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– Eh bien! mais vous ne rougissez pas de me citer monsieur de Rohan, l’homme le plus ruiné de ce royaume!

– Sire… dit monsieur de Breteuil en baissant les yeux.

– Voilà un air qui me déplaît, ajouta le roi; et vous vous expliquerez tout à l’heure, monsieur le garde des Sceaux.

– Non, sire; pour rien au monde, attendu que rien au monde ne me forcerait à laisser tomber de mes lèvres un mot compromettant pour l’honneur de mon roi et celui de ma souveraine.

Le roi fronça le sourcil.

– Nous descendons bien bas, monsieur de Breteuil, dit-il; ce rapport de police est tout imprégné des vapeurs de la sentine d’où il sort.

– Toute calomnie exhale des miasmes mortels, sire, et voilà pourquoi il faut que les rois purifient, et par de grands moyens, s’ils ne veulent pas que leur honneur soit tué par ces poisons, même sur le trône.

– Monsieur de Rohan! murmura le roi; mais quelle vraisemblance?… Le cardinal laisse donc dire?…

– Votre Majesté se convaincra, sire, que monsieur de Rohan a été en pourparlers avec les joailliers Bœhmer et Bossange; que l’affaire de la vente a été réglée par lui, qu’il a stipulé et pris des conditions de paiement.

– En vérité! s’écria le roi tout troublé par la jalousie et la colère.

– C’est un fait que le plus simple interrogatoire prouvera. Je m’y engage envers Votre Majesté.

– Vous dites que vous vous y engagez?

– Sans réserve, sous ma responsabilité, sire.

Le roi se mit à marcher vivement dans son cabinet.

– Voilà de terribles choses, répétait-il; et oui, mais dans tout cela je ne vois pas encore ce vol.

– Sire, les joailliers ont un reçu signé, disent-ils, de la reine, et la reine doit avoir le collier.

– Ah! s’écria le roi, avec une explosion d’espoir; elle nie! vous voyez bien qu’elle nie, Breteuil.

– Eh! sire, ai-je jamais laissé croire à Votre Majesté que je ne savais pas l’innocence de la reine? Serais-je assez à plaindre pour que Votre Majesté ne vît pas tout le respect, tout l’amour qui sont dans mon cœur pour la plus pure des femmes!

– Vous n’accusez que monsieur de Rohan, alors…

– Mais sire, l’apparence conseille…

– Grave accusation, baron.

– Qui tombera peut-être devant une enquête; mais l’enquête est indispensable. Songez donc, sire, que la reine prétend n’avoir pas le collier; que les joailliers prétendent l’avoir vendu à la reine; que le collier ne se retrouve pas, et que le mot vol a été prononcé dans le peuple, entre le nom de monsieur de Rohan et le nom sacré de la reine.

– Il est vrai, il est vrai, dit le roi tout bouleversé; vous avez raison, Breteuil; il faut que toute cette affaire soit éclaircie.

– Absolument, sire.

– Mon Dieu! qu’est-ce qui passe là-bas dans la galerie? Est-ce que ce n’est pas monsieur de Rohan qui se rend à la chapelle?

– Pas encore, sire; monsieur de Rohan ne peut se rendre à la chapelle. Il n’est pas onze heures, et puis monsieur de Rohan, qui officie aujourd’hui, serait revêtu de ses habits pontificaux. Ce n’est pas lui qui passe. Votre Majesté dispose encore d’une demi-heure.

– Que faire alors? Lui parler? Le faire venir?

– Non, sire; permettez-moi de donner un conseil à Votre Majesté; n’ébruitez pas l’affaire avant d’avoir causé avec Sa Majesté la reine.

– Oui, dit le roi, elle me dira la vérité.

– N’en doutons pas un seul instant, sire.

– Voyons, baron, mettez-vous là, et, sans réserve, sans atténuation, dites-moi chaque fait, chaque commentaire.

– J’ai tout détaillé dans ce portefeuille, avec les preuves à l’appui.

– À la besogne alors, attendez que je fasse fermer la porte de mon cabinet; j’avais deux audiences ce matin, je les remettrai.

Le roi donna ses ordres, et, se rasseyant, jeta un dernier regard par la fenêtre.

– Cette fois, dit-il, c’est bien le cardinal, regardez.

Breteuil se leva, s’approcha de la fenêtre, et derrière le rideau aperçut monsieur de Rohan qui, en grand habit de cardinal et d’archevêque, se dirigeait vers l’appartement qui lui était désigné chaque fois qu’il venait officier solennellement à Versailles.

