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– Ce que vous savez! s’écria Charny épouvanté, prenez garde, prenez garde!

– Oui, dit Philippe en s’animant, la maison du louvetier, louée par vous; vos promenades mystérieuses dans le parc de Versailles… la nuit… vos mains pressées, vos soupirs, et surtout ce tendre échange de regards à la petite porte du parc…

– Monsieur, au nom du ciel! monsieur, vous ne savez rien; dites que vous ne savez rien.

– Je ne sais rien! s’écria Philippe avec une sanglante ironie. Comment ne saurais-je rien, moi qui étais caché dans les broussailles derrière la porte des bains d’Apollon, quand vous êtes sorti donnant le bras à la reine.

Charny fit deux pas, comme un homme frappé à mort qui cherche un appui autour de lui.

Philippe le regarda avec un farouche silence. Il le laissait souffrir, il le laissait expier par ce tourment passager les heures d’ineffables délices qu’il venait de lui reprocher.

Charny se releva de son affaissement.

– Eh bien! monsieur, dit-il à Philippe, même après ce que vous venez de me dire, je vous demande, à vous, la main de mademoiselle de Taverney. Si ne n’étais qu’un lâche calculateur, comme vous le supposiez il y a un moment, si je me mariais pour moi, je serais tellement misérable, que j’aurais peur de l’homme qui tient mon secret et celui de la reine. Mais il faut que la reine soit sauvée, monsieur, il le faut.

– En quoi la reine est-elle perdue, dit Philippe, parce que monsieur de Taverney l’a vue serrer le bras de monsieur de Charny, et lever au ciel des yeux humides de bonheur? En quoi la reine est-elle perdue, parce que je sais qu’elle vous aime? Oh! ce n’est pas une raison de sacrifier ma sœur, monsieur, et je ne la laisserai pas sacrifier.

– Monsieur, répondit Olivier, savez-vous pourquoi la reine est perdue si ce mariage ne se fait pas? C’est que ce matin même, tandis qu’on arrêtait monsieur de Rohan, le roi m’a surpris aux genoux de la reine.

– Mon Dieu!

– Et que la reine, interrogée par son roi jaloux, a répondu que je m’agenouillais pour lui demander la main de votre sœur. Voilà pourquoi, monsieur, si je n’épouse pas votre sœur, la reine est perdue. Comprenez-vous, maintenant?

Un double bruit coupa la phrase d’Olivier: un cri et un soupir. Ils partaient tous deux l’un du boudoir, l’autre du petit salon.

Olivier courut au soupir; il vit dans le boudoir Andrée de Taverney vêtue de blanc comme une fiancée. Elle avait tout entendu et venait de s’évanouir.

Philippe courut au cri dans le petit salon. Il aperçut le corps du baron de Taverney, que cette révélation de l’amour de la reine pour Charny venait de foudroyer sur la ruine de toutes ses espérances.

Le baron, frappé d’apoplexie, avait rendu le dernier soupir.

La prédiction de Cagliostro était accomplie.

Philippe, qui comprenait tout, même la honte de cette mort, abandonna silencieusement le cadavre, et revint au salon, vers Charny, qui contemplait en tremblant, et sans oser y toucher, cette belle jeune fille froide et inanimée.

Les deux portes ouvertes laissaient voir ces deux corps parallèlement, symétriquement posés, pour ainsi dire, à l’endroit où les avait frappés le coup de la révélation.

Philippe, les yeux gonflés, le cœur bouillant, eut le courage de prendre la parole pour dire à monsieur de Charny:

– Monsieur le baron de Taverney vient de mourir. Après lui, je suis le chef de ma famille. Si mademoiselle de Taverney survit, je vous la donne en mariage.

Charny regarda le cadavre du baron avec horreur, le corps d’Andrée avec désespoir. Philippe arrachait à deux mains ses cheveux, et lança vers le ciel une exclamation qui dut émouvoir le cœur de Dieu sur son trône éternel.

– Comte de Charny, dit-il après avoir calmé en lui la tempête, je prends cet engagement au nom de ma sœur qui ne m’entend pas: elle donnera son bonheur à une reine, et moi peut-être un jour serai-je assez heureux pour lui donner ma vie. Adieu, monsieur de Charny; adieu, mon beau-frère.

