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– Non, voilà trois jours que je n’ai eu l’honneur de voir madame la comtesse, repartit le prince en vrai prince.

– Eh bien! monseigneur, madame de La Motte répondit ce seul mot: Attendez!

– Par écrit?

– Non, monseigneur, de vive voix. Notre lettre priait madame de La Motte de vous demander une audience, et de prévenir la reine que le paiement approchait.

– Le mot attendez était tout naturel, repartit le cardinal.

– Nous attendîmes donc, monseigneur, et hier au soir nous reçûmes de la reine, par un courrier très mystérieux, une lettre.

– Une lettre? À vous, Bœhmer?

– Ou plutôt une reconnaissance en bonne forme, monseigneur.

– Voyons! fit le cardinal.

– Oh! je vous la montrerais, si nous ne nous étions juré, mon associé et moi, de ne la faire voir à personne.

– Et pourquoi?

– Parce que cette réserve nous est imposée par la reine elle-même, monseigneur; jugez-en, Sa Majesté nous recommande le secret.

– Ah! c’est différent, vous êtes très heureux, vous messieurs les bijoutiers, d’avoir des lettres de la reine.

– Pour treize cent cinquante mille livres, monseigneur, dit le joaillier en ricanant, on peut avoir…

– Dix millions, et cent millions ne paient pas de certaines choses, monsieur, repartit sévèrement le prélat. Enfin, vous êtes bien garantis?

– Autant que possible, monseigneur.

– La reine reconnaît la dette?

– Bien et dûment.

– Et s’engage à payer…

– Dans trois mois cinq cent mille livres; le reste dans le semestre.

– Et… les intérêts?

– Oh! monseigneur, un mot de Sa Majesté les garantit. Faisons, ajoute Sa Majesté avec bonté, faisons cette affaire entre nous; entre nous, Votre Excellence comprend bien la recommandation; vous n’aurez pas lieu de vous en repentir. Et elle signe! Dès à présent, voyez-vous, monseigneur, c’est pour mon associé comme pour moi une affaire d’honneur.

– Me voilà quitte envers vous, monsieur Bœhmer, dit le cardinal charmé; à bientôt une autre affaire.

– Quand Votre Excellence daignera nous honorer de sa confiance.

– Mais remarquez encore en ceci la main de cette aimable comtesse…

– Nous sommes bien reconnaissants à madame de La Motte, monseigneur, et nous sommes convenus, monsieur Bossange et moi, de reconnaître ses bontés, quand le collier, payé intégralement, nous aura été remis en argent comptant.

– Chut! chut! fit le cardinal, vous ne m’avez pas compris.

Et il regagna son carrosse, escorté par les respects de toute la maison.

On peut maintenant lever le masque. Pour personne le voile n’est resté sur la statue. Ce que Jeanne de La Motte a fait contre sa bienfaitrice, chacun l’a compris en la voyant emprunter la plume du pamphlétaire Réteau de Villette. Plus d’inquiétude chez les joailliers, plus de scrupules chez la reine, plus de doute chez le cardinal. Trois mois sont donnés à la perpétration du vol et du crime; dans ces trois mois, les fruits sinistres auront mûri assez pour que la main scélérate les cueille.

Jeanne retourna chez monsieur de Rohan, qui lui demanda comment s’y était prise la reine pour assoupir ainsi les exigences des joailliers.

Madame de La Motte répondit que la reine avait fait aux joailliers une confidence; que le secret était recommandé; qu’une reine qui paie a déjà trop besoin de se cacher, mais qu’elle s’y trouve bien autrement forcée encore quand elle demande du crédit.

Le cardinal convint qu’elle avait raison, et en même temps il demanda si on se souvenait encore de ses bonnes intentions.

Jeanne fit un tel tableau de la reconnaissance de la reine, que monsieur de Rohan fut enthousiasmé bien plus comme galant que comme sujet; bien plus dans son orgueil que dans son dévouement.

Jeanne, en menant cette conversation à son but, avait résolu de rentrer paisiblement chez elle, de s’aboucher avec un marchand de pierreries, de vendre pour cent mille écus de diamants, et de gagner l’Angleterre ou la Russie, pays libres, dans lesquels elle vivrait richement avec cette somme pendant cinq à six années, au bout desquelles, sans pouvoir être inquiétée, elle commencerait à vendre avantageusement, en détail, le reste des diamants.

