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– Ouvrez, je vous prie, ce tiroir.

– Le premier?

– Non, le second. Vous voyez un portefeuille?

– Le voici, madame.

– Il renferme deux cent cinquante mille livres. Comptez-les.

Jeanne obéit.

– Portez-les au cardinal. Remerciez-le encore. Dites-lui que chaque mois je m’arrangerai pour payer ainsi. On réglera les intérêts. De cette façon, j’aurai le collier qui me plaisait tant, et si je me gêne pour le payer, au moins je ne gênerai point le roi.

Elle se recueillit une minute.

– Et j’aurai gagné à cela, continua-t-elle, d’apprendre que j’ai un ami délicat qui m’a servie…

Elle attendit encore.

– Et une amie qui m’a devinée, fit-elle, en offrant à Jeanne sa main, sur laquelle se précipita la comtesse.

Puis, comme elle allait sortir, après avoir encore hésité: «Comtesse, dit-elle tout bas, comme si elle avait peur de ce qu’elle disait, vous instruirez monsieur de Rohan qu’il sera bien venu à Versailles, et que j’ai des remerciements à lui faire.»

Jeanne s’élança hors de l’appartement, non pas ivre, mais insensée de joie et d’orgueil satisfait.

Elle serrait les billets de caisse comme un vautour sa proie volée.

Chapitre 2

Le portefeuille de la reine

Cette fortune, au propre et au figuré, que portait Jeanne de Valois, nul n’en sentit l’importance plus que les chevaux, qui la ramenèrent de Versailles.

Si jamais chevaux pressés de gagner un prix volèrent dans la carrière, ce furent ces deux pauvres chevaux de carrosse de louage.

Leur cocher, stimulé par la comtesse, leur fit croire qu’ils étaient les légers quadrupèdes du pays d’Élis, et qu’il y avait à gagner deux talents d’or pour le maître, triple ration d’orge mondé pour eux.

Le cardinal n’était pas encore sorti, quand madame de La Motte arriva chez lui, tout au milieu de son hôtel et de son monde.

Elle se fit annoncer plus cérémonieusement qu’elle n’avait fait chez la reine.

– Vous venez de Versailles? dit-il.

– Oui, monseigneur.

Il la regardait, elle était impénétrable.

Elle vit son frisson, sa tristesse, son malaise: elle n’eut pitié de rien.

– Eh bien? fit-il.

– Eh bien! voyons, monseigneur, que désirez-vous? Parlez un peu, afin que je ne me fasse pas trop de reproches.

– Ah! comtesse, vous me dites cela d’un air!…

– Attristant, n’est-ce pas?

– Tuant.

– Vous vouliez que je visse la reine?

– Oui.

– Je l’ai vue.

– Vous vouliez qu’elle me laissât parler de vous, elle qui, plusieurs fois, avait témoigné son éloignement pour vous et son mécontentement en entendant prononcer votre nom?

– Je vois qu’il faut, si j’ai eu ce désir, renoncer à le voir exaucé.

– Non, la reine m’a parlé de vous.

– Ou plutôt vous avez été assez bonne pour lui parler de moi?

– Il est vrai.

– Et Sa Majesté a écouté?

– Cela mérite explication.

– Ne me dites pas un mot de plus, comtesse, je vois combien Sa Majesté a eu de répugnance…

– Non, pas trop… J’ai osé parler du collier.

– Osé dire que j’ai pensé…

– À l’acheter pour elle, oui.

– Oh! comtesse, c’est sublime! Et elle a écouté?

– Mais oui.

– Vous lui avez dit que je lui offrais ces diamants?

– Elle a refusé net.

– Je suis perdu.

– Refusé d’accepter le don, oui; mais le prêt…

– Le prêt!… Vous auriez tourné si délicatement l’offre?

– Si délicatement, qu’elle a accepté.

– Je prête à la reine, moi!… Comtesse, est-il possible?

– C’est plus que si vous donniez, n’est-ce pas?

– Mille fois.

– Je le pensais bien. Toutefois Sa Majesté accepte.

