– Affaire d’argent, vous ai-je dit: on paie une condamnée qui serait marquée pour toute autre chose, on la paie pour dire trois à quatre phrases pompeuses, et puis on la bâillonne quand elle est près de renoncer…
– Là, là, là, dit flegmatiquement celui qu’on avait appelé Maximilien, je ne vous suivrai point sur ce terrain-là, c’est peu solide.
– Hum! fit l’autre. Alors, vous ferez comme les autres badauds; vous finirez par dire que vous avez vu marquer madame de La Motte; voilà de vos caprices. Tout à l’heure ce n’est pas ainsi que vous vous exprimiez, car positivement vous m’avez dit: Je ne crois pas que ce soit madame de La Motte qu’on ait marquée.
– Non, je ne le crois pas encore, reprit le jeune homme en souriant, mais ce n’est pas non plus une de ces condamnées que vous dites.
– Alors, qui est-ce, voyons, quelle est la personne qui a été flétrie, là, sur la place, au lieu de madame de La Motte?
– C’est la reine! dit le jeune homme d’une voix aiguë à son sinistre compagnon, et il ponctua ces mots de son indéfinissable sourire.
L’autre recula en riant aux éclats et en applaudissant à cette plaisanterie, puis regardant autour de lui:
– Adieu, Robespierre, dit-il.
– Adieu, Marat, répondit l’autre.
Et ils se séparèrent.
Chapitre 51
Le mariage
Le jour même de cette exécution, à midi, le roi sortit de son cabinet, à Versailles, et on l’entendit congédier monsieur de Provence avec ces mots prononcés rudement:
– Monsieur, j’assiste aujourd’hui à une messe de mariage. Ne me parlez point ménage et mauvais ménage, je vous prie; ce serait un mauvais augure pour les nouveaux époux, que j’aime et que je protégerai.
Le comte de Provence fronça le sourcil en souriant, salua profondément son frère et rentra dans ses appartements.
Le roi, poursuivant sa route au milieu de ses courtisans répandus dans les galeries, sourit aux uns et regarda fièrement les autres, selon qu’il les avait vus favorables ou opposés dans l’affaire que le parlement venait de juger.
Il parvint ainsi jusqu’au salon carré, dans lequel se tenait la reine toute parée, dans le cercle de ses dames d’honneur et de ses gentilshommes.
Marie-Antoinette, pâle sous son rouge, écoutait avec une attention affectée les douces questions que madame de Lamballe et monsieur de Calonne lui adressaient sur sa santé.
Mais, souvent à la dérobée, elle regardait vers la porte, cherchant comme quelqu’un qui brûle de voir et se détournant comme quelqu’un qui tremble d’avoir vu.
– Le roi! cria un des huissiers de la chambre. Et dans un flot de broderies, de dentelles et de lumière, elle vit entrer Louis XVI, dont le premier regard au seuil du salon fut pour elle.
Marie-Antoinette se leva et fit trois pas au-devant du roi, qui lui baisa gracieusement la main.
– Vous êtes belle aujourd’hui, belle à miracle, madame! dit-il.
Elle sourit tristement, et, encore une fois, chercha d’un œil vague au milieu de la foule ce point inconnu que nous avons dit qu’elle cherchait.
– Nos jeunes époux ne sont-ils pas là? demanda le roi. Midi va sonner, ce me semble.
– Sire, répondit la reine avec un effort tellement violent que son rouge se gerça sur ses joues et tomba par places, monsieur de Charny seul est arrivé; il attend, dans la galerie, que Votre Majesté lui ordonne d’entrer.
– Charny!… dit le roi sans remarquer le silence expressif qui avait succédé aux paroles de la reine; Charny est là? Qu’il vienne! qu’il vienne!
Quelques gentilshommes se détachèrent pour aller au-devant de monsieur de Charny.
La reine appuya nerveusement ses doigts sur son cœur et se rassit, tournant le dos à la porte.
– Vraiment, c’est qu’il est midi, répéta le roi, la mariée devrait être ici.
Comme le roi prononçait ces paroles, monsieur de Charny parut à l’entrée du salon; il entendit les derniers mots du roi, et répondit aussitôt:
– Que Votre Majesté veuille bien excuser le retard involontaire de mademoiselle de Taverney; depuis la mort de son père, elle n’a pas quitté le lit. C’est aujourd’hui qu’elle se lève pour la première fois, et elle serait déjà rendue aux ordres du roi sans un évanouissement qui vient de la prendre.