Mais tout ne réussit pas à ses souhaits. Aux premiers diamants qu’elle fit voir à deux experts, la surprise des Argus et leurs réserves effrayèrent la vendeuse. L’un offrait des sommes méprisables, l’autre s’extasiait devant les pierres en disant qu’il n’en avait jamais vu de semblables, sinon dans le collier de Bœhmer.

Jeanne s’arrêta. Un pas de plus elle était trahie. Elle comprit que l’imprudence en pareil cas, c’était la ruine, que la ruine c’était un pilori et une prison perpétuelle. Serrant les diamants dans la plus profonde de ses cachettes, elle résolut de se munir d’armes défensives si solides, d’armes offensives si acérées, qu’en cas de guerre, ceux-là fussent vaincus d’avance qui se présenteraient au combat.

Louvoyer entre les désirs du cardinal, qui chercherait toujours à savoir, entre les indiscrétions de la reine, qui se vanterait toujours d’avoir refusé, c’était un danger terrible. Un mot échangé entre la reine et le cardinal, et tout se découvrait. Jeanne se réconforta en songeant que le cardinal, amoureux de la reine, avait comme tous les amoureux un bandeau sur le front, et par conséquent tomberait dans tous les pièges que la ruse lui tendrait sous une ombre d’amour.

Mais ce piège, il fallait qu’une main habile le présentât de façon à y prendre les deux intéressés. Il fallait que si la reine découvrait le vol, elle n’osât se plaindre, que si le cardinal découvrait la fourbe, il se sentît perdu. C’était un coup de maître à jouer contre deux adversaires qui, d’avance, avaient toute la galerie pour eux.

Jeanne ne recula pas. Elle était de ces natures intrépides qui poussent le mal jusqu’à l’héroïsme, le bien jusqu’au mal. Une seule pensée la préoccupa dès ce moment, celle d’empêcher une entrevue du cardinal et de la reine.

Tant qu’elle, Jeanne, serait entre eux, rien n’était perdu; si, en arrière d’elle, ils échangeaient un mot, ce mot ruinait chez Jeanne la fortune de l’avenir, échafaudée sur l’innocuité du passé.

«Ils ne se verront plus, dit-elle. Jamais.

«Cependant, objectait-elle, le cardinal voudra revoir la reine; il y tentera.

«N’attendons pas, pensa la rusée, qu’il y tente; inspirons-lui-en l’idée. Qu’il veuille la voir; qu’il la demande; qu’il se compromette en le demandant.

«Oui, mais s’il n’y a que lui de compromis?»

Et cette pensée la jetait dans une perplexité douloureuse.

«Lui seul étant compromis, la reine avait son recours; elle parle si haut, la reine; elle sait si bien arracher un masque aux fourbes!

«Que faire? Pour que la reine ne puisse accuser, il faut qu’elle ne puisse ouvrir la bouche; pour fermer cette bouche noble et courageuse, il faut en comprimer les ressorts par l’initiative d’une accusation.

«Celui-là n’ose, devant un tribunal, accuser son valet d’avoir volé, qui peut être convaincu par son valet d’un crime aussi déshonorant que le vol. Que monsieur de Rohan soit compromis par rapport à la reine, il est presque sûr que la reine sera compromise quant à monsieur de Rohan.

«Mais que le hasard n’aille pas rapprocher ces deux êtres intéressés à découvrir le secret.»

Jeanne recula tout d’abord devant l’énormité du rocher qu’elle suspendait sur sa tête. Vivre ainsi, haletante, effarée, sous la menace d’une pareille chute.

Oui, mais comment échapper à cette angoisse? Par la fuite! par l’exil, par le transport en pays étranger des diamants du collier de la reine.

S’enfuir! chose aisée. Une bonne chaise se procure en dix heures; l’espace d’un de ces bons sommeils de Marie-Antoinette; l’intervalle que met le cardinal entre un souper avec des amis et son lever du lendemain. Que la grande route se développe devant Jeanne; qu’elle offre ses pavés infinis aux pieds brûlants des chevaux, cela suffit. Jeanne sera libre, saine, sauve en dix heures.