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– Ah! vous dites très bien.

– Sans doute. Qu’est-ce que cela me fait, à moi, que vous soyez paresseuse? Aimez-vous à vous promener?

– Beaucoup.

– À courir les spectacles, les bals?

– Toujours.

– À bien vivre?

– Surtout.

– Si je vous donnais vingt-cinq louis par mois, me refuseriez-vous?

– Monsieur!

– Ma chère demoiselle Oliva, voilà que vous recommencez à douter. Il était pourtant convenu que vous ne vous effaroucheriez pas. J’ai dit vingt cinq louis comme j’aurais dit cinquante.

– J’aimerais mieux cinquante que vingt-cinq; mais ce que j’aime encore mieux que cinquante, c’est le droit de choisir mon amant.

– Morbleu! je vous ai déjà dit que je ne voulais pas être votre amant. Tenez-vous donc l’esprit en repos.

– Alors, morbleu! aussi, que voulez-vous que je fasse pour gagner vos cinquante louis?

– Avons-nous dit cinquante?

– Oui.

– Soit, cinquante. Vous me recevrez chez vous, vous ferez le meilleur visage possible, vous me donnerez le bras quand je le désirerai, vous m’attendrez où je vous dirai de m’attendre.

– Mais j’ai un amant, monsieur.

– Eh bien! après?

– Comment, après?

– Oui… chassez-le, pardieu!

– Oh! l’on ne chasse pas Beausire comme on veut.

– Voulez-vous que je vous y aide?

– Non, je l’aime.

– Oh!

– Un peu.

– C’est précisément trop.

– C’est comme cela.

– Alors, passe pour le Beausire.

– Vous êtes commode, monsieur.

– À charge de revanche; les conditions vous vont-elles?

– Elles me vont si vous me les avez dites au complet.

– Écoutez donc, ma chère, j’ai dit tout ce que j’ai à dire pour le moment.

– Parole d’honneur?

– Parole d’honneur! Mais, cependant, vous comprenez une chose…

– Laquelle?

– C’est que si, par hasard, j’avais besoin que vous fussiez réellement ma maîtresse…

– Ah! voyez-vous. On n’a jamais besoin de cela, monsieur.

– Mais de le paraître.

– Oh! pour cela, passe encore.

– Eh bien! c’est dit.

– Tope.

– Voici le premier mois d’avance.

Il lui tendit un rouleau de cinquante louis, sans même effleurer le bout de ses doigts. Et, comme elle hésitait, il le lui glissa dans la poche de sa robe, sans même frôler de la main cette hanche si ronde et si mobile que les fins gourmets de l’Espagne ne l’eussent pas dédaignée comme lui.

À peine l’or avait-il touché le fond de la poche, que deux coups secs, frappés à la porte de la rue, firent bondir Oliva vers la fenêtre.

– Bon Dieu! s’écria-t-elle, sauvez-vous vite, c’est lui.

– Lui. Qui?

– Beausire… mon amant… Remuez-vous donc, monsieur.

– Ah! ma foi! tant pis!

– Comment, tant pis! Mais il va vous mettre en pièces.

– Bah!

– Entendez-vous comme il frappe; il va enfoncer la porte.

– Faites-lui ouvrir. Que diable! aussi, pourquoi ne lui donnez-vous pas de passe-partout?

Et l’inconnu s’étendit sur le sofa en disant tout bas:

– Il faut que je voie ce drôle et que je le juge.

Les coups continuaient, ils s’entrecoupaient d’affreux jurons qui montaient bien plus haut que le deuxième étage.

– Allez, mère, allez ouvrir, dit Oliva toute furieuse. Et quant à vous, monsieur, tant pis s’il vous arrive un malheur.

– Comme vous dites, tant pis! répliqua l’impassible inconnu sans bouger du sofa.

Oliva écoutait, palpitante, sur le palier.

Chapitre 19

M. Beausire

Oliva se jeta au-devant d’un homme furieux qui, les deux mains étendues, le visage pâle, les habits en désordre, faisait invasion dans l’appartement en poussant de rauques imprécations.

– Beausire! voyons! Beausire, dit-elle d’une voix qui n’était pas assez épouvantée pour faire tort au courage de cette femme.

