Le messager, tout pétri des idées calomnieuses qui empestaient l’air de Versailles depuis plusieurs mois, crut réellement rendre un service à la reine en menant madame de La Motte auprès d’elle avant de la montrer au roi.
Qu’on se figure la hauteur, l’orgueil, la conscience altière de la reine mise en présence de ce démon qu’elle ne connaissait pas encore, mais dont elle soupçonnait la perfide influence sur ses affaires.
Qu’on se représente Marie-Antoinette, veuve encore inconsolée de son amour qui avait succombé au scandale, Marie-Antoinette, écrasée par l’injure d’une accusation qu’elle ne pouvait réfuter, qu’on se la représente, après tant de souffrances, se disposant à mettre le pied sur la tête du serpent qui l’a mordue!
Le dédain suprême, la colère mal contenue, la haine de femme à femme, le sentiment d’une supériorité incomparable de position, voilà quelles étaient les armes des adversaires. La reine commença par faire entrer comme témoins deux de ses femmes, œil baissé, lèvres closes, révérence lente et solennelle; un cœur plein de mystères, un esprit plein d’idées, le désespoir pour dernier moteur, voilà quel était le second champion. Madame de La Motte, dès qu’elle aperçut les deux femmes:
– Bon! dit-elle, voilà deux témoins qu’on renverra tout à l’heure.
– Ah! vous voilà enfin, madame! s’écria la reine; on vous trouve enfin!
Jeanne s’inclina une deuxième fois.
– Vous vous cachez donc? dit la reine avec impatience.
– Me cacher! non, madame, répliqua Jeanne d’une voix douce et à peine timbrée, comme si l’émotion produite par la majesté royale en altérait seule la sonorité ordinaire; je ne me cachais pas; si je me fusse cachée, on ne m’eût point trouvée.
– Vous vous êtes enfuie, cependant? Appelons cela comme il vous plaira.
– C’est-à-dire que j’ai quitté Paris, oui, madame.
– Sans ma permission?
– Je craignais que Sa Majesté ne m’accordât pas le petit congé dont j’avais besoin pour arranger mes affaires à Bar-sur-Aube, où j’étais depuis six jours, quand l’ordre de Sa Majesté m’y vint chercher. D’ailleurs, il faut le dire, je ne me croyais pas tellement nécessaire à Votre Majesté, que je fusse obligée de la prévenir pour faire une absence de huit jours.
– Eh! vous avez raison, madame; pourquoi avez-vous craint mon refus d’un congé? Quel congé avez-vous à me demander? Quel congé ai-je à vous accorder? Est-ce que vous occupez une charge ici?
Il y eut trop de mépris sur ces derniers mots. Jeanne, blessée, mais retenant son sang comme les chats-tigres piqués par la flèche:
– Madame, dit-elle humblement, je n’ai pas de charge à la cour, c’est vrai; mais Votre Majesté m’honorait d’une confiance si précieuse que je me regardais comme engagée bien plus auprès d’elle par la reconnaissance que d’autres ne le sont par le devoir.
Jeanne avait cherché longtemps, elle avait trouvé le mot confiance et elle appuyait dessus.
– Cette confiance, répéta la reine, plus écrasante encore de mépris que dans sa première apostrophe, nous en allons régler le compte. Avez-vous vu le roi?
– Non, madame.
– Vous le verrez.
Jeanne salua.
– Ce sera un grand honneur pour moi, dit-elle.
La reine chercha un peu de calme pour commencer ses questions avec avantage.
Jeanne profita de ce répit pour dire:
– Mais, mon Dieu! madame, comme Votre Majesté se montre sévère à mon égard. Je suis toute tremblante.
– Vous n’êtes pas au bout, dit brusquement la reine; savez-vous que monsieur de Rohan est à la Bastille?
– On me l’a dit, madame.
– Vous devinez bien pourquoi?
Jeanne regarda fixement la reine, et se tournant vers les femmes dont la présence semblait la gêner, répondit:
– Je ne le sais pas, madame.
– Vous savez, cependant, que vous m’avez parlé d’un collier, n’est-ce pas?
