle vit assis fort tranquillement un homme d’une bonne mine, gras plutôt que maigre, qui jouait d’une fort belle main blanche avec un très riche jabot de dentelle.

La jeune femme n’eut pas le temps de commencer l’entretien.

Ce singulier personnage fit une espèce de salut, moitié mouvement, moitié inclination, et attachant sur son hôtesse un regard brillant et plein de bienveillance:

– Je sais, dit-il, ce que vous allez me demander; mais je vous répondrai mieux en vous questionnant moi-même. Vous êtes Mlle Oliva?

– Oui, monsieur.

– Charmante femme très nerveuse et très éprise du système de M. Mesmer.

– J’arrive de chez lui.

– Fort bien! cela ne vous explique pas, à ce que me disent vos beaux yeux, pourquoi vous me trouvez sur votre sofa, et voilà ce que vous désirez plus particulièrement connaître?

– Vous avez deviné juste, monsieur.

– Voulez-vous me faire la grâce de vous asseoir; si vous restiez debout, je serais forcé de me lever aussi; alors nous ne causerions plus commodément.

– Vous pouvez vous flatter d’avoir des manières fort extraordinaires, répliqua la jeune femme que nous appellerons désormais Mlle Oliva, puisqu’elle daignait répondre à ce nom.

– Mademoiselle, je vous ai vue tout à l’heure chez M. Mesmer; je vous ai trouvée telle que je vous souhaitais.

– Monsieur!

– Oh! ne vous alarmez pas, mademoiselle; je ne vous dis pas que je vous ai trouvée charmante; non, cela vous ferait l’effet d’une déclaration d’amour, et telle n’est pas mon intention. Ne vous reculez pas, je vous prie, vous allez me forcer de crier comme un sourd.

– Que voulez-vous, alors? fit naïvement Oliva.

– Je sais, continua l’inconnu, que vous êtes habituée à vous entendre dire que vous êtes belle; moi, je le pense; d’ailleurs, j’ai autre chose à vous proposer.

– Monsieur, en vérité, vous me parlez sur un ton…

– Ne vous effarouchez donc pas avant de m’avoir entendu… Est-ce qu’il y a quelqu’un de caché, ici?

– Personne n’est caché, monsieur, mais enfin…

– Alors, si personne n’est caché, ne nous gênons pas pour parier… Que diriez-vous d’une petite association entre nous?

– Une association… Vous voyez bien…

– Voilà encore que vous confondez. Je ne vous dis pas liaison, je vous dis association. Je ne vous dis pas amour, je vous dis affaires.

– Quelle sorte d’affaires? demanda Oliva, dont la curiosité se trahissait par un véritable ébahissement.

– Qu’est-ce que vous faites toute la journée?

– Mais…

– Ne craignez point; je ne suis point pour vous blâmer; dites-moi ce qu’il vous plaira.

– Je ne fais rien, ou du moins je fais le moins possible.

– Vous êtes paresseuse.

– Oh!

– Très bien.