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L’heure était avancée, minuit sonnait encore aux paroisses les plus éloignées de Versailles, Charny s’étonna d’entendre un bruit auquel il n’était pas accoutumé.

Cette serrure rebelle était celle d’une petite porte du parc, située à vingt-cinq pas environ de la maison d’Olivier, et qui jamais ne s’ouvrait, sinon dans les jours de grande chasse pour le passage des paniers de gibier.

Charny remarqua que ceux qui ouvraient cette porte ne parlaient pas; ils refermèrent les verrous et entrèrent dans l’allée qui passait sous les fenêtres de sa maison.

Les taillis, les pampres pendants dissimulaient assez volets et murailles pour qu’en passant on ne les aperçût pas.

D’ailleurs, ceux qui marchaient là baissaient la tête et hâtaient le pas. Charny les distingua confusément dans l’ombre. Seulement, au bruit des jupes flottantes, il reconnut deux femmes dont les mantelets de soie frissonnaient le long des ramées.

Ces femmes, en tournant la grande allée située en face la fenêtre de Charny, furent enveloppées par le rayon plus libre de la lune, et Olivier faillit pousser un cri de surprise joyeuse en reconnaissant la tournure et la coiffure de Marie-Antoinette, comme aussi le bas de son visage éclairé, malgré le reflet sombre de la passe du chapeau. Elle tenait une belle rose à la main.

Le cœur tout palpitant, Charny se laissa glisser dans le parc du haut de sa fenêtre. Il courut sur l’herbe pour ne pas faire de bruit, se cachant derrière les plus gros arbres, et suivant du regard les deux femmes, dont la course se ralentissait à chaque minute.

Que devait-il faire? La reine avait une compagne; elle ne courait aucun danger. Oh! que n’était-elle seule, il eût bravé les tortures pour s’approcher et lui dire à genoux: «Je vous aime!» Oh! que n’était-elle menacée par quelque péril immense, il eût jeté sa vie pour sauver cette précieuse vie.

Comme il pensait à tout cela en rêvant mille folles tendresses, les deux promeneuses s’arrêtèrent soudain; l’une, la plus petite, dit quelques mots bas à sa compagne et la quitta.

La reine demeura seule; on voyait l’autre dame hâter sa marche vers un but que Charny ne devinait pas encore. La reine, battant le sable avec son petit pied, s’adossait à un arbre et s’enveloppait dans sa mante, de façon à couvrir même sa tête avec le capuchon qui, l’instant d’avant, ondoyait en larges plis soyeux sur son épaule.

Quand Charny la vit seule et ainsi rêveuse, il fit un bond comme pour aller tomber à ses genoux.

Mais il réfléchit que trente pas au moins le séparaient d’elle; qu’avant qu’il eût franchi ces trente pas, elle le verrait, et, ne le reconnaissant pas, prendrait peur; qu’elle crierait ou fuirait; que ses cris attireraient sa compagne d’abord, puis quelques gardes; qu’on fouillerait le parc; qu’on découvrirait l’indiscret au moins, la retraite peut-être, et que c’en était fait à jamais du secret, du bonheur et de l’amour.

Il sut s’arrêter et il fit bien, car à peine eut-il réprimé cet élan irrésistible que la compagne de la reine reparut et ne revint pas seule.

Charny vit derrière elle, à deux pas, marcher un homme de belle taille, enseveli sous un large chapeau, perdu sous un vaste manteau.

Cet homme, dont l’aspect fit trembler de haine et de jalousie monsieur de Charny, ne s’avançait pas comme un triomphateur. Chancelant, traînant le pied avec hésitation, il semblait marcher à tâtons dans la nuit, comme s’il n’eût pas eu pour guide la compagne de la reine, pour but la reine elle-même, blanche et droite sous son arbre.

Dès qu’il aperçut Marie-Antoinette, ce tremblement que Charny avait remarqué en lui ne fit qu’augmenter. L’inconnu retira son chapeau et en balaya la terre pour ainsi dire. Il continuait à s’avancer. Charny le vit entrer dans l’épaisseur de l’ombre; il salua profondément et à plusieurs reprises.