– D’un collier de diamants; oui, madame.
– Et que vous m’avez proposé, de la part du cardinal, un accommodement pour payer ce collier?
– C’est vrai, madame.
– Ai-je accepté ou refusé cet accommodement?
– Votre Majesté a refusé.
– Ah! fit la reine avec une satisfaction mêlée de surprise.
– Sa Majesté a même donné un acompte de deux cent mille livres, ajouta Jeanne.
– Bien… et après?
– Après, Sa Majesté ne pouvant payer, parce que monsieur de Calonne lui avait refusé de l’argent, a renvoyé l’écrin aux joailliers Bœhmer et Bossange.
– Par qui renvoyé?
– Par moi.
– Et vous, qu’avez-vous fait?
– Moi, dit lentement Jeanne, qui sentait tout le poids des paroles qu’elle allait prononcer; moi, j’ai donné les diamants à monsieur le cardinal.
– À monsieur le cardinal! s’écria la reine, et pourquoi s’il vous plaît, au lieu de les remettre aux joailliers?
– Parce que, madame, monsieur de Rohan s’étant intéressé à cette affaire, qui plaisait à Votre Majesté, je l’eusse blessé en ne lui fournissant point l’occasion de la terminer lui-même.
– Mais comment se fait-il que vous ayez tiré un reçu des joailliers?
– Parce que monsieur de Rohan m’a remis ce reçu.
– Mais cette lettre que vous avez, dit-on, remise aux joailliers comme venant de moi?
– Monsieur de Rohan m’a priée de la remettre.
– C’est donc en tout et toujours monsieur de Rohan qui s’est mêlé de cela! s’écria la reine.
– Je ne sais ce que Votre Majesté veut dire, répliqua Jeanne d’un air distrait, ni de quoi monsieur de Rohan s’est mêlé.
– Je dis que le reçu des joailliers, remis ou envoyé par moi à vous, est faux!
– Faux! dit Jeanne avec candeur; oh! madame!
– Je dis que la prétendue lettre d’acceptation du collier, signée, dit-on, de moi, est fausse!
– Oh! s’écria Jeanne plus étonnée en apparence encore que la première fois.
– Je dis enfin, poursuivit la reine, que vous avez besoin d’être confrontée avec monsieur de Rohan pour nous faire éclaircir cette affaire.
– Confrontée! dit Jeanne. Mais, madame, quel besoin de me confronter avec monsieur le cardinal?
– Lui-même le demandait.
– Lui?
– Il vous cherchait partout.
– Mais, madame, c’est impossible.
– Il voulait vous prouver, disait-il, que vous l’aviez trompé.
– Oh! pour cela, madame, je demande la confrontation.
– Elle aura lieu, madame, croyez-le bien. Ainsi, vous niez savoir où est le collier?
– Comment le saurais-je?
– Vous niez avoir aidé monsieur le cardinal dans certaines intrigues?…
– Votre Majesté a tout droit de me disgracier; mais de m’offenser, aucun. Je suis une Valois, madame.
– Monsieur le cardinal a soutenu devant le roi des calomnies qu’il espère faire reposer sur des bases sérieuses.
– Je ne comprends pas.
– Le cardinal a déclaré m’avoir écrit.
Jeanne regarda la reine en face et ne répliqua rien.
– M’entendez-vous? dit la reine.
– J’entends, oui, Votre Majesté.
– Et que répondez-vous?
– Je répondrai quand on m’aura confrontée avec monsieur le cardinal.
– Jusque-là, si vous savez la vérité, aidez-nous!
– La vérité, madame, c’est que Votre Majesté m’accable sans sujet et me maltraite sans raison.
– Ce n’est pas une réponse, cela.
– Je n’en ferai cependant pas d’autre ici, madame.
Et Jeanne regarda les deux femmes encore une fois.
La reine comprit, mais elle ne céda pas. La curiosité ne put l’emporter sur le respect humain. Dans les réticences de Jeanne, dans son attitude à la fois humble et insolente perçait l’assurance qui résulte d’un secret acquis. Ce secret, peut-être la reine l’eût-elle acheté par la douceur.