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La reine bondit sous cette dernière menace du danger.

– Monsieur de Charny, s’écria-t-elle, l’esprit troublé, la main tremblante, monsieur de Charny voulait obtenir de moi…

– Quoi donc, madame?

– Une permission pour se marier.

– Vraiment! s’écria le roi rassuré tout d’abord.

Puis, replongé dans sa jalouse inquiétude…

– Eh bien! mais, dit-il, sans remarquer combien la pauvre femme souffrait d’avoir prononcé ces mots, combien Charny était pâle de la souffrance de la reine; eh bien! en quoi est-il donc impossible de marier monsieur de Charny? Est-ce qu’il n’est pas d’une bonne noblesse? Est-ce qu’il n’a pas une belle fortune? Est-ce qu’il n’est pas brave et beau? En vérité, mais pour ne pas lui donner accès dans une famille, ou pour le refuser si l’on est femme, il faut être princesse du sang ou mariée; je ne vois que ces deux raisons qui constituent l’impossibilité. Ainsi, madame, dites-moi le nom de cette femme que voudrait épouser monsieur de Charny, et, si elle n’est ni dans l’un ni dans l’autre cas, je vous réponds que je lèverai la difficulté… pour vous plaire.

La reine, amenée par le péril toujours croissant, entraînée par la conséquence même du premier mensonge, reprit avec force:

– Non, monsieur, non; il est des difficultés que vous ne pouvez pas vaincre. Celle qui nous occupe est de ce genre.

– Raison de plus pour que je sache quelle chose est impossible au roi, interrompit Louis XVI avec une sourde colère.

Charny regarda la reine, elle semblait près de chanceler. Il eût fait un pas vers elle; le roi l’arrêta par son immobilité. De quel droit, lui, qui n’était rien pour cette femme, eût-il offert sa main ou son appui à celle que son roi et son époux abandonnait.

«Quelle est donc, se demandait-elle, la puissance contre laquelle le roi n’ait pas d’action? Encore cette idée, encore ce secours, mon Dieu!»

Tout à coup une lueur traversa son esprit.

– Ah! Dieu lui-même m’envoie ce secours, murmura-t-elle. Celles qui appartiennent à Dieu ne lui peuvent être prises, même par le roi.

Alors, relevant la tête:

– Monsieur, dit-elle enfin au roi, celle que monsieur de Charny voudrait épouser est dans un couvent.

– Ah! s’écria le roi, voilà une raison; en effet, il est bien difficile d’enlever à Dieu son bien pour le donner aux hommes. Mais cela est étrange, que monsieur de Charny ait conçu de si subites amours: jamais nul ne m’en a parlé, jamais son oncle même, qui peut tout obtenir de moi. Quelle est cette femme que vous aimez, monsieur de Charny? dites-le-moi, je vous prie.

La reine sentit une poignante douleur. Elle allait entendre un nom sortir de la bouche d’Olivier; elle allait subir la torture de ce mensonge. Et qui sait si Charny n’allait pas révéler, soit un nom jadis aimé, souvenir encore saignant du passé, soit un nom, gerbe d’amour, espérance vague de l’avenir. Pour ne pas recevoir ce coup terrible, Marie-Antoinette prit l’avance; elle s’écria tout à coup:

– Mais, sire, vous connaissez celle que monsieur de Charny demande en mariage, c’est… mademoiselle Andrée de Taverney.

Charny poussa un cri et cacha son visage dans ses deux mains.

La reine s’appuya la main sur le cœur, et alla tomber presque évanouie sur son fauteuil.

– Mademoiselle de Taverney! répéta le roi, mademoiselle de Taverney, qui s’est retirée à Saint-Denis?

– Oui, sire, articula faiblement la reine.

– Mais elle n’a pas fait de vœux, que je sache?

– Mais elle doit en faire.

– Nous y mettrons une condition, dit le roi. Cependant, ajouta-t-il avec un dernier levain de défiance, pourquoi ferait-elle ses vœux?

– Elle est pauvre, dit Marie-Antoinette; vous n’avez enrichi que son père, ajouta-t-elle durement.

– C’est là un tort que je réparerai, madame; monsieur de Charny l’aime…

La reine frémit et lança au jeune homme un regard avide, comme pour le supplier de nier.

Charny regarda fixement Marie-Antoinette, et ne répondit pas.

