Le ministère aussi la soutint et de toutes ses forces. La reine se rappela que monsieur de Rohan était un homme honnête, incapable de vouloir perdre une femme. Elle se rappela son assurance quand il jurait avoir été admis aux rendez-vous de Versailles.
Elle conclut que le cardinal n’était pas son ennemi direct, et qu’il n’avait comme elle qu’un intérêt d’honneur dans la question.
On dirigea dès lors tout l’effort du procès sur la comtesse, et l’on chercha activement les traces du collier perdu.
La reine, acceptant le débat sur l’accusation de faiblesse adultère, rejetait sur Jeanne la foudroyante accusation du vol frauduleux.
Tout parlait contre la comtesse, ses antécédents, sa première misère, son élévation étrange; la noblesse n’acceptait pas cette princesse de hasard, le peuple ne pouvait la revendiquer; le peuple hait d’instinct les aventuriers, il ne leur pardonne pas même le succès.
Jeanne s’aperçut qu’elle avait fait fausse route, et que la reine, en subissant l’accusation, en ne cédant pas à la crainte du bruit, engageait le cardinal à l’imiter; que les deux loyautés finiraient par s’entendre et par trouver la lumière, et que, même si elles succombaient, ce serait dans une chute si terrible qu’elles broieraient sous elles la pauvre petite Valois, princesse d’un million volé, qu’elle n’avait même plus sous la main pour corrompre ses juges.
On en était là quand un nouvel épisode se produisit, qui changea la face des choses.
Monsieur de Beausire et mademoiselle Oliva vivaient heureux et riches dans le fond d’une maison de campagne, quand, un jour, monsieur, qui avait laissé madame au logis pour s’en aller chasser, tomba dans la société de deux des agents que monsieur de Crosne éparpillait par toute la France pour obtenir un dénouement à cette intrigue.
Les deux amants ignoraient tout ce qui se passait à Paris; ils ne songeaient guère qu’à eux-mêmes. Mademoiselle Oliva engraissait comme une belette dans un grenier, et monsieur Beausire, avec le bonheur, avait perdu cette inquiète curiosité, signe distinctif des oiseaux voleurs comme des hommes de proie, caractère que la nature a donné aux uns et aux autres pour leur conservation.
Beausire, disons-nous, était sorti ce jour-là pour chasser le lièvre. Il trouva un vol de perdrix qui lui fit traverser une route. Voilà comment, en cherchant autre chose que ce qu’il eût dû chercher, il trouva ce qu’il ne cherchait pas.
Les agents cherchaient aussi Oliva, et ils trouvèrent Beausire. Ce sont là les caprices ordinaires de la chasse.
Un de ces limiers était homme d’esprit. Quand il eut bien reconnu Beausire, au lieu de l’arrêter tout brutalement, ce qui n’eût rien rapporté, il fit le projet suivant avec son compagnon.
– Beausire chasse; il est donc assez libre et assez riche; il a peut-être cinq à six louis dans sa poche, mais il est possible qu’il ait deux ou trois cents louis à son domicile. Laissons-le rentrer à ce domicile: pénétrons-y et mettons-le à rançon. Beausire, rendu à Paris, ne nous rapportera que cent livres, comme toute prise ordinaire; encore nous grondera-t-on d’avoir encombré la prison pour un personnage peu considérable. Faisons de Beausire une spéculation personnelle.
Ils se mirent à chasser la perdrix comme monsieur Beausire, le lièvre comme monsieur Beausire, et appuyant les chiens quand c’était un lièvre, et rabattant dans la luzerne quand c’était à la perdrix, ils ne quittèrent pas leur homme d’une semelle.
Beausire, voyant les étrangers qui se mêlaient de sa chasse, fut d’abord très étonné, et puis très courroucé. Il était devenu jaloux de son gibier, comme tout bon gentillâtre; mais il était aussi ombrageux à l’endroit des nouvelles connaissances. Au lieu d’interroger lui-même ces acolytes que le hasard lui donnait, il poussa droit à un garde qu’il apercevait dans la plaine, et le chargea d’aller demander à ces messieurs pourquoi ils chassaient sur cette terre.
