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Dès qu’elle eut vu cette solitaire pensive, Oliva n’en put détacher ses yeux.

Il y avait une sorte de pureté morale dans cette attraction de la femme vers la femme. Ces délicatesses sont plus communes qu’on ne croit généralement parmi ces malheureuses créatures dont le corps est devenu l’agent principal dans les fonctions de la vie.

Pauvres exilées du paradis spirituel, elles regrettent les jardins perdus et les anges souriants qui se cachent sous les mystiques ombrages.

Oliva crut voir une sœur de son âme dans la belle recluse. Elle construisit un roman pareil à son roman, se figurant, la naïve fille, qu’on ne pouvait être jolie, élégante, et demeurer perdue rue Saint-Claude sans avoir quelque grave inquiétude au fond de son cœur.

Quand elle eut bien forgé d’airain et de diamant sa fable romanesque, Oliva, comme toutes les natures exceptionnelles, se laissa enlever par sa féerie; elle prit des ailes pour courir dans l’espace au-devant de sa compagne, à qui, dans son impatience, elle eût voulu voir pousser des ailes pareilles aux siennes.

Mais la dame au monument ne bougeait pas, elle semblait sommeiller sur son siège. Deux heures s’étaient écoulées sans qu’elle eût oscillé d’un degré.

Oliva se désespérait. Elle n’eût pas fait pour Adonis ou pour Beausire le quart des avances qu’elle fit pour l’inconnue.

De guerre lasse, et passant de la tendresse à la haine, elle ouvrit et referma dix fois sa croisée; dix fois elle effaroucha les oiseaux dans les feuillages, et fit des gestes télégraphiques tellement compromettants, que le plus obtus des instruments de monsieur de Crosne, s’il eût passé sur le boulevard ou dans le bout de la rue Saint-Claude, n’eût pas manqué de les apercevoir et de s’en préoccuper.

Enfin, Nicole arriva à se persuader que la dame aux belles nattes avait bien vu tous ses gestes, compris tous ses signaux, mais qu’elle les méprisait; qu’elle était vaine ou qu’elle était idiote. Idiote! avec des yeux si fins, si spirituels, avec un pied si mobile, une main si inquiète! Impossible.

Vaine, oui; vaine comme pouvait l’être à cette époque une femme de la grande noblesse envers une bourgeoise.

Oliva, démêlant dans la physionomie de la jeune femme tous les caractères de l’aristocratie, conclut qu’elle était orgueilleuse et impossible à émouvoir.

Elle renonça.

Tournant le dos avec une bouderie charmante, elle se remit au soleil, cette fois le soleil couchant, pour reprendre la société de ses fleurs, complaisantes compagnes qui, nobles aussi, élégantes aussi, poudrées aussi, coquettes aussi comme les plus grandes dames, se laissent cependant toucher, respirer, et rendent en parfum, en fraîcheur et en frissonnants contacts, le baiser d’ami ou le baiser d’amour.

Nicole ne réfléchissait pas que cette prétendue orgueilleuse était Jeanne de Valois, comtesse de La Motte, qui, depuis la veille, cherchait une idée.

Que cette idée avait pour but d’empêcher Marie-Antoinette et le cardinal de Rohan de se voir.

Qu’un intérêt plus grand encore exigeait que le cardinal, tout en ne voyant plus la reine dans le particulier, crût fermement qu’il la voyait toujours et que, par conséquent, il se contentât de cette vision et cessât de réclamer la vue réelle.

Idées graves, bien légitimes excuses de cette préoccupation d’une jeune femme à ne pas remuer la tête pendant deux mortelles heures.

Si Nicole eût su tout cela, elle ne se fût pas, de colère, réfugiée au milieu de ses fleurs.

Et elle n’eût pas, en s’y plaçant, chassé hors du balcon un pot de fraxinelles qui alla tomber dans la rue déserte avec un fracas épouvantable.

Oliva, effrayée, regarda vite quel dégât elle avait pu causer.

La dame préoccupée se réveilla au bruit, vit le pot sur le pavé, remonta de l’effet à la cause, c’est-à-dire que ses yeux remontèrent du pavé de la rue à la terrasse de l’hôtel.

