– Ne vous désespérez pas, tâchez seulement d’éviter l’éclat.
– Oh! comme je vais me renfermer chez mon protecteur. Si j’allais tout lui avouer?
– Jolie idée! Un homme qui vous élève à la brochette, en vous dissimulant son amour; un homme qui n’attend qu’un mot de vous pour vous adorer, et auquel vous irez dire que vous avez commis cette imprudence avec un autre. Je dis imprudence, notez bien cela; sans compter ce qu’il soupçonnera.
– Mon Dieu! vous avez raison.
– Il y a plus: le bruit de cela va se répandre, la recherche des magistrats éveillera les scrupules de votre protecteur. Qui sait si, pour se mettre bien en cour, il ne vous livrera pas?
– Oh!
– Admettons qu’il vous chasse purement et simplement, que deviendrez-vous?
– Je sais que je suis perdue.
– Et monsieur de Beausire, quand il apprendra cela, dit lentement Jeanne, en étudiant l’effet de ce dernier coup.
Oliva bondit. D’un coup violent elle démolit tout l’édifice de sa coiffure.
– Il me tuera. Oh! non, murmura-t-elle, je me tuerai moi-même.
Puis se tournant vers Jeanne.
– Vous ne pouvez pas me sauver, dit-elle avec désespoir, non, puisque vous êtes perdue vous-même.
– J’ai, répliqua Jeanne, au fond de la Picardie, un petit coin de terre, une ferme. Si l’on pouvait sans être vue gagner ce refuge avant l’éclat, peut-être resterait-il une chance?
– Mais ce fou, il vous connaît, il vous trouvera toujours bien.
– Oh! vous partie, vous cachée, vous introuvable, je ne craindrais plus le fou. Je lui dirais tout haut: Vous êtes un insensé d’avancer de pareilles choses, prouvez-les: ce qui lui serait impossible; tout bas je lui dirais: Vous êtes un lâche!
– Je partirai quand et comme il vous plaira, dit Oliva.
– Je crois que c’est sage, répliqua Jeanne.
– Faut-il partir tout de suite?
– Non, attendez que j’aie préparé toutes choses pour le succès. Cachez-vous, ne vous montrez pas, même à moi. Déguisez-vous même en regardant dans votre miroir.
– Oui, oui, comptez sur moi, chère amie.
– Et pour commencer, rentrons; nous n’avons plus rien à nous dire.
– Rentrons. Combien vous faut-il de temps pour vos préparatifs?
– Je ne sais; mais faites attention à une chose: d’ici au jour de votre départ, je ne me montrerai pas à ma fenêtre. Si vous m’y voyez, comptez que ce sera pour le jour même, et tenez-vous prête.
– Oui, merci, ma bonne amie.
Elles retournèrent lentement vers la rue Saint-Claude, Oliva n’osant plus parler à Jeanne, Jeanne songeant trop profondément pour parler à Oliva.
En arrivant, elles s’embrassèrent; Oliva demanda humblement pardon à son amie de tout ce qu’elle avait causé de malheurs avec son étourderie.
– Je suis femme, répliqua madame de La Motte, en parodiant le poète latin, et toute faiblesse de femme m’est familière.
Chapitre 25
La fuite
Ce qu’avait promis Oliva, elle le tint.
Ce qu’avait promis Jeanne, elle le fit.
Dès le lendemain, Nicole avait complètement dissimulé son existence à tout le monde, nul ne pouvait soupçonner qu’elle habitait la maison et la rue Saint-Claude.
Toujours abritée derrière un rideau ou derrière un paravent, toujours calfeutrant la fenêtre, en dépit des rayons de soleil qui venaient joyeusement y mordre.
Jeanne, qui, de son côté, préparait tout, sachant que le lendemain devait amener l’échéance du premier paiement de cinq cent mille livres, Jeanne s’arrangeait de façon à ne laisser derrière elle aucun endroit sensible pour le moment où la bombe éclaterait.
Ce moment terrible était le dernier but de ses observations.
Elle avait calculé sagement l’alternative d’une fuite qui était facile, mais cette fuite c’était l’accusation la plus positive.
Rester, rester immobile comme le duelliste sous le coup de l’adversaire; rester avec la chance de tomber, mais aussi avec la chance de tuer son ennemi, telle fut la détermination de la comtesse.
Voilà pourquoi, dès le lendemain de son entrevue avec Oliva, elle se montra vers deux heures à sa fenêtre, pour indiquer à la fausse reine qu’il était temps de s’apprêter le soir à prendre du champ.
Dire la joie, dire la terreur d’Oliva, ce serait impossible. Nécessité de s’enfuir signifiait danger; possibilité de fuir signifiait salut.
Elle se mit à envoyer un baiser éloquent à Jeanne, puis fit ses préparatifs en mettant dans son petit paquet quelque peu des effets précieux de son protecteur.
Jeanne, après son signal, disparut de chez elle pour s’occuper de trouver le carrosse auquel on remettrait la chère destinée de mademoiselle Nicole.
Et puis ce fut tout – tout ce que le plus curieux observateur eût pu démêler parmi les indices ordinairement significatifs de l’intelligence des deux amies.
Rideaux fermés, fenêtre close, lumière tardivement errante. Puis, on ne sait trop quels frôlements, quels bruits mystérieux, quels bouleversements auxquels succéda l’ombre avec le silence.
Onze heures du soir sonnaient à Saint-Paul, et le vent de la rivière amenait les coups lugubrement espacés jusqu’à la rue Saint-Claude, lorsque Jeanne arriva dans la rue Saint-Louis avec une chaise de poste attelée de trois vigoureux chevaux.
Sur le siège de cette chaise, un homme enveloppé dans un manteau indiquait l’adresse au postillon.
Jeanne tira cet homme par le bord de son manteau, le fit arrêter au coin de la rue du Roi-Doré.
L’homme vint parler à la maîtresse.
– Que la chaise reste ici, mon cher monsieur Réteau, dit Jeanne; une demi-heure suffira. J’amènerai ici quelqu’un qui montera dans la voiture, et que vous ferez mener en payant doubles guides à ma petite maison d’Amiens.
– Oui, madame la comtesse.
– Là, vous remettrez cette personne à mon métayer Fontaine, qui sait ce qui lui reste à faire.
– Oui, madame.
– J’oubliais… vous êtes armé, mon cher Réteau?
– Oui, madame.
– Cette dame est menacée par un fou… Peut-être voudra-t-on l’arrêter en chemin…
– Que ferai-je?
– Vous ferez feu sur quiconque empêcherait votre marche.
– Oui, madame.
– Vous m’avez demandé vingt louis de gratification pour ce que vous savez, j’en donnerai cent, et je paierai le voyage que vous allez faire à Londres, où vous m’attendrez avant trois mois.
– Oui, madame.
– Voici les cent louis. Je ne vous verrai sans doute plus, car il est prudent pour vous de gagner Saint-Valery et de vous embarquer sur-le-champ pour l’Angleterre.
– Comptez sur moi.
– C’est pour vous.
– C’est pour nous, dit monsieur Réteau en baisant la main de la comtesse. Ainsi, j’attends.
– Et moi, je vais vous expédier la dame.
Réteau entra dans la chaise à la place de Jeanne, qui, d’un pied léger, gagna la rue Saint-Claude et monta chez elle.
Tout dormait dans cet innocent quartier. Jeanne elle-même alluma la bougie qui, levée au-dessus du balcon, devait être le signal pour Oliva de descendre.
«Elle est fille de précaution», se dit la comtesse en voyant la fenêtre sombre.
Jeanne leva et abaissa trois fois sa bougie.
Rien. Mais il lui sembla entendre comme un soupir ou un oui, lancé imperceptiblement dans l’air, sous les feuillages de la fenêtre.
«Elle descendra sans avoir rien allumé, se dit Jeanne; ce n’est pas un mal.»
Et elle descendit elle-même dans la rue.
La porte ne s’ouvrait pas. Oliva s’était sans doute embarrassée de quelques paquets lourds ou gênants.
– La sotte, dit la comtesse en maugréant; que de temps perdu pour des chiffons.
Rien ne venait. Jeanne alla jusqu’à la porte en face.
Rien. Elle écouta en collant son oreille aux clous de fer à large tête.