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Et dès le lendemain, vers midi, l’arbalète, moyen extraordinaire et expéditif, moyen qui était à la correspondance par le fil ce que le télégraphe est au courrier à cheval, l’arbalète lança un billet ainsi conçu:

«Ma toute chère, ce soir à onze heures, quand votre jaloux sera parti, vous descendrez, vous tirerez les verrous, et vous vous trouverez dans les bras de celle qui se dit votre tendre amie.»

Oliva frissonna de joie plus qu’elle n’avait jamais fait aux plus tendres billets de Gilbert, dans le printemps des premières amours et des premiers rendez-vous.

Elle descendit à onze heures sans avoir remarqué aucun soupçon chez le comte. Elle trouva en bas Jeanne qui l’étreignit tendrement, la fit monter dans un carrosse arrêté au boulevard et, tout étourdie, toute palpitante, toute enivrée, fit avec son amie une promenade de deux heures, pendant lesquelles secrets, baisers, projets d’avenir s’échangèrent sans relâche entre les deux compagnes.

Jeanne conseilla la première à Oliva de rentrer, pour n’éveiller aucun soupçon chez son protecteur. Elle venait d’apprendre que ce protecteur était Cagliostro. Elle redoutait le génie de cet homme, et ne voyait de sûreté pour ses plans que dans le plus profond mystère.

Oliva s’était livrée sans réserve: Beausire, la police, elle avait tout avoué.

Jeanne s’était donnée pour une fille de qualité, vivant avec un amant à l’insu de sa famille.

L’une savait tout, l’autre ignorait tout; telle était l’amitié jurée entre ces deux femmes.

À dater de ce jour, elles n’eurent plus besoin de l’arbalète, ni même du fil, Jeanne avait sa clef. Elle faisait descendre Oliva selon son caprice.

Un souper fin, une furtive promenade étaient les appâts auxquels Oliva se laissait toujours prendre.

– Monsieur de Cagliostro ne découvre-t-il rien? demandait Jeanne, inquiète parfois.

– Lui! en vérité, je lui dirais qu’il ne voudrait pas me croire, répondait Oliva.

Huit jours de ces escapades nocturnes firent une habitude, un besoin et bien plus un plaisir. Au bout de huit jours, le nom de Jeanne se trouvait sur les lèvres d’Oliva bien plus souvent que ne s’y était jamais trouvé celui de Gilbert et celui de Beausire.

Chapitre 18

Le rendez-vous

À peine monsieur de Charny était-il arrivé dans ses terres, et renfermé chez lui après les premières visites, que le médecin lui ordonna de ne plus recevoir personne, et de garder l’appartement, consigne qui fut exécutée avec une telle rigueur, que pas un habitant du canton n’aperçut plus le héros de ce combat naval qui avait fait tant de bruit par toute la France, et que les jeunes filles essayaient toutes de voir, parce qu’il était notoirement brave, et qu’on le disait beau.

Charny n’était pourtant pas aussi malade de corps qu’on le disait. Il n’avait de mal qu’au cœur et à la tête, mais quel mal, bon Dieu! une douleur aiguë, incessante, impitoyable, la douleur d’un souvenir qui brûlait, la douleur d’un regret qui déchirait.

L’amour n’est qu’une nostalgie: l’absent pleure un paradis idéal, au lieu de pleurer une patrie matérielle, et encore, peut-on admettre, si friand que l’on soit de poésie, que la femme bien-aimée ne soit pas un paradis un peu plus matériel que celui des anges.

Monsieur de Charny n’y tint pas trois jours. Furieux de voir tous ses rêves déflorés par l’impossibilité, effacés par l’espace, il fit courir par tout le canton l’ordonnance du médecin que nous avons rapportée; puis, confiant la garde de ses portes à un serviteur éprouvé, Olivier partit la nuit de son manoir, sur un cheval bien doux et bien rapide. Il était à Versailles huit heures après, louant une petite maison derrière le parc par l’entremise de son valet de chambre.

Cette maison, abandonnée depuis la mort tragique d’un des gentilshommes de la louveterie qui s’y était coupé la gorge, convenait admirablement à Charny qui voulait s’y cacher mieux que dans ses terres.

