– Ah! dit monsieur de Crosne méditant profondément, mademoiselle Oliva était logée chez vous?
– Oui, monsieur.
– Ah! mademoiselle Oliva et madame de La Motte se connaissaient, se voyaient, sortaient ensemble?
– Oui, monsieur.
– Ah! madame de La Motte a été vue chez vous, le jour de l’enlèvement d’Oliva?
– Oui, monsieur.
– Ah! vous avez pensé que la comtesse voulait s’attacher cette fille?
– Que penser autrement?
– Mais qu’a dit madame de La Motte, quand elle n’a plus trouvé Oliva chez vous?
– Elle m’a paru troublée.
– Vous supposez que c’est ce Beausire qui l’a enlevée?
– Je le suppose uniquement parce que vous me dites qu’il l’a enlevée en effet, sinon je ne soupçonnerais rien. Cet homme-là ne savait pas la demeure d’Oliva. Qui peut la lui avoir apprise?
– Oliva elle-même.
– Je ne crois pas, car au lieu de se faire enlever par lui chez moi, elle se fût enfuie de chez moi chez lui, et je vous prie de croire qu’il ne fût pas entré chez moi, si madame de La Motte ne lui eût fait passer une clef.
– Elle avait une clef?
– On n’en peut pas douter.
– Quel jour l’enleva-t-on, je vous prie? dit monsieur de Crosne, éclairé soudain par le flambeau que lui tendait si habilement Cagliostro.
– Oh! monsieur, pour cela je ne me tromperai pas, c’était la propre veille de la Saint-Louis.
– C’est cela! s’écria le lieutenant de police, c’est cela! monsieur, vous venez de rendre un service signalé à l’État.
– J’en suis bien heureux, monsieur.
– Et vous en serez remercié comme il convient.
– Par ma conscience d’abord, dit le comte.
Monsieur de Crosne le salua.
– Puis-je compter sur la consignation de ces preuves dont nous parlions? dit-il.
– Je suis, monsieur, pour obéir à la justice en toutes choses.
– Eh bien! monsieur, je retiendrai votre parole; à l’honneur de vous revoir.
Et il congédia Cagliostro, qui dit en sortant:
– Ah! comtesse, ah! vipère, tu as voulu m’accuser; je crois que tu as mordu sur la lime; gare à tes dents!
Chapitre 44
Les interrogatoires
Pendant que monsieur de Crosne causait ainsi avec Cagliostro, monsieur de Breteuil se présentait à la Bastille, de la part du roi, pour interroger monsieur de Rohan.
Entre ces deux ennemis l’entrevue pouvait être orageuse. Monsieur de Breteuil connaissait la fierté de monsieur de Rohan: il avait tiré de lui une vengeance assez terrible pour se tenir désormais à des procédés de politesse. Il fut plus que poli. Monsieur de Rohan refusa de répondre.
Le garde des Sceaux insista; mais monsieur de Rohan déclara qu’il s’en rapportait aux mesures que prendraient le parlement et ses juges.
Monsieur de Breteuil dut se retirer devant l’inébranlable volonté de l’accusé.
Il fit appeler chez lui madame de La Motte occupée à rédiger des mémoires; elle obéit avec empressement.
Monsieur de Breteuil lui expliqua nettement sa situation, qu’elle connaissait mieux que personne. Elle répondit qu’elle avait des preuves de son innocence, qu’elle fournirait quand besoin serait. Monsieur de Breteuil lui fit observer que rien n’était plus urgent.
Toute la fable que Jeanne avait composée, elle la débita; c’étaient toujours les mêmes insinuations contre tout le monde, la même affirmation que les faux reprochés émanaient elle ne savait d’où.
Elle aussi déclara que le parlement étant saisi de cette affaire, elle ne dirait rien d’absolument vrai qu’en présence de monsieur le cardinal, et d’après les charges qu’il ferait peser sur elle.
Monsieur de Breteuil alors lui déclara que le cardinal faisait tout peser sur elle.
– Tout? dit Jeanne, même le vol?
– Même le vol.
