– Eh bien! dit la reine. Vous reconnaissez ce reçu qui atteste en si bonne forme que vous avez repris le collier; et, à moins que vous n’ayez oublié aussi que vous vous appelez Bœhmer…
– Mais, madame, s’écria Bœhmer étranglant de rage et de frayeur tout ensemble, ce n’est pas moi qui ai signé ce reçu-là.
La reine recula en foudroyant cet homme de ses deux yeux flamboyants.
– Vous niez! dit-elle.
– Absolument… Dussé-je laisser ici ma liberté, ma vie, je n’ai jamais reçu le collier; je n’ai jamais signé ce reçu. Le billot serait ici, le bourreau serait là, que je répéterais encore: non, Votre Majesté, ce reçu n’est pas de moi.
– Alors, monsieur, dit la reine en pâlissant légèrement, je vous ai donc volé, moi; j’ai donc votre collier, moi?
Bœhmer fouilla dans son portefeuille et en tira une lettre qu’il tendit à son tour à la reine…
– Je ne crois pas, madame, dit-il d’une voix respectueuse, mais altérée par l’émotion, je ne crois pas que si Votre Majesté m’avait voulu rendre le collier, elle eût écrit la reconnaissance que voici.
– Mais, s’écria la reine, qu’est-ce que ce chiffon? Je n’ai jamais écrit cela, moi! Est-ce que c’est là mon écriture?
– C’est signé, dit Bœhmer pulvérisé.
– Marie-Antoinette de France… Vous êtes fou! Est-ce que je suis de France, moi? Est-ce que je ne suis pas archiduchesse d’Autriche? Est-ce qu’il n’est pas absurde que j’aie écrit cela! Allons donc, monsieur Bœhmer, le piège est trop grossier; allez-vous-en le dire à vos faussaires.
– À mes faussaires… balbutia le joaillier, qui faillit s’évanouir en entendant ces paroles. Votre Majesté me soupçonne, moi, Bœhmer?
– Vous me soupçonnez bien, moi, Marie-Antoinette! dit la reine avec hauteur.
– Mais cette lettre, objecta-t-il encore en désignant le papier qu’elle tenait toujours.
– Et ce reçu, répliqua-t-elle, en lui montrant le papier qu’il n’avait pas quitté.
Bœhmer fut obligé de s’appuyer sur un fauteuil; le parquet tourbillonnait sous lui. Il aspirait l’air à grands flots, et la couleur pourprée de l’apoplexie remplaçait la livide pâleur de la défaillance.
– Rendez-moi mon reçu, dit la reine, je le tiens pour bon, et reprenez votre lettre signée Antoinette de France; le premier procureur vous dira ce que cela vaut.
En lui ayant jeté le billet, après avoir arraché le reçu de ses mains, elle tourna le dos et passa dans une pièce voisine, abandonnant à lui seul le malheureux qui n’avait plus une idée, et qui, contre toute étiquette, se laissa tomber dans un fauteuil.
Cependant, après quelques minutes qui servirent à le remettre, il s’élança, tout étourdi, de l’appartement, et vint retrouver Bossange, auquel il raconta l’aventure, de façon à se faire soupçonner fort par son associé.
Mais il répéta si bien et tant de fois son dire, que Bossange commença à arracher sa perruque, tandis que Bœhmer arrachait ses cheveux, ce qui fit, pour les gens qui passaient et dont le regard plongea dans la voiture, le spectacle le plus douloureux et le plus comique à la fois.
Cependant, comme on ne peut passer une journée entière dans un carrosse; comme, après s’être arraché cheveux ou perruque on trouve le crâne, et que sous le crâne sont ou doivent être les idées, les deux joailliers trouvèrent celle de se réunir pour forcer, s’il était possible, la porte de la reine, et obtenir quelque chose qui ressemblât à une explication.
Ils s’acheminaient donc vers le château, dans un état à faire pitié, lorsqu’ils furent rencontrés par un des officiers de la reine qui les mandait l’un ou l’autre. Qu’on pense de leur joie et de leur empressement à obéir.
Ils furent introduits sans retard.
Chapitre 27
Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan je suis
La reine paraissait attendre impatiemment; aussi, dès qu’elle aperçut les joailliers:
– Ah! voici monsieur Bossange, dit-elle vivement; vous avez pris du renfort, Bœhmer, tant mieux.