Elle était meublée proprement, avait deux portes, l’une sur une rue déserte, l’autre sur l’allée de ronde du parc; et des fenêtres du midi, Charny pouvait plonger dans les allées des Charmilles, car les fenêtres, ouvrant leurs volets entourés de vignes et de lierre, n’étaient que des portes à la hauteur d’un rez-de-chaussée peu élevé pour quiconque eût voulu sauter dans le parc royal.

Cette vicinité, déjà bien rare alors, était le privilège accordé à un inspecteur des chasses pour que, sans se déranger, il pût surveiller les daims et les faisans de Sa Majesté.

On se représentait, rien qu’à voir ces fenêtres joyeusement encadrées dans la verdure vigoureuse, le louvetier mélancolique accoudé, un soir d’automne, sur celle du milieu, tandis que les biches, faisant craquer leurs jambes grêles sur les feuilles sèches, se jouaient au fond des couverts, sous un fauve rayon du soleil couchant.

Cette solitude plut à Charny avant toutes les autres. Était-ce par amour du paysage? nous le verrons bientôt.

Une fois qu’il fut installé, que tout fut bien clos, que son valet eut éteint les curiosités respectueuses du voisinage, Charny, oublié comme il oubliait, commença une vie dont l’idée seule fera tressaillir quiconque a, dans son passage sur la terre, aimé ou entendu parler de l’amour.

En moins de quinze jours, il connut toutes les habitudes du château, celles des gardes, il connut les heures auxquelles l’oiseau vient boire dans les mares, auxquelles le daim passe en allongeant sa tête effarée. Il sut les bons moments du silence, ceux des promenades de la reine ou de ses dames, l’instant des rondes; il vécut en un mot de loin avec ceux qui vivaient dans ce Trianon, temple de ses adorations insensées.

Comme la saison était belle, comme les nuits douces et parfumées donnaient plus de liberté à ses yeux et plus de vague rêverie à son âme, il en passait une partie sous les jasmins de sa fenêtre à épier les bruits lointains qui venaient du palais, à suivre par les trouées du feuillage le jeu des lumières mises en mouvement jusqu’à l’heure du coucher.

Bientôt la fenêtre ne lui suffit plus. Il était trop éloigné de ce bruit et de ces lumières. Il sauta de sa maison en bas sur le gazon, bien certain de ne rencontrer, à cette heure, ni chiens, ni gardes, et il chercha la délicieuse, la périlleuse volupté d’aller jusqu’à la lisière du taillis, sur la limite qui sépare l’ombre épaisse du clair de lune splendide, pour interroger de là ces silhouettes qui passaient noires et pâles derrière les rideaux blancs de la reine.

De cette façon, il la voyait tous les jours sans qu’elle le sût.

Il savait la reconnaître à un quart de lieue, alors que, marchant avec ses dames ou avec quelque gentilhomme de ses amis, elle jouait avec l’ombrelle chinoise qui abritait son large chapeau garni de fleurs.

Nulle démarche, nulle attitude ne pouvait lui donner le change. Il savait par cœur toutes les robes de la reine et devinait, au milieu des feuilles, le grand fourreau vert à bandes d’un noir moiré qu’elle faisait onduler par un mouvement de corps chastement séducteur.

Et quand la vision avait disparu, quand le soir chassant les promeneurs lui avait permis d’aller guetter, jusqu’aux statues du péristyle, les dernières oscillations de cette ombre aimée, Charny revenait à sa fenêtre, regardait de loin, par une percée qu’il avait su faire à la futaie, la lumière brillant aux vitres de la reine, puis la disparition de cette lumière, et alors il vivait de souvenir et d’espoir, comme il venait de vivre de surveillance et d’admiration.

Un soir qu’il était rentré, que deux heures avaient passé sur son dernier adieu donné à l’ombre absente, que la rosée tombant des étoiles commençait à distiller ses perles blanches sur les feuilles du lierre, Charny allait quitter sa fenêtre et se mettre au lit, lorsque le bruit d’une serrure grinça timidement à son oreille; il revint à son observatoire et écouta.