Le greffier, s’approchant, lui dit:
– À genoux, s’il vous plaît, madame.
– À genoux! s’écria Jeanne; à genoux! moi!… moi! une Valois, à genoux!
– C’est l’ordre, madame, dit le greffier en s’inclinant.
– Mais, monsieur, objecta Jeanne avec un fatal sourire, vous n’y pensez pas, il faut donc que je vous apprenne la loi. On ne se met pas à genoux, sinon pour faire amende honorable.
– Eh bien! madame?
– Eh bien! monsieur, on ne fait amende honorable qu’en conséquence d’un arrêt qui condamne à une peine infamante. Le bannissement n’est pas, que je sache, une peine infamante dans la loi française?
– Je ne vous ai pas dit, madame, que vous fussiez condamnée au bannissement, dit le greffier avec une tristesse grave.
– Alors! s’écria Jeanne avec explosion, à quoi donc suis-je condamnée?
– C’est ce que vous allez savoir en écoutant l’arrêt, madame, et, pour l’écouter, vous commencerez, s’il vous plaît, par vous mettre à genoux.
– Jamais! jamais!
– Madame, c’est l’article premier de mes instructions.
– Jamais! jamais, vous dis-je!
– Madame, il est écrit que si la condamnée refuse de s’agenouiller…
– Eh bien?
– Eh bien! la force l’y contraindra.
– La force! envers une femme!
– Une femme ne doit pas plus qu’un homme manquer au respect dû au roi et à la justice.
– Et à la reine! n’est-ce pas? cria furieusement Jeanne; car je reconnais bien là-dedans la main d’une femme ennemie!
– Vous avez tort d’accuser la reine, madame; Sa Majesté n’est pour rien dans la rédaction des arrêts de la cour. Allons, madame, je vous en conjure, épargnez-nous la nécessité des violences; à genoux!
– Jamais! jamais! jamais!
Le greffier roula ses papiers, et en tira de sa large poche un fort épais qu’il tenait en réserve dans la prévision de ce qui arrivait.
Et il lut l’ordre formel donné par le procureur général à la force publique de contraindre l’accusée rebelle à s’agenouiller, pour satisfaire à justice.
Jeanne s’arc-bouta dans un angle de la prison, en défiant du regard cette force publique, qu’elle avait cru être les baïonnettes dressées sur l’escalier derrière la porte.
Mais le greffier ne la fit pas ouvrir, cette porte; il fit signe aux deux hommes dont nous avons parlé, lesquels deux hommes s’approchèrent tranquillement comme ces machines de guerre, trapues et inébranlables, qu’on arme contre une muraille dans les sièges.
Un bras de chacun de ces hommes saisit Jeanne sous les épaules et la traîna au milieu de la salle, malgré ses cris et ses hurlements.
Le greffier s’assit impassible et attendit.
Jeanne ne voyait pas que pour se faire ainsi traîner, elle avait dû s’agenouiller aux trois quarts. Un mot du greffier l’en fit s’apercevoir.
– Bien comme cela, dit-il.
Aussitôt le ressort se détendit, Jeanne bondit à deux pieds du sol dans les bras des hommes qui la maintenaient.
– Il est bien inutile que vous criiez ainsi, dit le greffier, car on ne vous entend pas au-dehors, et ensuite vous n’entendrez pas la lecture que je dois vous faire de l’arrêt.
– Permettez que j’entende debout, et j’écouterai en silence, dit Jeanne haletante.
– Toutefois qu’un coupable est puni du fouet, dit le greffier, la punition est infamante et entraîne la génuflexion.
– Le fouet! hurla Jeanne. Le fouet! Ah! misérable! Le fouet, dites-vous?…
Et ses vociférations devinrent telles, qu’elles étourdirent le geôlier, le greffier, les deux aides, et que tous ces hommes, perdant la tête, commencèrent, comme des gens ivres, à vouloir dompter la matière par la matière.
Alors ils se jetèrent sur Jeanne et la terrassèrent; mais elle résista victorieusement. Ils voulurent lui faire plier les jarrets; elle raidit ses muscles comme des lames d’acier.
