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Et un second regard, plus méprisant que le premier, termina sa phrase et sa pensée.

La reine frissonna. Ce mépris du cardinal n’était pas pour elle une insulte, puisqu’elle ne la méritait pas, mais ce devait être la vengeance d’un honnête homme, elle s’effraya.

– Monsieur le cardinal, reprit le roi, il ne reste pas moins dans cette affaire un faux qui a compromis la signature de la reine de France.

– Un autre faux, s’écria la reine, et celui-là peut-il être imputé à un gentilhomme, c’est celui qui prétend que les joailliers ont repris le collier.

– Libre à la reine, dit monsieur de Rohan du même ton, de m’attribuer les deux faux; en avoir fait un, en avoir fabriqué deux, où est la différence?

La reine faillit éclater d’indignation, le roi la retint d’un geste.

– Prenez garde, dit-il encore au cardinal, vous aggravez votre position, monsieur. Je vous dis: Justifiez-vous, et vous avez l’air d’accuser.

Le cardinal réfléchit un moment; puis, comme s’il succombait sous le poids de cette mystérieuse calomnie qui étreignait son honneur:

– Me justifier, dit-il, impossible!

– Monsieur, il y a là des gens qui disent qu’un collier leur a été volé; en proposant de le payer vous avouez que vous êtes coupable.

– Qui le croira? dit le cardinal avec un superbe dédain.

– Alors, monsieur, si vous ne supposez pas qu’on le croie, on croira donc.

Et un frissonnement de colère bouleversa le visage ordinairement si placide du roi…

– Sire, je ne sais rien de ce qui s’est dit, reprit le cardinal, je ne sais rien de ce qui s’est fait; tout ce que je puis affirmer, c’est que je n’ai pas eu le collier; tout ce que je puis affirmer, c’est que les diamants sont au pouvoir de quelqu’un qui devrait se nommer, qui ne le veut pas, et me force ainsi à lui dire cette parole de l’Écriture: Le mal retombe sur la tête de celui qui l’a commis.

À ces mots, la reine fit un mouvement pour prendre le bras du roi, qui lui dit:

– Le débat est entre vous et lui, madame. Une dernière fois, avez-vous ce collier?

– Non! sur l’honneur de ma mère, sur la vie de mon fils! répondit la reine.

Le roi, plein de joie après cette déclaration, se tourna vers le cardinaclass="underline"

– Alors, c’est une affaire entre la justice et vous, monsieur, dit-il; à moins que vous ne préfériez vous en rapporter à ma clémence.

– La clémence des rois est faite pour les coupables, sire, répondit le cardinal; je lui préfère la justice des hommes.

– Vous ne voulez rien avouer?

– Je n’ai rien à dire.

– Mais enfin, monsieur! s’écria la reine, votre silence laisse mon honneur en jeu!

Le cardinal se tut.

– Eh bien! moi, je ne me tairai pas, continua la reine; ce silence me brûle, il atteste une générosité dont je ne veux pas. Apprenez, sire, que tout le crime de monsieur le cardinal n’est pas dans la vente ou dans le vol du collier.

Monsieur de Rohan releva la tête et pâlit.

– Qu’est-ce à dire? fit le roi inquiet.

– Madame!… murmura le cardinal épouvanté.

– Oh! nulle raison, nulle crainte, nulle faiblesse ne me fermera la bouche; j’ai là, dans mon cœur, des motifs qui me pousseraient à crier mon innocence sur une place publique.

– Votre innocence! dit le roi. Eh! madame, qui serait assez téméraire ou assez lâche pour obliger Votre Majesté à prononcer ce mot!

– Je vous supplie, madame, dit le cardinal.

– Ah! vous commencez à trembler. J’avais donc deviné juste; vos complots aiment l’ombre! À moi le grand jour! Sire, sommez monsieur le cardinal de vous dire ce qu’il m’a dit tout à l’heure, ici, à cette place.

– Madame! madame! fit monsieur de Rohan, prenez garde; vous passez les bornes.

– Plaît-il? fit le roi avec hauteur. Qui donc parle ainsi à la reine? Ce n’est pas moi, je suppose?

