Выбрать главу

– Madame vaut deux cents louis, n’est-ce pas? se hâta de dire Beausire.

Les agents recommencèrent ce rire terrible, que, cette fois, Beausire comprit, hélas.

– Trois cents… dit-il, quatre cents… mille louis! mais vous la laisserez libre.

Les yeux de Beausire étincelaient tandis qu’il parlait ainsi:

– Vous ne répondez rien, dit-il; vous savez que j’ai de l’argent et vous voulez me faire payer, c’est trop juste. Je donnerai deux mille louis, quarante-huit mille livres, votre fortune à tous les deux, mais laissez-lui la liberté.

– Tu l’aimes donc beaucoup, cette femme? dit le Positif.

Ce fut au tour de Beausire à rire, et ce rire ironique fut tellement effrayant, il peignait si bien l’amour désespéré qui dévorait ce cœur flétri, que les deux sbires en eurent peur et se décidèrent à prendre des précautions pour éviter l’explosion du désespoir qu’on lisait dans l’œil égaré de Beausire.

Ils prirent chacun deux pistolets dans leur poche, et les appuyant sur la poitrine de Beausire:

– Pour cent mille écus, dit l’un d’eux, nous ne te rendrions pas cette femme. Monsieur de Rohan nous la paiera cinq cent mille livres, et la reine un million.

Beausire leva les yeux au ciel avec une expression qui eût attendri toute autre bête féroce qu’un alguazil.

– Marchons, dit le Positif. Vous devez avoir ici une carriole, quelque chose de roulant; faites atteler ce carrosse à madame, vous lui devez bien cela.

– Et comme nous sommes de bons diables, reprit l’autre, nous n’abuserons pas. On vous emmènera, vous aussi, pour la forme; sur la route, nous détournerons les yeux, vous sauterez à bas de la carriole, et nous ne nous en apercevrons que lorsque vous aurez mille pas d’avance. Est-ce un bon procédé, hein?

Beausire répondit seulement:

– Où elle va, j’irai. Je ne la quitterai jamais dans cette vie.

– Oh! ni dans l’autre! ajouta Oliva glacée de terreur.

– Eh bien! tant mieux, interrompit le Positif, plus on conduit de prisonniers à monsieur de Crosne, plus il rit.

Un quart d’heure après, la carriole de Beausire partait de la maison, avec les deux amants captifs et leurs gardiens.

Chapitre 42

La bibliothèque de la reine

On peut juger de l’effet que produisit cette capture sur monsieur de Crosne.

Les agents ne reçurent probablement pas le million qu’ils espéraient, mais il y a tout lieu de penser qu’ils furent satisfaits.

Quant au lieutenant de police, après s’être bien frotté les mains en signe de contentement, il se rendit à Versailles dans un carrosse, à la suite duquel venait un autre carrosse hermétiquement fermé et cadenassé.

C’était le lendemain du jour où le Positif et son ami avaient remis Nicole entre les mains du chef de la police.

Monsieur de Crosne fit entrer ses deux carrosses dans Trianon, descendit de celui qu’il occupait, et laissa l’autre à la garde de son premier commis.

Il se fit admettre chez la reine, à laquelle, tout d’abord, il avait envoyé demander une audience à Trianon.

La reine, qui n’avait garde, depuis un mois, de négliger tout ce qui lui arrivait de la part de la police obtempéra sur-le-champ à la demande du ministre; elle vint, dès le matin, dans sa maison favorite, et peu accompagnée, en cas de secret nécessaire.

Dès que monsieur de Crosne eut été introduit près d’elle, à son air rayonnant elle jugea que les nouvelles étaient bonnes.

Pauvre femme! depuis assez longtemps elle voyait autour d’elle des visages sombres et réservés.

Un battement de joie, le premier depuis trente mortels jours, agita son cœur blessé par tant d’émotions mortelles.

Le magistrat, après lui avoir baisé la main:

– Madame, dit-il, Sa Majesté a-t-elle à Trianon une salle où, sans être vue, elle puisse voir ce qui se passe?

