Voilà ce que pensait Nicole enfermée. Il est vrai que les agents de monsieur le lieutenant de police étaient gens redoutables, il est vrai que l’hôpital, dans lequel les femmes s’éteignent dans une captivité sordide, ne valait pas l’emprisonnement éphémère et splendide de la rue Saint-Claude. Mais à quoi servirait-il d’être femme et d’avoir le droit de caprice, si l’on ne s’insurgeait pas parfois contre le bien, pour le changer en mal, au moins en rêve?
Et puis tout devient bientôt noir à qui s’ennuie. Nicole regretta Beausire, après avoir regretté sa liberté. Avouons que rien ne change dans le monde des femmes, depuis le temps où les filles de Judas s’en allaient, la veille d’un mariage d’amour, pleurer leur virginité sur la montagne.
Nous en sommes arrivé à un jour de deuil et d’agacement dans lequel Oliva, privée de toute société, de toute vue, depuis deux semaines, entrait dans la plus triste période du mal d’ennui.
Ayant tout épuisé, n’osant se montrer aux fenêtres ni sortir, elle commençait à perdre l’appétit de l’estomac, mais non celui de l’imagination, lequel redoublait, au contraire, au fur et à mesure que l’autre diminuait.
C’est à ce moment d’agitation morale, qu’elle reçut la visite, inattendue ce jour-là, de Cagliostro.
Il entra comme il en avait l’habitude, par la porte basse de l’hôtel, et vint, par le petit jardin nouvellement tracé dans les cours, heurter aux volets de l’appartement occupé par Oliva.
Quatre coups, frappés à intervalles convenus entre eux, étaient le signal arrêté d’avance pour que la jeune femme tirât le verrou qu’elle avait cru devoir demander comme sûreté entre elle et un visiteur muni de clefs.
Oliva ne pensait pas que les précautions fussent inutiles pour bien conserver une vertu qu’en certaines occasions elle trouvait pesante.
Au signal donné par Cagliostro, elle ouvrit ses verrous avec une rapidité qui témoignait de son besoin d’avoir une conférence.
Vive comme une grisette parisienne, elle s’élança au-devant des pas du noble geôlier, pour le caresser, et d’une voix irritée, rauque, saccadée:
– Monsieur, s’écria-t-elle, je m’ennuie, sachez cela.
Cagliostro la regarda avec un léger mouvement de tête.
– Vous vous ennuyez, dit-il en refermant la porte, hélas! ma chère enfant, c’est un vilain mal.
– Je me déplais ici. J’y meurs.
– Vraiment!
– Oui, j’ai de mauvaises pensées.
– Là! là! fit le comte, en la calmant comme il eût calmé un épagneul, si vous n’êtes pas bien chez moi, ne m’en veuillez pas trop. Gardez toute votre colère pour monsieur le lieutenant de police, qui est votre ennemi.
– Vous m’exaspérez avec votre sang-froid, monsieur, dit Oliva. J’aime mieux de bonnes colères que des douceurs pareilles; vous trouvez le moyen de me calmer, et cela me rend folle de rage.
– Avouez, mademoiselle, que vous êtes injuste, répondit Cagliostro en s’asseyant loin d’elle, avec cette affectation de respect ou d’indifférence qui lui réussissait si bien auprès d’Oliva.
– Vous en parlez bien à votre aise, vous, dit-elle; vous allez, vous venez, vous respirez; votre vie se compose d’une quantité de plaisirs que vous choisissez; moi, je végète dans l’espace que vous m’avez limité; je ne respire pas, je tremble. Je vous préviens, monsieur, que votre assistance m’est inutile, si elle ne m’empêche pas de mourir.
– Mourir! vous! dit le comte en souriant, allons donc!
– Je vous dis que vous vous conduisez fort mal envers moi, vous oubliez que j’aime profondément, passionnément quelqu’un.
– Monsieur Beausire?
– Oui, Beausire. Je l’aime, vous dis-je. Je ne vous l’ai jamais caché, je suppose. Vous n’avez pas été vous figurer que j’oublierais mon cher Beausire?
– Je l’ai si peu supposé, mademoiselle, que je me suis mis en quatre pour avoir de ses nouvelles, et que je vous en apporte.