Et, saluant Olivier qui ne savait comment s’éloigner sans passer près d’une des victimes, Philippe releva Andrée, la réchauffa dans ses bras, et livra ainsi passage au comte, qui disparut par le boudoir.

Chapitre 39

Après le dragon, la vipère

Il est temps pour nous de revenir à ces personnages de notre histoire que la nécessité et l’intrigue, aussi bien que la vérité historique, ont relégués au deuxième plan.

Oliva se préparait à fuir, pour le compte de Jeanne, quand Beausire, prévenu par un avis anonyme, Beausire, haletant après la reprise de Nicole, se trouva conduit jusque dans ses bras, et l’enleva de chez Cagliostro, tandis que monsieur Réteau de Villette attendait vainement au bout de la rue du Roi-Doré.

Pour trouver les heureux amants, que monsieur de Crosne avait tant d’intérêt à découvrir, madame de La Motte, qui se sentait dupée, mit en campagne tout ce qu’elle eut de gens affidés.

Elle aimait mieux, on le conçoit, veiller elle-même sur son secret, que d’en laisser le maniement à d’autres, et pour la bonne gestion de l’affaire qu’elle préparait, il était indispensable que Nicole fût introuvable.

Il est impossible de dépeindre les angoisses qu’elle eut à subir quand chacun de ses émissaires lui annonça, en revenant, que les recherches étaient inutiles.

En ce moment même, elle recevait, cachée, ordres sur ordres de paraître chez la reine, et de venir répondre de sa conduite au sujet du collier.

Nuitamment, voilée, elle partit pour Bar-sur-Aube, où elle avait un pied-à-terre, et y étant arrivée par des chemins de traverse sans avoir été reconnue, elle prit le temps d’envisager sa position sous son véritable jour.

Elle gagnait ainsi deux ou trois jours, face à face avec elle-même, et se donnait le temps, et avec le temps la force de soutenir, par une solide fortification intérieure, l’édifice de ses calomnies.

Deux jours de solitude pour cette âme profonde, c’était la lutte au bout de laquelle seraient domptés le corps et l’esprit, après laquelle la conscience obéissante ne se retournerait plus, instrument dangereux contre la coupable, après laquelle le sang aurait pris l’habitude de circuler autour du cœur sans monter au visage pour y révéler la honte ou la surprise.

La reine, le roi, qui la faisaient chercher, n’apprirent son installation à Bar-sur-Aube qu’au moment où elle était déjà préparée à faire la guerre. Ils envoyèrent un exprès pour l’amener. Ce fut alors qu’elle apprit l’arrestation du cardinal.

Toute autre qu’elle eût été terrassée par cette vigoureuse offensive, mais Jeanne n’avait plus rien à ménager. Qu’était une question de liberté dans la balance, auprès des questions de vie ou de mort qui s’y entassaient chaque jour?

En apprenant la prison du cardinal et l’éclat qu’avait fait Marie-Antoinette:

«La reine a brûlé ses vaisseaux, calcula-t-elle froidement; impossible à elle de revenir sur le passé. En refusant de transiger avec le cardinal et de payer les bijoutiers, elle joue quitte ou double. Cela prouve qu’elle compte sans moi, et qu’elle ne soupçonne pas les forces que j’ai à ma disposition.»

Voilà de quelles pièces était faite l’armure que portait Jeanne, lorsqu’un homme, moitié exempt, moitié messager, se présenta tout à coup devant elle, et lui annonça qu’il était chargé de la ramener à la cour.

Le messager chargé de l’amener à la cour voulait la conduire directement chez le roi; mais Jeanne, avec cette habileté qu’on lui connaît:

– Monsieur, dit-elle, vous aimez la reine, n’est-ce pas?

– En doutez-vous, madame la comtesse? repartit le messager.

– Eh bien! au nom de cet amour loyal et du respect que vous avez pour la reine, je vous adjure de me conduire chez la reine d’abord.

L’officier voulut faire des objections.

– Vous savez assurément de quoi il s’agit mieux que moi, repartit la comtesse. Voilà pourquoi vous comprendrez qu’un entretien secret de la reine avec moi est indispensable.