Cependant la surprise de Charny s’était changée en stupeur. De la stupeur il allait bientôt passer à une autre émotion bien autrement douloureuse. Que venait faire la reine dans le parc à une heure aussi avancée? Qu’y venait faire cet homme? Pourquoi cet homme avait-il attendu, caché? Pourquoi la reine l’avait-elle envoyé quérir par sa compagne au lieu d’aller elle-même à lui?

Charny faillit perdre la tête. Il se souvint pourtant que la reine s’occupait de politique mystérieuse, qu’elle nouait souvent des intrigues avec les cours allemandes, relations dont le roi était jaloux et qu’il défendait sévèrement.

Peut-être ce cavalier mystérieux était-il un courrier de Schönbrunn ou de Berlin, quelque gentilhomme porteur d’un message secret, une de ces figures allemandes comme Louis XVI n’en voulait plus voir à Versailles, depuis que l’empereur Joseph II s’était permis de venir faire en France un cours de philosophie et de politique critique à l’usage de son beau-frère le roi Très Chrétien.

Cette idée, semblable au bandeau de glace que le médecin applique sur un front brûlant de fièvre, rafraîchit ce pauvre Olivier, lui rendit l’intelligence, et calma le délire de sa première colère. La reine, d’ailleurs, gardait une pose pleine de décence et même de dignité.

La compagne, placée à trois pas, inquiète, attentive, guetteuse comme les amies ou les duègnes des parties carrées de Watteau, dérangeait bien par son anxiété complaisante les visées toutes chastes de monsieur de Charny. Mais il est aussi dangereux d’être surprise en rendez-vous politique qu’il est honteux d’être surprise en rendez-vous d’amour. Et rien ne ressemble plus à un homme amoureux qu’un conspirateur. Tous deux ont même manteau, même susceptibilité d’oreille, même incertitude dans les jambes.

Charny n’eut pas beaucoup de temps pour approfondir ces réflexions; la suivante se dérangea et rompit l’entretien. Le cavalier fit un mouvement comme pour se prosterner; il recevait sans doute son congé après l’audience.

Charny s’effaça derrière son gros arbre. Assurément, le groupe, en se séparant, allait passer par fractions devant lui. Retenir son souffle, prier les gnomes et les sylphes d’éteindre tous les échos, soit de la terre, soit du ciel, c’était la seule chose qui lui restait à faire.

En ce moment il crut voir un objet de nuance claire glisser le long de la mante royale; le gentilhomme s’inclina vivement jusque sur l’herbe, puis se releva d’un mouvement respectueux et s’enfuit, car il serait impossible de qualifier autrement la rapidité de son départ.

Mais il fut arrêté dans sa course par la compagne de la reine, qui l’appela d’un petit cri, et, lorsqu’il se fut arrêté, lui jeta à demi-voix le mot:

– Attendez.

C’était un cavalier fort obéissant, car il s’arrêta à l’instant même et attendit.

Charny vit alors les deux femmes passer, en se tenant le bras, à deux pas de sa cachette; l’air déplacé par la robe de la reine fit onduler les tiges de gazon presque sous les mains de Charny.

Il sentit les parfums qu’il avait accoutumé d’adorer chez la reine: cette verveine mêlée au réséda; double ivresse pour ses sens et pour son souvenir.

Les femmes passèrent et disparurent.

Puis, quelques minutes après, vint l’inconnu, dont le jeune homme ne s’était plus occupé pendant tout le trajet que fit la reine jusqu’à la porte; il baisait avec passion, avec folie, une rose toute fraîche, tout embaumée, qui certainement était celle dont Charny avait remarqué la beauté quand la reine était entrée dans le parc, et que tout à l’heure il venait de voir tomber des mains de sa souveraine.

Une rose, un baiser sur cette rose! S’agissait-il d’ambassade et de secrets d’État?

Charny faillit perdre la raison. Il allait s’élancer sur cet homme et lui arracher cette fleur, quand la compagne de la reine reparut et cria:

– Venez, monseigneur!

Charny crut à la présence de quelque prince du sang, et s’appuya contre l’arbre pour ne pas se laisser tomber à demi mort sur le gazon.

L’inconnu se lança du côté d’où venait la voix et disparut avec la dame.