Le cardinal se leva, puis se rassit. Il vint encore jusqu’à Jeanne, et, lui prenant les mains:

– Ne me trompez pas, dit-il, songez qu’avec un mot, vous pouvez faire de moi le dernier des hommes.

– On ne joue pas avec des passions, monseigneur; c’est bon avec le ridicule; et les hommes de votre rang et de votre mérite ne peuvent jamais être ridicules.

– C’est vrai. Alors ce que vous me dites…

– Est l’exacte vérité.

– J’ai un secret avec la reine?

– Un secret… mortel.

Le cardinal courut à Jeanne, et lui serra la main tendrement.

– J’aime cette poignée de main, dit la comtesse, elle est d’un homme à un homme.

– Elle est d’un homme heureux à un ange protecteur.

– Monseigneur, n’exagérez rien.

– Oh! si fait, ma joie, ma reconnaissance… jamais…

– Mais vous exagérez l’une et l’autre. Prêter un million et demi à la reine, n’est-ce pas cela qu’il vous fallait?

Le cardinal soupira.

– Buckingham eût demandé autre chose à Anne d’Autriche, monseigneur, après ses perles semées sur le parquet de la chambre royale.

– Ce que Buckingham a eu, comtesse, je ne veux pas même le souhaiter, fût-ce en rêve.

–Vous vous expliquerez de cela, monseigneur, avec la reine, car elle m’a donné ordre de vous avertir qu’elle vous verrait avec plaisir à Versailles.

L’imprudente n’eut pas plutôt laissé échapper ces mots, que le cardinal blanchit comme un adolescent sous le premier baiser d’amour.

Le fauteuil qui se trouvait à sa portée, il le prit en tâtonnant comme un homme ivre.

– Ah! ah! pensa Jeanne, c’est encore plus sérieux que je ne croyais; j’avais rêvé le duché, la pairie, cent mille livres de rente, j’irai jusqu’à la principauté, jusqu’au demi million de rente; car monsieur de Rohan ne travaille ni par ambition, ni par avarice, il travaille par amour!

Monsieur de Rohan se remit vite. La joie n’est pas une maladie qui dure longtemps, et comme c’était un esprit solide, il jugea convenable de parler affaire avec Jeanne, afin de lui faire oublier qu’il venait de parler amour.

Elle le laissa faire.

– Mon amie, dit-il en serrant Jeanne dans ses bras, que prétend faire la reine de ce prêt que vous lui avez supposé?

– Vous me demandez cela parce que la reine est censée n’avoir pas d’argent?

– Tout juste.

– Eh bien! elle prétend vous payer comme si elle payait Bœhmer, avec cette différence que si elle avait acheté de Bœhmer, tout Paris le saurait, chose impossible depuis le fameux mot du vaisseau, et que si elle faisait faire la moue au roi, toute la France ferait la grimace. La reine veut donc avoir en détail les diamants, et les payer en détail. Vous lui en fournirez l’occasion; vous êtes pour elle un caissier discret, un caissier solvable, dans le cas où elle se trouverait embarrassée, voilà tout; elle est heureuse et elle paie, n’en demandez pas davantage.

– Elle paie. Comment?

– La reine, femme qui comprend tout, sait bien que vous avez des dettes, monseigneur; et puis elle est fière, ce n’est pas une amie qui reçoive des présents… Quand je lui ai dit que vous aviez avancé deux cent cinquante mille livres…

– Vous le lui avez dit?

– Pourquoi pas?

– C’était lui rendre tout de suite l’affaire impossible.

– C’était lui procurer le moyen, la raison de l’accepter. Rien pour rien, voilà la devise de la reine.

– Mon Dieu!

Jeanne fouilla tranquillement dans sa poche et en tira le portefeuille de Sa Majesté.

– Qu’est cela? dit monsieur de Rohan.

– Un portefeuille qui renferme des billets de caisse pour deux cent cinquante mille livres.

– Mais…

– Et la reine vous les adresse avec un beau merci.

– Oh!

– Le compte y est. J’ai compté.

– Il s’agit bien de cela.

– Mais que regardez-vous?

– Je regarde ce portefeuille, que je ne vous connaissais pas.

– Il vous plaît. Cependant il n’est ni beau ni riche.