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— Pouvez-vous expliquer ?

— On aurait dit qu’il avait vu je ne sais quelle lumière. Saint Paul arrivant à Damas devait avoir ce genre de physionomie...

— Après sa rencontre sur le chemin, saint Paul était aveugle et l’est resté quelques jours, corrigea doucement Aldo.

— M. Vauxbrun avait dépassé ce stade-là. Il rayonnait positivement mais ne s’occupait plus guère de ses affaires. Quand il n’était pas au téléphone, il écrivait de longues… je dirais même d’interminables lettres à sa fiancée. Ou encore, il écumait les magasins à la recherche de jolies choses à lui offrir. Chères de préférence ! Et je ne peux vous cacher plus longtemps que je suis inquiet.

— Ses affaires en souffrent ?

— Pas vraiment. Quand un client important se présentait, il savait toujours s’en occuper. Ce n’est qu’à ces seuls moments qu’il redevenait ce qu’il était. Pour le reste, je suffis amplement. En outre, nous disposons d’une réserve considérable… mais j’avoue que je serais plus heureux si cette folie d’achats se calmait au moins un peu !

— Où était prévu le voyage de noces ?

— En Méditerranée. On a loué un yacht qui attend dans le port de Monte-Carlo…

— Peste ! émit Morosini après un petit sifflement. Il épouserait une princesse royale qu’il ne se conduirait pas autrement !

— C’en est une pour lui. Une infante !…

— Mais peut-être désargentée ? Si j’ai bien compris, il n’y a pas eu de contrat de mariage : ce qui signifie pas de dot !

— Assurément, mais la fortune de la famille – si fortune il y a –, c’est la grand-mère qui la posséderait. Elle consisterait surtout en terres dans je ne sais plus quelle province. Une de ces haciendas vastes comme des États. L’oncle Pedro serait, lui aussi, en possession de biens dont hériterait son fils…

— Autrement dit, Isabel a ce que l’on appelle des « espérances » mais, dans la circonstance, j’espère que ces Crésus ont fait l’effort élémentaire d’un beau cadeau ?

Richard Bailey regarda Morosini d’un œil à la fois curieux et ironique :

— Vous n’avez pas l’air d’y croire beaucoup, à ces richesses ?

— Disons que j’ai des doutes. Je trouve bizarre que des gens aussi riches se hâtent de quitter leur hôtel pour s’installer chez un homme qui est sans doute leur petit gendre, leur neveu et leur cousin aux yeux de la loi française mais ne leur est rien devant Dieu. Et j’ai toujours entendu dire que, pour les peuples hispaniques, c’était le plus important. Ils devaient garder la maison pendant le voyage, comme si les domestiques de Vauxbrun n’y suffisaient pas…

— De toute façon, émit Adalbert qui venait d’entrer dans le salon depuis un moment et avait donc entendu, je crois qu’il est plus que temps d’en référer à la police ! Comme tu le dis si justement, tout cela est pour le moins bizarre…

— On y va de ce pas ! conclut Aldo en se levant.

— