Выбрать главу

La comtesse lut en frissonnant:

«Monsieur de Beausire trouvera mademoiselle Oliva rue Saint-Claude, au coin du boulevard; il la trouvera et l’emmènera sur-le-champ. C’est une amie bien sincère qui le lui conseille. Il est temps.»

– Oh! fit la comtesse en froissant le papier.

– Et il l’a emmenée, dit froidement Cagliostro.

– Mais qui a écrit ce billet? dit Jeanne.

– Vous, apparemment, vous l’amie sincère d’Oliva.

– Mais comment est-il entré ici? s’écria Jeanne, en regardant avec rage son impassible interlocuteur.

– Est-ce qu’on n’entre pas avec votre clef? dit Cagliostro à Jeanne.

– Mais puisque je l’ai, monsieur Beausire ne l’avait pas.

– Quand on a une clef, on peut en avoir deux, répliqua Cagliostro en la regardant en face.

– Vous avez là des pièces convaincantes, répondit lentement la comtesse, tandis que moi je n’ai que des soupçons.

– Oh! j’en ai aussi, dit Cagliostro, et qui valent bien les vôtres, madame.

En disant ces mots, il la congédia par un geste imperceptible.

Elle se mit à descendre; mais le long de cet escalier désert, sombre, qu’elle avait monté, elle trouva vingt bougies et vingt laquais espacés, devant lesquels Cagliostro l’appela hautement et à dix reprises: Madame la comtesse de La Motte.

Elle sortit, soufflant la fureur et la vengeance, comme le basilic souffle le feu et le poison.

Chapitre 26

La lettre et le reçu

Le lendemain de ce jour était le dernier délai du paiement fixé par la reine elle-même aux joailliers Bœhmer et Bossange.

Comme la missive de Sa Majesté leur recommandait la circonspection, ils attendirent que les cinq cent mille livres leur arrivassent.

Et comme chez tous les commerçants, si riches qu’ils soient, c’est une grave affaire qu’une rentrée de cinq cent mille livres, les associés préparèrent un reçu de la plus belle écriture de la maison.

Le reçu resta inutile; personne ne vint l’échanger contre les cinq cent mille livres.

La nuit se passa fort cruellement pour les joailliers dans l’attente d’un messager presque invraisemblable. Cependant la reine avait des idées extraordinaires; elle avait besoin de se cacher; son courrier n’arriverait peut-être qu’après minuit.

L’aube du lendemain détrompa Bœhmer et Bossange de leurs chimères. Bossange prit sa résolution et se rendit à Versailles dans un carrosse au fond duquel l’attendait son associé.

Il demanda d’être introduit auprès de la reine. On lui répondit que s’il n’avait pas de lettre d’audience, il n’entrerait pas.

Étonné, inquiet, il insista; et comme il savait son monde, et comme il avait eu le talent de placer çà et là, dans les antichambres, quelque petite pierre de rebut, on le protégea pour le mettre sur le passage de Sa Majesté lorsqu’elle reviendrait de se promener dans Trianon.

En effet, Marie-Antoinette, toute frémissante encore de cette entrevue avec Charny où elle s’était faite amante sans devenir maîtresse, Marie-Antoinette revenait, le cœur plein de joie et l’esprit tout radieux, lorsqu’elle aperçut la figure un peu contrite et toute respectueuse de Bœhmer.

Elle lui fit un sourire qu’il interpréta de la façon la plus heureuse, et il se hasarda à demander un moment d’audience que la reine lui promit pour deux heures, c’est-à-dire après son dîner. Il alla porter cette excellente nouvelle à Bossange qui attendait dans la voiture, et qui, souffrant d’une fluxion, n’avait pas voulu montrer à la reine une figure disgracieuse.

– Nul doute, se dirent-ils, en commentant les moindres gestes, les moindres mots de Marie-Antoinette, nul doute que Sa Majesté n’ait en son tiroir la somme qu’elle n’aura pu avoir hier; elle a dit à deux heures, parce que à deux heures elle sera seule.

Et ils se demandèrent, comme les compagnons de la fable, s’ils emporteraient la somme en billets, en or ou en argent.

Deux heures sonnèrent, le joaillier fut à son poste; on l’introduisit dans le boudoir de Sa Majesté.

