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– Précautions oratoires, sire, défaut de chaleur. Hélas! j’en demande pardon à Sa Majesté; c’est mon vice d’éducation. Cicéron m’a gâté.

– Mon frère, Cicéron n’est jamais louche que quand il défend une mauvaise cause; vous en tenez une bonne, soyez clair, pour l’amour de Dieu!

– Me critiquer dans ma façon de parler, c’est me réduire au silence.

– Allons, voilà l’irritabile genus rhetorum qui prend la mouche, s’écria le roi dupe de cette rouerie du comte de Provence. Au fait, avocat, au fait: que savez-vous de plus que ce que m’a dit la reine?

– Mon Dieu! sire, rien et tout. Précisons d’abord ce que vous a dit la reine.

– La reine m’a dit qu’elle n’avait pas le collier.

– Bon.

– Elle m’a dit qu’elle n’avait pas signé le reçu des joailliers.

– Bien!

– Elle m’a dit que tout ce qui avait rapport à un arrangement avec monsieur de Rohan était une fausseté inventée par ses ennemis.

– Très bien, sire!

– Elle a dit enfin que jamais elle n’avait donné à monsieur de Rohan le droit de croire qu’il fût plus qu’un de ses sujets, plus qu’un indifférent, plus qu’un inconnu.

– Ah!… elle a dit cela…

– Et d’un ton qui n’admettait pas de réplique, car le cardinal n’a pas répliqué.

– Alors, sire, puisque le cardinal n’a rien répliqué, c’est qu’il s’avoue menteur, et il donne par ce désaveu raison aux autres bruits qui courent sur certaines préférences accordées par la reine à certaines personnes.

– Eh! mon Dieu! quoi encore? dit le roi avec découragement.

– Rien que de très absurde, comme vous l’allez voir. Du moment où il a été constant que monsieur de Rohan ne s’était pas promené avec la reine…

– Comment! s’écria le roi, monsieur de Rohan, disait-on, s’était promené avec la reine?

– Ce qui est bien démenti par la reine elle-même, sire, et par le désaveu de monsieur de Rohan; mais enfin, du moment où cela est constaté, vous comprenez qu’on a dû chercher – la malignité ne s’en est pas abstenue – comment il se faisait que la reine se promenât la nuit dans le parc de Versailles.

– La nuit, dans le parc de Versailles! La reine!…

– Et avec qui elle se promenait, continua froidement le comte de Provence.

– Avec qui?… murmura le roi.

– Sans doute!… Est-ce que tous les yeux ne s’attachent pas à ce que fait une reine? Est-ce que ces yeux, que jamais n’éblouit l’éclat du jour ou l’éclat de la majesté, ne sont pas plus clairvoyants encore quand il s’agit de voir la nuit?

– Mais, mon frère, vous dites là des choses infâmes, prenez-y garde.

– Sire, je répète, et je répète avec une telle indignation que je pousserai Votre Majesté, j’en suis sûr, à découvrir la vérité.

– Comment, monsieur! on dit que la reine s’est promenée la nuit, en compagnie… dans le parc de Versailles!

– Pas en compagnie, sire, en tête à tête… Oh! si l’on ne disait que compagnie, la chose ne vaudrait pas la peine que nous y prissions garde.

Le roi, éclatant tout à coup:

– Vous m’allez prouver que vous répétez, dit-il, et, pour cela, prouvez qu’on a dit.

– Oh! facilement, trop facilement, répondit monsieur de Provence. Il y a quatre témoignages: le premier est celui de mon capitaine des chasses, qui a vu la reine deux jours de suite, ou plutôt deux nuits de suite, sortir du parc de Versailles par la porte de la louveterie. Voici le titre: il est revêtu de sa signature. Lisez.

Le roi prit en tremblant le papier, le lut et le rendit à son frère.

– Vous en verrez, sire, un plus curieux; il est du garde de nuit qui veille à Trianon. Il déclare que la nuit a été bonne, qu’un coup de feu a été tiré, par des braconniers sans doute, dans le bois de Satory; que, quant aux parcs, ils ont été calmes, excepté le jour où Sa Majesté la reine y a fait une promenade avec un gentilhomme à qui elle donnait le bras. Voyez, le procès-verbal est explicite.