Elle restait suspendue en l’air dans les mains de ces hommes, et elle agitait ses pieds et ses mains de façon à leur infliger de cruelles blessures.
Ils se partagèrent la besogne: un d’eux lui tint les pieds comme dans un étau; les deux autres l’enlevèrent par les poignets, et ils criaient au greffier:
– Lisez, lisez toujours sa sentence, monsieur le greffier, sans quoi nous n’en finirons jamais avec cette enragée!
– Je ne laisserai jamais lire une sentence qui me condamne à l’infamie, cria Jeanne en se débattant avec une force surhumaine. Et joignant l’action à la menace, elle domina la voix du greffier par des rugissements et des cris d’une telle acuité, que pas un mot de ce qu’il lut elle ne l’entendit.
Sa lecture achevée, il replia ses papiers et les remit dans sa poche.
Jeanne croyant qu’il avait fini se tut, et essaya de reprendre des forces pour braver encore ces hommes. Elle fit succéder aux rugissements des éclats de rire plus féroces encore.
– Et, continua le greffier paisiblement comme une fin de formule banale, sera la sentence exécutée sur la place des exécutions, cour de justice du Palais!
– Publiquement! hurla la malheureuse… Oh!…
– Monsieur de Paris, je vous livre cette femme, acheva de dire le greffier en s’adressant à l’homme au tablier de cuir.
– Qui donc est cet homme? fit Jeanne dans un dernier paroxysme d’épouvante et de rage.
– Le bourreau! répondit en s’inclinant le greffier, qui rajustait ses manchettes.
À peine le greffier avait-il achevé ce mot, que les deux exécuteurs s’emparèrent de Jeanne et l’enlevèrent pour la porter du côté de la galerie qu’elle avait aperçue. La défense qu’elle opposa, il faut renoncer à la dépeindre. Cette femme qui, dans la vie ordinaire, s’évanouissait pour une égratignure, supporta pendant près d’une heure les mauvais traitements et les coups des deux exécuteurs; elle fut traînée jusqu’à la porte extérieure sans avoir un moment cessé de pousser les plus effrayantes clameurs.
Au-delà de ce guichet, où les soldats réunis contenaient la foule, la petite cour, dite cour de justice, apparut soudain avec les deux ou trois mille spectateurs que la curiosité y avait convoqués depuis les préparatifs et l’apparition de l’échafaud.
Sur une estrade élevée d’environ huit pieds, un poteau noir, garni d’anneaux de fer, se dressait, surmonté d’un écriteau que le greffier, par ordre sans doute, avait tâché de rendre illisible.
Cette estrade n’avait point de rampe; on y montait par une échelle sans rampe également. La seule balustrade qu’on y remarquât, c’étaient les baïonnettes des archers. Elles en fermaient l’accès comme une grille à pointes reluisantes.
La foule, voyant que les portes du palais s’ouvraient, que les commissaires venaient avec leur baguette, que le greffier marchait, ses papiers à la main, commença son mouvement d’ondulation qui la fait ressembler à la mer.
Partout les cris de: La voilà! la voilà! retentissaient avec des épithètes peu honorables pour la condamnée, et çà et là quelques observations peu charitables pour les juges.
Car Jeanne avait bien raison: elle s’était fait un parti depuis sa condamnation. Tels la méprisaient deux mois avant, qui l’eussent réhabilitée depuis qu’elle s’était posée en antagoniste de la reine.
Mais monsieur de Crosne avait tout prévu. Les premiers rangs de cette salle de spectacle avaient été occupés par un parterre dévoué à ceux qui payaient les frais de spectacle. On remarquait là, auprès des agents à large carrure, les femmes les plus zélées pour le cardinal de Rohan. On avait trouvé le moyen d’utiliser pour la reine les colères éveillées contre la reine. Ceux-là même qui avaient si fort applaudi monsieur de Rohan par antipathie de Marie-Antoinette, venaient siffler ou huer madame de La Motte, assez imprudente pour séparer sa cause d’avec celle du cardinal.
Il résulta qu’à son apparition sur la petite place, les cris furieux de: À bas La Motte! Ho la faussaire! composèrent la majorité et s’exhalèrent des plus vigoureuses poitrines.