– Le voici enfin arrivé, s’écria le roi en se levant.

– Tant mieux, dit monsieur de Breteuil, l’explication ne souffrira aucun délai.

Et il se mit à renseigner le roi avec tout le zèle d’un homme qui en veut perdre un autre.

Un art infernal avait réuni dans son portefeuille tout ce qui pouvait accabler le cardinal. Le roi voyait bien s’entasser l’une sur l’autre les preuves de la culpabilité de monsieur de Rohan, mais il se désespérait de ne pas voir arriver assez vite les preuves de l’innocence de la reine.

Il souffrait impatiemment ce supplice depuis un quart d’heure, lorsque tout à coup des cris retentirent dans la galerie voisine.

Le roi prêta l’oreille, Breteuil interrompit sa lecture.

Un officier vint gratter à la porte du cabinet.

– Qu’y a-t-il? demanda le roi, dont tous les nerfs étaient mis en jeu depuis la révélation de monsieur de Breteuil.

L’officier se présenta.

– Sire, Sa Majesté la reine prie Votre Majesté de vouloir bien passer chez elle.

– Il y a du nouveau, dit le roi en pâlissant.

– Peut-être, dit Breteuil.

– Je vais chez la reine, s’écria le roi. Attendez-nous ici, monsieur de Breteuil.

– Bien, nous touchons au dénouement, murmura le garde des Sceaux.

Chapitre 29

Gentilhomme, cardinal et reine

À l’heure où monsieur de Breteuil était entré chez le roi, monsieur de Charny, pâle, agité, avait fait demander une audience à la reine.

Celle-ci s’habillait; elle vit, par la fenêtre de son boudoir donnant sur la terrasse, Charny qui insistait pour être introduit.

Elle donna ordre qu’on le fît entrer, avant même qu’il eût achevé sa demande.

Car elle cédait au besoin de son cœur; car elle se disait avec une noble fierté qu’un amour pur et immatériel comme le sien a droit d’entrer à toute heure dans le palais même des reines.

Charny entra, toucha en tremblant la main que la reine lui tendait, et d’une voix étouffée:

– Ah! madame, dit-il, quel malheur!

– En effet, qu’avez-vous? s’écria-t-elle en pâlissant de voir son ami si pâle.

– Madame, savez-vous ce que je viens d’apprendre? Savez-vous ce que l’on dit? Savez-vous ce que le roi sait peut-être, ou ce qu’il saura demain?

Elle frissonna, songeant à cette nuit de chastes délices où peut-être un œil jaloux, ennemi, l’avait vue dans le parc de Versailles avec Charny.

– Dites tout, je suis forte, répondit-elle en appuyant une main sur son cœur.

– On dit, madame, que vous avez acheté un collier à Bœhmer et Bossange.

– Je l’ai rendu, fit-elle vivement.

– Écoutez, on dit que vous avez feint de le rendre, que vous comptiez le pouvoir payer, que le roi vous en a empêché en refusant de signer un bon de monsieur de Calonne; qu’alors vous vous êtes adressée à quelqu’un pour trouver de l’argent, et que cette personne est… votre amant.

– Vous! s’écria la reine avec un mouvement de confiance sublime. Vous! monsieur; eh! laissez dire ceux qui disent cela. Le titre d’amant n’est pas pour eux une injure aussi douce à lancer que le titre d’ami n’est une douce vérité consacrée désormais entre nous deux.

Charny s’arrêta confondu par cette éloquence mâle et féconde qui s’exhale de l’amour vrai, comme le parfum essentiel du cœur de toute généreuse femme.

Mais l’intervalle qu’il mit à répondre doubla l’inquiétude de la reine. Elle s’écria:

– De quoi voulez-vous parler, monsieur de Charny? La calomnie a un langage que je ne comprends jamais. Est-ce que vous l’avez compris, vous?

– Madame, veuillez me prêter une attention soutenue, la circonstance est grave. Hier, je suis allé avec mon oncle, monsieur de Suffren, chez les joailliers de la cour, Bœhmer et Bossange. Mon oncle a rapporté des diamants de l’Inde. Il voulait les faire estimer. On a parlé de tout et de tous. Les joailliers ont raconté à monsieur le bailli une affreuse histoire commentée par les ennemis de Votre Majesté. Madame, je suis au désespoir; vous avez acheté le collier, dites-le-moi; vous ne l’avez pas payé, dites-le-moi encore. Mais ne me laissez pas croire que monsieur de Rohan l’a payé pour vous.