Bœhmer n’avait rien à dire; il pensait beaucoup. Ce qu’on a de mieux à faire en pareil cas, c’est de procéder par le geste; Bœhmer se jeta aux pieds de Marie-Antoinette.
Le geste était expressif.
Bossange l’imita comme son associé.
– Messieurs, dit la reine, je suis calme à présent, et je ne m’irriterai plus. Il m’est venu d’ailleurs une idée qui modifie mes sentiments à votre égard. Nul doute qu’en cette affaire nous ne soyons, vous et moi, dupes de quelque petit mystère… qui n’est plus un mystère pour moi.
– Ah! madame! s’écria Bœhmer enthousiasmé par ces paroles de la reine, vous ne me soupçonnez donc plus… d’avoir fait… Oh! le vilain mot à prononcer que celui de faussaire!
– Il est aussi dur pour moi de l’entendre, je vous prie de le croire, que pour vous de le prononcer, dit la reine. Je ne vous soupçonne plus, non.
– Votre Majesté soupçonne-t-elle quelqu’un alors?
– Répondez à mes questions. Vous dites que vous n’avez plus les diamants?
– Nous ne les avons plus, répondirent ensemble les deux joailliers.
– Peu vous importe de savoir à qui je les avais remis pour vous, cela me regarde. Est-ce que vous n’avez pas vu… madame la comtesse de La Motte?
– Pardonnez, madame, nous l’avons vue…
– Et elle ne vous a rien donné… de ma part?
– Non, madame. Madame la comtesse nous a dit seulement: Attendez.
– Mais cette lettre de moi, qui l’a remise?
– Cette lettre? répliqua Bœhmer; celle que Votre Majesté a eue dans les mains, celle-ci, c’est un messager inconnu qui l’a apportée chez nous pendant la nuit.
Et il montrait la fausse lettre.
– Ah! ah! fit la reine, bien; vous voyez qu’elle ne vient pas directement de moi.
Elle sonna, un valet de pied parut…
– Qu’on fasse mander madame la comtesse de La Motte, dit tranquillement la reine. Et, continua-t-elle avec le même calme, vous n’avez vu personne, vous n’avez pas vu monsieur de Rohan?
– Monsieur de Rohan, si fait, madame, il est venu nous rendre visite et s’informer…
– Très bien! répliqua la reine; n’allons pas plus loin; du moment que monsieur le cardinal de Rohan se trouve encore mêlé à cette affaire, vous auriez tort de vous désespérer. Je devine: madame de La Motte, en vous disant ce mot: Attendez, aura voulu… Non, je ne devine rien et je ne veux rien deviner… Allez seulement trouver monsieur le cardinal, et lui racontez ce que vous venez de me dire; ne perdez pas de temps, et ajoutez que je sais tout.
Les joailliers, ranimés par cette petite flamme d’espérance, échangèrent entre eux un regard moins effrayé.
Bossange seul, qui voulait placer son mot, se hasarda bien bas à dire:
– Que, cependant, la reine avait entre les mains un faux reçu, et qu’un faux est un crime.
Marie-Antoinette fronça le sourcil.
– Il est vrai, dit-elle, que si vous n’avez pas reçu le collier, cet écrit constitue un faux. Mais pour constater le faux, il est indispensable que je vous confronte avec la personne que j’ai chargée de vous remettre les diamants.
– Quand Votre Majesté voudra, s’écria Bossange; nous ne craignons pas la lumière, nous autres honnêtes marchands.
– Alors, allez chercher la lumière auprès de monsieur le cardinal, lui seul peut nous éclairer dans tout ceci.
– Et Votre Majesté nous permettra de lui rapporter la réponse? demanda Bœhmer.
– Je serai instruite avant vous, dit la reine, c’est moi qui vous tirerai d’embarras. Allez.
Elle les congédia, et lorsqu’ils furent partis, se livrant à toute son inquiétude, elle envoya courrier sur courrier à madame de La Motte.
Nous ne la suivrons pas dans ses recherches et dans ses soupçons, nous l’abandonnerons, au contraire, pour mieux courir avec les joailliers au-devant de cette vérité si désirée.