– Voilà justement, sire, dit Marie-Antoinette. Monsieur le cardinal parle ainsi à la reine, parce qu’il prétend en avoir le droit.

– Vous, monsieur! murmura le roi devenu livide.

– Lui! s’écria la reine avec mépris, lui!

– Monsieur le cardinal a des preuves? reprit le roi en faisant un pas vers le prince.

– Monsieur de Rohan a des lettres, à ce qu’il dit! fit la reine.

– Voyons, monsieur! insista le roi.

– Ces lettres! cria la reine avec emportement, ces lettres!

Le cardinal passa la main sur son front glacé par la sueur, et sembla demander à Dieu comment il avait pu former dans la créature tant d’audace et de perfidie. Mais il se tut.

– Oh! ce n’est pas tout, poursuivit la reine, qui s’animait peu à peu sous l’influence de sa générosité même, monsieur le cardinal a obtenu des rendez-vous.

– Madame! par pitié! fit le roi.

– Par pudeur! dit le cardinal.

– Enfin! monsieur, reprit la reine, si vous n’êtes pas le dernier des hommes, si vous tenez quelque chose pour sacré en ce monde, vous avez des preuves, fournissez-les.

Monsieur de Rohan releva lentement la tête et répliqua:

– Non! madame, je n’en ai pas.

– Vous n’ajouterez pas ce crime aux autres, continua la reine, vous n’entasserez pas sur moi opprobre après opprobre. Vous avez une aide, une complice, un témoin dans tout ceci: nommez-le, ou nommez-la.

– Qui donc? s’écria le roi.

– Madame de La Motte, sire, fit la reine.

– Ah! dit le roi, triomphant de voir enfin que ses préventions contre Jeanne se trouvaient justifiées; allons donc! Eh bien! qu’on la voie, cette femme, qu’on l’interroge.

– Ah! bien oui! s’écria la reine, elle a disparu. Demandez à monsieur ce qu’il en a fait. Il avait trop d’intérêt à ce qu’elle ne fût pas en cause.

– D’autres l’auront fait disparaître, répliqua le cardinal, qui avaient encore plus intérêt que moi. C’est ce qui fait qu’on ne la retrouvera point.

– Mais, monsieur, puisque vous êtes innocent, dit la reine avec fureur, aidez-nous donc à trouver les coupables.

Mais le cardinal de Rohan, après avoir lancé un dernier regard, tourna le dos et croisa ses bras.

– Monsieur! dit le roi offensé, vous allez vous rendre à la Bastille.

Le cardinal s’inclina, puis, d’un ton assuré:

– Ainsi vêtu? dit-il, dans mes habits pontificaux? devant toute la cour? Veuillez y réfléchir, sire, le scandale est immense. Il n’en sera que plus lourd pour la tête sur laquelle il retombera.

– Je le veux ainsi, fit le roi fort agité.

– C’est une douleur injuste que vous faites prématurément subir à un prélat, sire, et la torture avant l’accusation, ce n’est pas légal.

– Il faut qu’il en soit ainsi, répondit le roi en ouvrant la porte de la chambre, pour chercher des yeux quelqu’un à qui transmettre son ordre.

Monsieur de Breteuil était là; ses yeux dévorants avaient deviné dans l’exaltation de la reine, dans l’agitation du roi, dans l’attitude du cardinal, la ruine d’un ennemi.

Le roi n’avait pas achevé de lui parler bas, que le garde des Sceaux, usurpant les fonctions du capitaine des gardes, cria d’une voix éclatante, qui retentit jusqu’au fond des galeries:

– Arrêtez monsieur le cardinal!

Monsieur de Rohan tressaillit. Les murmures qu’il entendit sous les voûtes, l’agitation des courtisans, l’arrivée subite des gardes du corps donnaient à cette scène un caractère de sinistre augure.

Le cardinal passa devant la reine sans la saluer, ce qui fit bouillir le sang de la fière princesse. Il s’inclina très humblement en passant devant le roi, et prit en passant près de monsieur de Breteuil une expression de pitié si habilement nuancée, que le baron dut croire qu’il ne s’était pas assez vengé.

Un lieutenant des gardes s’approcha timidement et sembla demander au cardinal lui-même la confirmation de l’ordre qu’il venait d’entendre.