– J’ai ma bibliothèque, répondit la reine; derrière les placards, j’ai fait ménager des jours dans mon salon de collation, et, quelquefois, en goûtant, je m’amusais, avec madame de Lamballe ou avec mademoiselle de Taverney, quand je l’avais, à regarder les grimaces comiques de l’abbé Vermond, lorsqu’il tombait sur un pamphlet où il était question de lui.

– Fort bien, madame, répondit monsieur de Crosne. Maintenant, j’ai en bas un carrosse que je voudrais faire entrer dans le château sans que le contenu du carrosse fût vu de personne, si ce n’est de Votre Majesté.

– Rien de plus aisé, répliqua la reine; où est-il votre carrosse?

– Dans la première cour, madame.

La reine sonna, quelqu’un vint prendre ses ordres.

– Faites entrer le carrosse que monsieur de Crosne vous désignera, dit-elle, dans le grand vestibule, et fermez les deux portes de telle sorte qu’il y fasse noir, et que personne ne voie avant moi les curiosités que monsieur de Crosne m’apporte.

L’ordre fut exécuté. On savait respecter bien plus que des ordres les caprices de la reine. Le carrosse entra sous la voûte près du logis des gardes, et versa son contenu dans le corridor sombre.

– Maintenant, madame, dit monsieur de Crosne, veuillez venir avec moi dans votre salon de collation, et donner ordre qu’on laisse entrer mon commis, avec ce qu’il apportera dans la bibliothèque.

Dix minutes après la reine épiait, palpitante, derrière ses casiers.

Elle vit entrer dans la bibliothèque une forme voilée, que dévoila le commis, et qui, reconnue, fit pousser un cri d’effroi à la reine. C’était Oliva, vêtue de l’un des costumes les plus aimés de Marie-Antoinette.

Elle avait la robe verte à larges bandes moirées noir, la coiffure élevée que préférait la reine, des bagues pareilles aux siennes, les mules de satin vert à talons énormes: c’était Marie-Antoinette elle-même, moins le sang des Césars, que remplaçait le fluide plébéien mobile de toutes les voluptés de monsieur Beausire.

La reine crut se voir dans une glace opposée; elle dévora des yeux cette apparition.

– Que dit Votre Majesté de cette ressemblance? fit alors monsieur de Crosne, triomphant de l’effet qu’il avait produit.

– Je dis… je dis… monsieur… balbutia la reine éperdue. Ah! Olivier, pensa-t-elle, pourquoi n’êtes-vous pas là?

– Que veut Votre Majesté?

– Rien, monsieur, rien, sinon que le roi sache bien…

– Et que monsieur de Provence voie, n’est-ce pas, madame?

– Oh! merci, monsieur de Crosne, merci. Mais que fera-t-on à cette femme?

– Est-ce bien à cette femme que l’on attribue tout ce qui s’est fait? demanda monsieur de Crosne.

– Vous tenez sans doute les fils du complot?

– À peu près, madame.

– Et monsieur de Rohan?

– Monsieur de Rohan ne sait rien encore.

– Oh! dit la reine en cachant sa tête dans ses mains, cette femme-là, monsieur, est, je le vois, toute l’erreur du cardinal!

– Soit, madame, mais si c’est l’erreur de monsieur de Rohan, c’est le crime d’un autre!

– Cherchez bien, monsieur; vous avez l’honneur de la maison de France entre vos mains.

– Et croyez, madame, qu’il est bien placé, répondit monsieur de Crosne.

– Le procès? fit la reine.

– Est en chemin. Partout on nie; mais j’attends le bon moment pour lancer cette pièce de conviction que vous avez là dans votre bibliothèque.

– Et madame de La Motte?

– Elle ne sait pas que j’ai trouvé cette fille, et accuse monsieur de Cagliostro d’avoir monté la tête au cardinal jusqu’à lui faire perdre la raison.

– Et monsieur de Cagliostro?

– Monsieur de Cagliostro, que j’ai fait interroger, m’a promis de me venir voir ce matin même.

– C’est un homme dangereux.

– Ce sera un homme utile. Piqué par une vipère telle que madame de La Motte, il absorbera le venin, et nous rendra du contrepoison.

– Vous espérez des révélations?