Le roi lut encore, frissonna et laissa tomber ses bras à son côté.

– Le troisième, continua imperturbablement monsieur le comte de Provence, est du suisse de la porte de l’Est. Cet homme a vu et reconnu la reine au moment où elle sortait par la porte de la louveterie. Il dit comment la reine était vêtue; voyez, sire; il dit aussi que de loin il n’a pu reconnaître le gentilhomme que Sa Majesté quittait, c’est écrit; mais qu’à sa tournure il l’a pris pour un officier. Ce procès-verbal est signé. Il ajoute une chose curieuse, à savoir, que la présence de la reine ne peut être révoquée en doute, parce que Sa Majesté était accompagnée de madame de La Motte, amie de la reine.

– Amie de la reine! s’écria le roi furieux. Oui, il y a cela: amie de la reine!

– Ne veuillez pas de mal à cet honnête serviteur, sire; il ne peut être coupable que d’un excès de zèle. Il est chargé de garder, il garde; de veiller, il veille.

– Le dernier, continua le comte de Provence, me paraît le plus clair de tous. Il est du maître serrurier chargé de vérifier si toutes les portes sont fermées après la retraite battue. Cet homme, Votre Majesté le connaît, il certifie avoir vu entrer la reine avec un gentilhomme dans les bains d’Apollon.

Le roi, pâle et étouffant son ressentiment, arracha le papier des mains du comte et le lut.

Monsieur de Provence continua néanmoins pendant cette lecture:

– Il est vrai que madame de La Motte était dehors, à une vingtaine de pas, et que la reine ne demeura qu’une heure environ dans cette salle.

– Mais le nom du gentilhomme? s’écria le roi.

– Sire, ce n’est pas dans le rapport qu’on le nomme, il faut pour cela que Sa Majesté prenne la peine de parcourir un dernier certificat que voici. Il est d’un garde forestier qui se tenait à l’affût derrière le mur d’enceinte, près des bains d’Apollon.

– Daté du lendemain, fit le roi.

– Oui, sire, et qui a vu la reine sortir du parc par la petite porte, et regarder au-dehors: elle tenait le bras de monsieur de Charny!

– Monsieur de Charny!… s’écria le roi à demi fou de colère et de honte; bien… bien… Attendez-moi ici, comte, nous allons enfin savoir la vérité.

Et le roi s’élança hors de son cabinet.

Chapitre 33

Une dernière accusation

Au moment où le roi avait quitté la chambre de la reine, celle-ci courut au boudoir où monsieur de Charny avait pu tout entendre.

Elle en ouvrit la porte, et revint fermer elle-même celle de son appartement; puis, tombant sur un fauteuil, comme si elle eût été trop faible pour résister à de pareils chocs, elle attendit silencieusement ce que déciderait d’elle monsieur de Charny, son juge le plus redoutable.

Mais elle n’attendit pas longtemps; le comte sortit du boudoir plus triste et plus pâle qu’il n’avait jamais été.

– Eh bien? dit-elle.

– Madame, répliqua-t-il, vous voyez que tout s’oppose à ce que nous soyons amis. Si ce n’est pas ma conviction qui vous blesse, ce sera le bruit public désormais; avec le scandale qui est fait aujourd’hui, plus de repos pour moi, plus de trêve pour vous. Les ennemis, plus acharnés après cette première blessure qui vous est faite, viendront fondre sur vous pour boire le sang comme font les mouches sur la gazelle blessée…

– Vous cherchez bien longtemps, dit la reine avec mélancolie, une parole naturelle, et vous n’en trouvez pas.

– Je crois n’avoir jamais donné lieu à Votre Majesté de suspecter ma franchise, répliqua Charny; si parfois elle a éclaté, c’est avec trop de dureté; je vous en demande pardon.

– Alors, dit la reine fort émue, ce que je viens de faire, ce bruit, cette agression périlleuse contre un des plus grands seigneurs de ce royaume, mon hostilité déclarée avec l’Église, ma renommée exposée aux passions des parlements, tout cela ne vous suffit pas. Je ne parle point de la confiance à jamais ébranlée chez le roi; vous ne devez pas vous en préoccuper, n’est-ce pas?… Le roi! qu’est-ce cela… un époux!