–Ah! fit Oliva.
– Monsieur de Beausire, continua Cagliostro, est un charmant garçon.
– Parbleu! fit Oliva qui ne voyait pas où on la menait.
– Jeune et joli.
– N’est-ce pas?
– Plein d’imagination.
– De feu… un peu brutal pour moi. Mais… qui aime bien, châtie bien.
– Vous parlez d’or. Vous avez autant de cœur que d’esprit, et d’esprit que de beauté: et moi qui sais cela, moi qui m’intéresse à tout amour de ce monde – c’est une manie –, j’ai songé à vous rapprocher de monsieur de Beausire.
– Ce n’était pas votre idée, il y a un mois, dit Oliva en souriant d’un air contraint.
– Écoutez donc, ma chère enfant, tout galant homme qui voit une jolie personne cherche à lui plaire quand il est libre comme je le suis. Cependant, vous m’avouerez que si je vous ai fait un doigt de cour, cela n’a pas duré longtemps, hein?
– C’est vrai, répliqua Oliva du même ton; un quart d’heure au plus.
– C’était bien naturel que je me désistasse, voyant combien vous aimiez monsieur de Beausire.
– Oh! ne vous moquez pas de moi.
– Non, sur l’honneur! vous m’avez résisté si bien.
– Oh! n’est-ce pas? s’écria Oliva, enchantée d’avoir été prise en flagrant délit de résistance. Oui, avouez que j’ai résisté.
– C’était la suite de votre amour, dit flegmatiquement Cagliostro.
– Mais le vôtre, à vous, riposta Oliva, il n’était guère tenace, alors.
– Je ne suis ni assez vieux, ni assez laid, ni assez sot, ni assez pauvre, pour supporter ou les refus, ou les chances d’une défaite, mademoiselle; vous eussiez toujours préféré monsieur de Beausire à moi, je l’ai senti et j’ai pris mon parti.
– Oh! que non pas, dit la coquette; non pas! Cette fameuse association que vous m’avez proposée, vous savez bien, ce droit de me donner le bras, de me visiter, de me courtiser en tout bien tout honneur, est-ce que ce n’était point un petit reste d’espoir?
Et en disant ces mots, la perfide brûlait de ses yeux trop longtemps oisifs le visiteur, qui était venu se prendre au piège.
– Je l’avoue, répondit Cagliostro, vous êtes d’une pénétration à laquelle rien ne résiste.
Et il feignit de baisser les yeux pour n’être pas dévoré par le double jet de flamme qui jaillissait des regards d’Oliva.
– Revenons à Beausire, dit-elle, piquée de l’immobilité du comte; que fait-il, où est-il, ce cher ami?
Alors Cagliostro, la regardant avec un reste de timidité:
– Je disais que j’eusse voulu vous réunir à lui, continua-t-il.
– Non, vous ne disiez pas cela, murmura-t-elle avec dédain; mais puisque vous me le dites, je le prends pour dit. Continuez. Pourquoi ne l’avez-vous pas amené, c’eût été charitable. Il est libre, lui…
– Parce que, répondit Cagliostro, sans s’étonner de cette ironie, monsieur de Beausire, qui est comme vous, qui a trop d’esprit, s’est fait aussi une petite affaire avec la police.
– Aussi! s’écria Oliva en pâlissant; car cette fois elle sentait le tuf de la vérité.
– Aussi, répéta poliment Cagliostro.
– Qu’a-t-il fait?… balbutia la jeune femme.
– Une charmante espièglerie, un tour de passe infiniment ingénieux; j’appelle cela une drôlerie; mais les gens moroses, monsieur de Crosne, par exemple, vous savez combien il est lourd, ce monsieur de Crosne; eh bien! ils appellent cela un vol.
– Un vol! s’écria Oliva épouvantée; mon Dieu!
– Un joli vol, par exemple; ce qui prouve combien ce pauvre Beausire a le goût des belles choses.
– Monsieur… monsieur… il est arrêté?
– Non, mais il est signalé.
– Vous me jurez qu’il n’est point arrêté, qu’il ne court aucun risque?