– Qu’est-ce encore, Bœhmer, dit la reine du plus loin qu’elle l’aperçut, est-ce que vous voulez me parler bijoux? Vous avez du malheur, vous savez?

Bœhmer crut que quelqu’un était caché, que la reine avait peur d’être entendue. Il prit donc un air d’intelligence pour répondre en regardant autour de lui:

– Oui, madame.

– Que cherchez-vous là? dit la reine surprise. Vous avez quelque secret, hein?

Il ne répondit rien, un peu suffoqué qu’il était par cette dissimulation.

– Le même secret qu’autrefois; un joyau à vendre, continua la reine, quelque pièce incomparable? Oh! ne vous effrayez pas ainsi: il n’y a personne pour nous entendre.

– Alors… murmura Bœhmer.

– Eh bien! quoi?…

– Alors, je puis dire à Sa Majesté…

– Mais dites vite, mon cher Bœhmer.

Le joaillier s’approcha avec un gracieux sourire.

– Je puis dire à Sa Majesté que la reine nous a oubliés hier, dit-il en montrant ses dents un peu jaunes, mais toutes bienveillantes.

– Oubliés! en quoi? fit la reine surprise.

– En ce que hier… était le terme…

– Le terme!… quel terme?

– Oh! mais, pardon, Votre Majesté, si je me permets… Je sais bien qu’il y a indiscrétion. Peut-être la reine n’est-elle pas préparée. Ce serait un grand malheur: mais, enfin…

– Ah çà! Bœhmer, s’écria la reine, je ne comprends pas un mot à tout ce que vous me dites. Expliquez-vous donc, mon cher.

– C’est que Votre Majesté a perdu la mémoire. C’est bien naturel, au milieu de tant de préoccupations.

– La mémoire de quoi? encore un coup.

– C’était hier le premier paiement du collier, dit Bœhmer timidement.

– Vous avez donc vendu votre collier? fit la reine.

– Mais… dit Bœhmer en la regardant avec stupéfaction, mais il me semble que oui.

– Et ceux à qui vous avez vendu ne vous ont pas payé, mon pauvre Bœhmer; tant pis. Il faut que ces gens-là fassent comme j’ai fait; il faut que, ne pouvant acheter le collier, ils vous le rendent en vous laissant les acomptes.

– Plait-il?… balbutia le joaillier qui chancela comme le voyageur imprudent qui reçoit sur la tête un coup de soleil d’Espagne. Qu’est-ce que Votre Majesté me fait l’honneur de me dire?

– Je dis, mon pauvre Bœhmer, que si dix acheteurs vous rendent votre collier comme je vous l’ai rendu en vous laissant deux cent mille livres de pot-de-vin, cela vous fera deux millions, plus le collier.

– Votre Majesté… s’écria Bœhmer ruisselant de sueur, dit bien qu’elle m’a rendu le collier?

– Mais oui, je le dis, répliqua la reine tranquillement. Qu’avez-vous?

– Quoi! continua le joaillier, Votre Majesté nie m’avoir acheté le collier?

– Ah çà! mais quelle comédie jouons-nous, dit sévèrement la reine. Est-ce que ce maudit collier est destiné à faire toujours perdre la tête à quelqu’un?

– Mais, reprit Bœhmer, tremblant de tous ses membres, c’est qu’il me semblait avoir entendu de la bouche même de Votre Majesté… qu’elle m’avait rendu, Votre Majesté a dit RENDU le collier de diamants.

La reine regarda Bœhmer en se croisant les bras.

– Heureusement, dit-elle, que j’ai là de quoi vous rafraîchir la mémoire, car vous êtes un homme bien oublieux, monsieur Bœhmer, pour ne rien dire de plus désagréable.

Elle alla droit à son chiffonnier, en tira un papier qu’elle ouvrit, qu’elle parcourut et qu’elle tendit lentement au malheureux Bœhmer.

– Le style est assez clair, dit-elle, je suppose. Et elle s’assit pour mieux regarder le joaillier pendant qu’il lisait.

Le visage de celui-ci exprima d’abord la plus complète incrédulité, puis, par degrés, l’effroi le plus terrible.