– Lâchez-moi! cria le nouveau venu en se débarrassant avec brutalité des étreintes d’Oliva.

Et il se mit à continuer sur un ton progressif:

– Ah! c’est parce qu’il y avait ici un homme qu’on ne m’ouvrait pas la porte! Ah! ah!

L’inconnu, nous le savons, était demeuré sur le sofa dans une attitude calme et immobile, que M. Beausire dut prendre peur de l’indécision ou même de l’effroi.

Il arriva en face de l’homme avec des grincements de dents de mauvais augure.

– Je suppose que vous me répondrez, monsieur?

– Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, mon cher monsieur Beausire? répliqua l’inconnu.

– Que faites-vous ici? et d’abord qui êtes-vous?

– Je suis un homme très tranquille à qui vous faites des yeux effrayants, et puis je causais avec madame en tout bien tout honneur.

– Mais oui, certainement, murmura Oliva, en tout bien tout honneur.

– Tâchez de vous taire, vous, vociféra Beausire.

– Là, là! dit l’inconnu, ne rudoyez pas ainsi madame qui est parfaitement innocente; et si vous avez de la mauvaise humeur…

– Oui, j’en ai.

– Il aura perdu au jeu, dit à demi-voix Oliva.

– Je suis dépouillé, mort de tous les diables! hurla Beausire.

– Et vous ne seriez pas fâché de dépouiller un peu quelqu’un, dit en riant l’inconnu; cela se conçoit, cher monsieur Beausire.

– Trêve de mauvaises plaisanteries, vous! et faites-moi le plaisir de déguerpir d’ici.

– Oh! monsieur Beausire, de l’indulgence!

– Mort de tous les diables de l’enfer! levez-vous et partez, ou je brise le sofa et tout ce qu’il y a dessus.

– Vous ne m’aviez pas dit, mademoiselle, que M. Beausire avait de ces lunes rousses. Tudieu! quelle férocité!

Beausire, exaspéré, fit un grand mouvement de comédie, et, pour tirer l’épée, décrivit avec ses bras et la lame un cercle d’au moins dix pieds de circonférence.

– Encore un coup, dit-il, levez-vous, ou sinon je vous cloue sur le dossier.

– En vérité, on n’est pas plus désagréable, répondit l’inconnu en faisant doucement, et de sa seule main gauche, sortir du fourreau la petite épée qu’il avait mise en verrou, derrière lui, sur le sofa.

Oliva poussa des cris perçants.

– Ah! mademoiselle, mademoiselle, taisez-vous, dit l’homme tranquille qui avait enfin l’épée au poing sans s’être levé de son siège; taisez-vous, car il arrivera deux choses: la première, c’est que vous étourdirez M. Beausire et qu’il se fera embrocher; la seconde, c’est que le guet montera, vous frappera, et vous mènera droit à Saint-Lazare.

Oliva remplaça les cris par une pantomime des plus expressives.

Ce spectacle était curieux. D’un côté, M. Beausire débraillé, aviné, tremblant de rage, bourrait de coups droits sans portée, sans tactique, à un adversaire impénétrable.

De l’autre, un homme assis sur le sofa, une main le long du genou, l’autre armée, parant avec agilité, sans secousses, et riant de façon à épouvanter Saint-Georges lui-même.

L’épée de Beausire n’avait pu, un seul instant, garder la ligne, ballottée qu’elle était toujours par les parades de l’adversaire.

Beausire commençait à se fatiguer, à souffler, mais la colère avait fait place à une terreur involontaire; il réfléchissait que si cette épée complaisante voulait s’allonger, se fendre dans un dégagement, c’en était fait de lui, Beausire. L’incertitude le prit, il rompit et ne donna plus que sur le faible de l’épée de l’adversaire. Celui-ci le prit vigoureusement en tierce, lui enleva l’épée de la main, et la fit voler comme une plume.

L’épée fila par la chambre, traversa une vitre de la fenêtre et disparut au dehors.

Beausire ne savait plus quelle contenance garder.

– Eh! monsieur Beausire, dit l’inconnu, prenez donc garde, si votre épée tombe par la pointe, et qu’il passe quelqu’un dessous, voilà un homme mort!