– Veuillez faire répondre à monsieur le cardinal, dit froidement Jeanne, que je l’engage à ne pas soutenir plus longtemps un mauvais système de défense.
Et ce fut tout. Mais monsieur de Breteuil n’était pas satisfait. Il lui fallait quelques détails intimes. Il lui fallait, pour sa logique, l’énoncé des causes qui avaient amené le cardinal à tant de témérités envers la reine, la reine à tant de colère contre le cardinal.
Il lui fallait l’explication de tous les procès-verbaux recueillis par monsieur le comte de Provence, et passés à l’état de bruit public.
Le garde des Sceaux était homme d’esprit, il savait agir sur le caractère d’une femme; il promit tout à madame de La Motte si elle accusait nettement quelqu’un.
– Prenez garde, lui dit-il, en ne disant rien, vous accusez la reine; si vous persistez en cela, prenez garde, vous serez condamnée comme coupable de lèse-majesté: c’est la honte, c’est la hart!
– Je n’accuse pas la reine, dit Jeanne; mais pourquoi m’accuse-t-on?
– Accusez alors quelqu’un, dit l’inflexible Breteuil; vous n’avez que ce moyen de vous débarrasser vous-même.
Elle se renferma dans un prudent silence, et cette première entrevue d’elle et du garde des Sceaux n’eut aucun résultat.
Cependant, le bruit se répandait que des preuves avaient surgi, que les diamants s’étaient vendus en Angleterre, où monsieur de Villette fut arrêté par les agents de monsieur de Vergennes.
Le premier assaut que Jeanne eut à soutenir fut terrible. Confrontée avec le Réteau, qu’elle devait croire son allié jusqu’à la mort, elle l’entendit avec terreur avouer humblement qu’il était un faussaire, qu’il avait écrit un reçu des diamants, une lettre de la reine, falsifiant à la fois les signatures des joailliers et celle de Sa Majesté.
Interrogé par quel motif il avait commis ces crimes, il répondit que c’était sur la demande de madame de La Motte.
Éperdue, furieuse, elle nia, elle se défendit comme une lionne; elle prétendit n’avoir jamais vu, ni connu, ce monsieur Réteau de Villette.
Mais là encore elle reçut deux rudes secousses; deux témoignages l’écrasèrent.
Le premier était celui d’un cocher de fiacre, trouvé par monsieur de Crosne, qui déclarait avoir mené, au jour et à l’heure cités par Réteau, une dame vêtue de telle façon, rue Montmartre.
Cette dame, s’entourant de tant de mystères, qui pouvait-elle être, prise par le cocher dans le quartier du marais, sinon madame de La Motte qui habitait rue Saint-Claude.
Et quant à la familiarité qui existait entre ces deux complices, comment la nier quand un témoin affirmait avoir vu, la veille de la Saint-Louis, sur le siège d’une chaise de poste d’où était sortie madame de La Motte, monsieur Réteau de Villette, reconnaissable à sa mine pâle et inquiète.
Le témoin était un des principaux serviteurs de monsieur de Cagliostro.
Ce nom fit bondir Jeanne et la poussa aux extrêmes. Elle se répandit en accusations contre Cagliostro, qu’elle déclarait avoir, par ses sortilèges et ses charmes, fasciné l’esprit du cardinal de Rohan, auquel il inspirait ainsi des idées coupables contre la Majesté royale.
Là était le premier chaînon de l’accusation adultère.
Monsieur de Rohan se défendit en défendant Cagliostro. Il nia si opiniâtrement, que Jeanne, exaspérée, articula, pour la première fois, cette accusation d’un amour insensé du cardinal pour la reine.
Monsieur de Cagliostro demanda aussitôt et obtint d’être incarcéré pour répondre de son innocence à tout le monde. Accusateurs et juges s’enflammant, comme il arrive au premier souffle de la vérité, l’opinion publique prit immédiatement fait et cause pour le cardinal et Cagliostro contre la reine.
Ce fut alors que cette infortunée princesse, pour faire comprendre sa persévérance à suivre le procès, laissa publier les rapports faits au roi sur les promenades nocturnes, et en appelant à monsieur de Crosne, le somma de déclarer ce qu’il savait.