– Bien! dit le roi, qui prit ce silence pour un respectueux assentiment; et sans doute mademoiselle de Taverney aime monsieur de Charny? Je doterai mademoiselle de Taverney, je lui donnerai les cinq cent mille livres que je dus refuser l’autre jour, pour vous, à monsieur de Calonne. Remerciez la reine, monsieur de Charny, de ce qu’elle a bien voulu me raconter cette affaire, et assurer le bonheur de votre vie.

Charny fit un pas en avant et s’inclina comme une pâle statue à qui Dieu, par un miracle, aurait un moment donné la vie.

– Oh! cela vaut la peine que vous vous agenouilliez encore une fois, dit le roi avec cette légère nuance de raillerie vulgaire qui tempérait trop souvent en lui la noblesse traditionnelle de ses ancêtres.

La reine tressaillit, et tendit, par un mouvement spontané, ses deux mains au jeune homme. Il se mit à genoux devant elle, et déposa sur ses belles mains glacées un baiser dans lequel il suppliait Dieu de lui laisser exhaler son âme.

– Allons, dit le roi, laissons maintenant à madame le soin de vos affaires; venez, monsieur, venez.

Et il passa devant très vite, de sorte que Charny put se retourner sur le seuil, et voir l’ineffable douleur de cet adieu éternel que lui envoyaient les yeux de la reine.

La porte se referma entre eux, barrière désormais infranchissable pour d’innocentes amours.

Chapitre 35

Saint-Denis

La reine resta seule et désespérée. Tant de coups la frappaient à la fois, qu’elle ne savait plus de quel côté venait la plus vive douleur.

Après être demeurée une heure dans cet état de doute et d’abattement, elle se dit qu’il était temps de chercher une issue. Le danger grossissait. Le roi, fier d’une victoire remportée sur les apparences, se hâterait d’en répandre le bruit. Il pouvait arriver que ce bruit fût accueilli de telle sorte au-dehors, que tout le bénéfice de la fraude commise se trouvât perdu.

Cette fraude, hélas! comme la reine se la reprochait, comme elle eût voulu reprendre cette parole envolée, comme elle eût voulu ôter, même à Andrée, le bonheur chimérique que peut-être elle allait refuser!

En effet, ici surgissait une autre difficulté. Le nom d’Andrée avait tout sauvé devant le roi. Mais qui pouvait répondre de cet esprit capricieux, indépendant, volontaire, qu’on appelait mademoiselle de Taverney? Qui pouvait compter que cette fière personne aliénerait sa liberté, son avenir, au profit d’une reine que peu de jours avant elle avait quittée en ennemie.

Alors qu’arrivait-il? Andrée refusait, et c’était vraisemblable; tout l’échafaudage mensonger croulait. La reine devenait une intrigante de médiocre esprit, Charny un plat sigisbée, un diseur de mensonges, et la calomnie changée en accusation prenait les proportions d’un adultère incontestable.

Marie-Antoinette sentit sa raison s’égarer à ces réflexions; elle faillit céder à leur possibilité; elle plongea sa tête brûlante dans ses mains, et attendit.

À qui se fier? Qui donc était l’amie de la reine? madame de Lamballe? Oh! la pure raison, la froide et inflexible raison! Pourquoi tenter cette virginale imagination, que d’ailleurs ne voudraient pas comprendre les dames d’honneur, serviles adulatrices de la prospérité, tremblantes au souffle de la disgrâce, disposées peut-être à donner une leçon à leur reine quand elle aurait besoin d’un secours?

Il ne restait rien que mademoiselle de Taverney elle-même. C’était un cœur de diamant dont les arêtes pouvaient couper le verre, mais dont la solidité invincible, dont la pureté profonde pouvaient seules sympathiser avec les grandes douleurs d’une reine.

Marie-Antoinette irait donc trouver Andrée. Elle lui exposerait son malheur, elle la supplierait de s’immoler. Sans doute Andrée refuserait, parce qu’elle n’était pas de celles qui se laissent imposer; mais peu à peu, adoucie par ses prières, elle consentirait. Qui sait d’ailleurs alors si l’on n’obtiendrait pas un délai; si le premier feu étant passé, le roi, apaisé par le consentement apparent des deux fiancés, ne finirait point par oublier… Alors, un voyage arrangerait tout. Andrée, Charny, s’éloignant pour quelque temps, jusqu’à ce que l’hydre de la calomnie n’eût plus faim, pourraient laisser dire qu’ils s’étaient rendu leur parole à l’amiable, et nul ne devinerait alors que ce projet de mariage était un jeu.