– Cette chère enfant aimait tant son père! dit tout haut le roi; mais comme elle trouve un bon mari, nous espérons qu’elle se consolera.
La reine écouta, ou plutôt elle entendit sans faire un mouvement. Quiconque l’eût suivie des yeux tandis que Charny parlait, eût vu le sang se retirer, comme un niveau qui baisse, de son front à son cœur.
Le roi, remarquant l’affluence de noblesse et de clergé qui remplissait le salon, leva tout à coup la tête.
– Monsieur de Breteuil, dit-il, avez-vous expédié cet ordre de bannissement pour Cagliostro?
– Oui, sire, répliqua humblement le ministre.
Un souffle d’oiseau qui dort eût troublé le silence de l’assemblée.
– Et cette La Motte, qui se dit de Valois, continua le roi d’une voix forte, est-ce qu’on ne la marque pas aujourd’hui?
– En ce moment, sire, répliqua le garde des Sceaux, ce doit être fait.
L’œil de la reine étincela. Un murmure qui voulait être approbatif circula dans le salon.
– Cela contrariera monsieur le cardinal, de savoir qu’on a marqué sa complice, poursuivit Louis XVI avec une ténacité de rigueur qu’on n’avait jamais reconnue en lui avant cette affaire.
Et sur ce mot sa complice, adressé à un accusé que le parlement venait d’absoudre, sur ce mot qui flétrissait l’idole des Parisiens, sur ce mot qui condamnait comme voleur et faussaire un des premiers princes de l’église, un des premiers princes français, le roi, comme s’il eût envoyé un défi solennel au clergé, aux nobles, aux parlements, au peuple, pour soutenir l’honneur de sa femme, le roi promena autour de lui un œil flamboyant de cette colère et de cette majesté que nul n’avait senties en France depuis que les yeux de Louis XIV s’étaient fermés pour l’éternel sommeil.
Pas un murmure, pas une parole d’assentiment n’accueillirent cette vengeance que le roi tirait de tous ceux qui avaient conspiré à déshonorer la monarchie. Alors il s’approcha de la reine qui lui tendait les deux mains avec l’effusion d’une reconnaissance profonde.
À ce moment parurent à l’extrémité de la galerie mademoiselle de Taverney, blanche d’habits comme une fiancée, blanche de visage comme un spectre, et Philippe de Taverney, son frère, qui lui donnait la main.
Andrée s’avançait à pas rapides, les regards troublés, le sein haletant; elle ne voyait pas, elle n’entendait pas; la main de son frère lui donnait la force, le courage, et lui imprimait la direction.
La foule des courtisans sourit sur le passage de la fiancée. Toutes les femmes prirent place derrière la reine, tous les hommes se rangèrent derrière le roi.
Le bailli de Suffren, tenant par la main Olivier de Charny, vint au-devant d’Andrée et de son frère, les salua et se confondit dans le groupe des amis particuliers et des parents.
Philippe continua son chemin sans que son œil eût rencontré celui d’Olivier, sans que la pression de ses doigts avertît Andrée qu’elle devait lever la tête.
Parvenu en face du roi, il serra la main de sa sœur, et celle-ci, comme une morte galvanisée, ouvrit ses grands yeux et vit Louis XVI qui lui souriait avec bonté.
Elle salua au milieu du murmure des assistants, qui applaudissaient ainsi à sa beauté.
– Mademoiselle, dit le roi en lui prenant la main, vous avez dû attendre la fin de votre deuil pour épouser monsieur de Charny; peut-être, si je ne vous eusse demandé de hâter le mariage, votre futur époux, malgré son impatience, vous eût-il permis de prendre encore un mois de délai; car vous souffrez, dit-on, et j’en suis affligé; mais je me dois d’assurer le bonheur des bons gentilshommes qui me servent comme monsieur de Charny; si vous ne l’eussiez épousé aujourd’hui, je n’assistais pas à votre mariage, partant demain pour voyager en France avec la reine. Ainsi, j’aurai le plaisir de signer votre contrat aujourd’hui, et de vous voir mariée dans ma chapelle. Saluez la reine, mademoiselle, et remerciez-la; car Sa Majesté a été toute bonne pour vous.