Le garde répliqua qu’il ne connaissait pas ces messieurs pour être du pays, et il ajouta que son désir était de les interrompre dans leur chasse, ce qu’il fit. Mais les deux étrangers répliquèrent qu’ils chassaient avec leur ami, le monsieur là-bas.
Ils désignaient ainsi Beausire. Le garde les conduisit à lui, malgré tout le chagrin que cette confrontation causait au gentilhomme chasseur.
– Monsieur de Linville, dit-il, ces messieurs prétendent qu’ils chassent avec vous.
– Avec moi! s’écria Beausire irrité, ah! par exemple!
– Tiens! lui dit l’un des agents tout bas, vous vous appelez donc aussi monsieur de Linville, mon cher Beausire?
Beausire tressaillit, lui qui cachait si bien son nom dans ce pays.
Il regarda l’agent, puis son compagnon, en homme effaré, crut reconnaître vaguement ces figures, et afin de ne pas envenimer les choses, il congédia le garde en prenant sur lui la chasse de ces messieurs.
– Vous les connaissez donc? fit le garde.
– Oui, nous venons de nous reconnaître, répliqua un des agents.
Alors Beausire se trouva en présence des deux chasseurs, bien embarrassé de leur parler sans se compromettre.
– Offrez-nous à déjeuner, Beausire, dit le plus adroit des agents, chez vous.
– Chez moi! mais… s’écria Beausire.
– Vous ne nous ferez pas cette impolitesse, Beausire.
Beausire avait perdu la tête; il se laissa conduire bien plutôt qu’il ne conduisit.
Les agents, dès qu’ils aperçurent la petite maison, en louèrent l’élégance, la position, les arbres et la perspective, comme des gens de goût devaient le faire, et, en réalité, Beausire avait choisi un endroit charmant pour y poser le nid de ses amours.
C’était un vallon boisé coupé par une petite rivière; la maison s’élevait sur un talus au levant. Une guérite, sorte de clocheton sans cloche, servait d’observatoire à Beausire pour dominer la campagne, aux jours de spleen, alors que ses idées roses se fanaient et qu’il voyait des alguazils dans chaque laboureur penché sur la charrue.
D’un seul côté, cette habitation était visible et riante; des autres, elle disparaissait sous les bois et les plis du terrain.
– Comme on est bien caché là-dedans! lui dit un agent avec admiration.
Beausire frémit de la plaisanterie, et entra le premier dans sa maison, aux aboiements des chiens de cour.
Les agents l’y suivirent avec force cérémonies.
Chapitre 41
Les tourtereaux sont mis en cage
En entrant par la porte de la cour, Beausire avait son idée: il voulait faire assez de bruit pour prévenir Oliva d’être sur ses gardes. Beausire, sans rien savoir de l’affaire du collier, savait assez de choses touchant l’affaire du bal de l’Opéra et celle du baquet de Mesmer pour redouter de montrer Oliva à des inconnus.
Il agit raisonnablement; car la jeune femme, qui lisait des romans frivoles sur le sofa de son petit salon, entendit aboyer les chiens, regarda dans la cour, et vit Beausire accompagné; ce qui l’empêcha de se porter au-devant de lui comme à l’ordinaire.
Malheureusement ces deux tourtereaux n’étaient pas hors des serres des vautours. Il fallut commander le déjeuner, et un valet maladroit – les gens de campagne ne sont pas des Frontins – demanda deux ou trois fois s’il fallait prendre les ordres de madame.
Ce mot-là fit dresser les oreilles aux limiers, ils raillèrent agréablement Beausire sur cette dame cachée, dont la compagnie était pour un ermite l’assaisonnement de toutes les félicités que donnent la solitude et l’argent.
Beausire se laissa railler, mais il ne montra pas Oliva.
On servit un gros repas auquel les deux agents firent honneur. On but beaucoup et l’on porta souvent la santé de la dame absente.
Au dessert, les têtes s’étant échauffées, messieurs de la police jugèrent qu’il serait inhumain de prolonger le supplice de leur hôte. Ils amenèrent adroitement la conversation sur le plaisir qu’il y a pour les bons cœurs à retrouver d’anciennes connaissances.