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_ Oui, monsieur, lui dit monsieur de Rohan; oui, c’est bien moi qui suis arrêté.

– Vous conduirez monsieur à son appartement, en attendant ce que j’aurai décidé pendant la messe, dit le roi au milieu d’un silence de mort.

Le roi demeura seul chez la reine, portes ouvertes, tandis que le cardinal s’éloignait lentement par la galerie, précédé du lieutenant des gardes, le chapeau à la main.

– Madame, dit le roi haletant, parce qu’il s’était contenu à grand-peine, vous savez que cela aboutit à un jugement public, c’est-à-dire à un scandale, sous lequel tombera l’honneur des coupables?

– Merci! s’écria la reine en serrant avec effusion les mains du roi, vous avez choisi le seul moyen de me justifier.

– Vous me remerciez.

– De toute mon âme. Vous avez agi en roi! moi, en reine! croyez-le bien.

– C’est bien, répondit le roi, comblé d’une vive joie, nous aurons raison enfin de toutes ces bassesses. Quand le serpent aura été une fois pour toutes écrasé par vous et par moi, nous vivrons tranquilles, j’espère.

Il baisa la reine au front et rentra chez lui.

Cependant, à l’extrémité de la galerie, monsieur de Rohan avait trouvé Bœhmer et Bossange à moitié évanouis dans les bras l’un de l’autre.

Puis, à quelque pas de là, le cardinal aperçut son coureur qui, effaré de ce désastre, guettait un regard de son maître.

– Monsieur, dit le cardinal à l’officier qui le guidait, en passant toute cette journée ici, je vais inquiéter bien du monde; est-ce que je ne puis annoncer chez moi que je suis arrêté?

– Oh! monseigneur, pourvu que nul ne vous voie, dit le jeune officier.

Le cardinal remercia; puis, adressant la parole en allemand à son coureur, il écrivit quelques mots sur une page de son missel, qu’il déchira.

Et derrière l’officier, qui guettait pour ne pas être surpris, le cardinal roula cette feuille et la laissa tomber.

– Je vous suis, monsieur, dit-il à l’officier.

En effet, ils disparurent tous deux.

Le coureur fondit sur ce papier comme un vautour sur sa proie, s’élança hors du château, enfourcha son cheval et s’enfuit vers Paris.

Le cardinal put le voir aux champs, par une des fenêtres de l’escalier qu’il descendait avec son guide.

– Elle me perd, murmura-t-il; je la sauve! C’est pour vous, mon roi, que j’agis; c’est pour vous, mon Dieu! qui commandez le pardon des injures; c’est pour vous que je pardonne aux autres… Pardonnez-moi!

Chapitre 32

Les procès-verbaux

À peine le roi était-il rentré heureux dans son appartement, signait-il l’ordre de conduire monsieur de Rohan à la Bastille, que parut monsieur le comte de Provence, lequel entra dans le cabinet en faisant à monsieur de Breteuil des signes que celui-ci, malgré tout son respect et sa bonne volonté, ne put comprendre.

Mais ce n’était pas au garde des Sceaux que s’adressaient ces signes, le prince les multipliait ainsi à dessein d’attirer l’attention du roi qui regardait dans une glace tout en rédigeant son ordre.

Cette affectation ne manqua pas son but: le roi aperçut ces signes, et après avoir congédié monsieur de Breteuiclass="underline"

– Pourquoi faisiez-vous signe à Breteuil? dit-il à son frère.

– Oh! sire…

– Cette vivacité de gestes, cet air préoccupé signifient quelque chose?

– Sans doute, mais…

– Libre à vous de ne pas parler, mon frère, dit le roi d’un air piqué.

– Sire, c’est que je viens d’apprendre l’arrestation de monsieur le cardinal de Rohan.

– Eh bien! en quoi cette nouvelle, mon frère, peut-elle causer chez vous cette agitation? Est-ce que monsieur de Rohan ne vous paraît pas coupable? Est-ce que j’ai tort de frapper même le puissant?

– Tort? non pas, mon frère. Vous n’avez pas tort. Ce n’est pas cela que je veux dire.