Et elle vit Oliva.

En la voyant, elle poussa un cri sauvage, un cri de terreur, un cri qui se termina par un mouvement rapide de tout ce corps si raide et si glacé naguère.

Les yeux d’Oliva et ceux de cette dame se rencontrèrent enfin, s’interrogèrent, se pénétrèrent les uns les autres.

Jeanne s’écria d’abord:

– La reine!

Puis, tout à coup, joignant les mains et fronçant le sourcil sans oser remuer, de peur de faire fuir la vision étrange:

– Oh! murmura-t-elle, je cherchais un moyen, le voilà!

En ce moment, Oliva entendit du bruit derrière elle, et se retourna vivement.

Le comte était dans sa chambre; il avait remarqué l’échange des reconnaissances.

– Elles se sont vues! dit-il.

Oliva quitta brusquement le balcon.

Chapitre 17

Les deux voisines

À partir de ce moment où les deux femmes s’étaient aperçues, Oliva, déjà fascinée par la grâce de sa voisine, n’affecta plus de la dédaigner; et, se tournant avec précaution au milieu de ses fleurs, elle répondit par des sourires aux sourires qu’on lui adressait.

Cagliostro, en la visitant, n’avait pas manqué de lui recommander la circonspection la plus grande.

– Surtout, avait-il dit, ne voisinez pas.

Ce mot était tombé comme un grêlon sinistre sur la tête d’Oliva, qui déjà se faisait une douce occupation des gestes et des saluts de la voisine.

Ne pas voisiner, c’était tourner le dos à cette charmante femme, dont l’œil était si brillant et si doux, dont chaque mouvement renfermait une séduction, c’était renoncer à entretenir un commerce télégraphique sur la pluie et le beau temps, c’était rompre avec une amie. Car l’imagination d’Oliva courait à ce point, que Jeanne était déjà pour elle un objet curieux et cher.

La sournoise répondit à son protecteur qu’elle se garderait bien de lui désobéir, et qu’elle n’entreprendrait aucun commerce avec le voisinage. Mais il ne fut pas sitôt parti, qu’elle s’arrangea sur le balcon de manière à absorber toute l’attention de sa voisine.

Celle-ci, on peut le croire, ne demandait pas mieux, car aux premières avances qui lui furent faites, elle répondit par des saluts et par des baisers jetés du doigt.

Oliva correspondit de son mieux à ces aimables avances; elle remarqua que l’inconnue ne quittait plus la fenêtre; et que toujours attentive à envoyer soit un adieu quand elle sortait, soit un bonjour quand elle rentrait, elle semblait avoir concentré toutes ses facultés aimantes sur le balcon d’Oliva.

Un pareil état de choses devait être suivi promptement d’une tentative de rapprochement.

Voici ce qui arriva:

Cagliostro, en venant voir Oliva deux jours après, se plaignit d’une visite qui aurait été rendue à l’hôtel par une personne inconnue.

– Comment cela? fit Oliva un peu rougissante.

– Oui, répondit le comte, une dame très jolie, jeune, élégante, s’est présentée, a parlé à un valet attiré par son insistance à sonner. Elle a demandé à cet homme qui pouvait être une jeune personne habitant le pavillon du troisième, votre appartement, ma chère. Cette femme vous désignait assurément. Elle voulait vous voir. Elle vous connaît donc; elle a donc sur vous des vues; vous êtes donc découverte? Prenez garde, la police a des espions femmes comme des agents hommes, et je vous préviens que je ne pourrai refuser de vous rendre si monsieur de Crosne vous demande à moi.

Oliva, au lieu de s’effrayer, reconnut vite le portrait de sa voisine, elle lui sut un gré infini de sa prévenance, et bien résolue de l’en remercier par tous les moyens en son pouvoir, elle dissimula au comte.

– Vous ne tremblez pas? dit Cagliostro.

– Personne ne m’a vue, répliqua Nicole.

– Alors ce n’est pas vous qu’on voulait voir?

– Je ne le pense pas.

– Cependant, pour deviner qu’il y a une femme dans ce pavillon… Ah! prenez garde, prenez garde.