– Il m’eût fort surpris, monsieur le comte de Provence, que vous donnassiez gain de cause, contre la reine, à l’homme qui cherche à la déshonorer. Je viens de voir la reine, mon frère, un mot d’elle a suffi…

– Oh! sire, à Dieu ne plaise que j’accuse la reine! vous le savez bien. Sa Majesté… ma sœur, n’a pas d’ami plus dévoué que moi. Combien de fois ne m’est-il pas arrivé de la défendre, au contraire, et ceci soit dit sans reproche, même contre vous?

– En vérité, mon frère, on l’accuse donc bien souvent?

– J’ai du malheur, sire; vous m’attaquez sur chacune de mes paroles… Je voulais dire que la reine ne me croirait pas elle-même si je paraissais douter de son innocence.

– Alors, vous vous applaudissez avec moi de l’humiliation que je fais subir au cardinal, du procès qui va en résulter, du scandale qui va mettre un terme à toutes les calomnies qu’on n’oserait se permettre contre une simple femme de la cour, et dont chacun ose se faire l’écho, parce que la reine, dit-on, est au-dessus de ces misères?

– Oui, sire, j’approuve complètement la conduite de Votre Majesté, et je dis que tout est pour le mieux, quant à l’affaire du collier.

– Pardieu! mon frère, dit-il, rien de plus clair. Ne voit-on pas d’ici monsieur de Rohan se faisant gloire de la familière amitié de la reine, concluant, en son nom, un marché pour des diamants qu’elle a refusés, et laissant dire que ces diamants ont été pris par la reine ou chez la reine, c’est monstrueux, et, comme elle le disait: Que croirait-on, si j’avais eu monsieur de Rohan pour compère dans ce trafic mystérieux?

– Sire…

– Et puis, vous ignorez, mon frère, que jamais une calomnie ne s’arrête à moitié chemin, que la légèreté de monsieur de Rohan compromet la reine, mais que le récit de ces légèretés la déshonore.

– Oh! oui, mon frère, oui, je le répète, vous avez eu bien raison quant à ce qui concerne l’affaire du collier.

– Eh bien! mais, dit le roi surpris, est-ce qu’il y a encore une autre affaire?

– Mais, sire… la reine a dû vous dire…

– Me dire… quoi donc?

– Sire, vous voulez m’embarrasser. Il est impossible que la reine ne vous ait pas dit…

– Quoi donc, monsieur? quoi donc?

– Sire…

– Ah! les fanfaronnades de monsieur de Rohan, ses réticences, ses prétendues correspondances?

– Non, sire, non.

– Quoi donc, alors? les entretiens que la reine aurait accordés à monsieur de Rohan pour l’affaire du collier en question…

– Non, sire, ce n’est pas cela.

– Tout ce que je sais, reprit le roi, c’est que j’ai en la reine une confiance absolue, qu’elle mérite par la noblesse de son caractère. Il était facile à Sa Majesté de ne rien dire de tout ce qui se passe. Il était facile à elle de payer ou de laisser payer à d’autres, de payer ou de laisser dire; la reine, en arrêtant court ces mystères qui devenaient des scandales, m’a prouvé qu’elle en appelait à moi avant d’en appeler à tout le public. C’est moi que la reine a fait appeler, c’est à moi qu’elle a voulu confier le soin de venger son honneur. Elle m’a pris pour confesseur, pour juge, la reine m’a donc tout dit.

– Eh bien! répliqua le comte de Provence, moins embarrassé qu’il n’eût dû l’être, parce qu’il sentait la conviction du roi moins solide qu’on ne voulait le lui faire voir, voilà que vous faites encore le procès à mon amitié, à mon respect pour la reine, ma sœur. Si vous procédez contre moi avec cette susceptibilité, je ne vous dirai rien, craignant toujours, moi qui défends, de passer pour un ennemi ou un accusateur. Et, cependant, voyez combien, en ceci, vous manquez de logique. Les aveux de la reine vous ont déjà conduit à trouver une vérité qui justifie ma sœur. Pourquoi ne voudriez-vous pas qu’on fît luire à vos yeux d’autres clartés, plus propres encore à révéler toute l’innocence de notre reine?

– C’est que… dit le roi gêné, vous commencez toujours, mon frère, par des circuits dans lesquels je me perds.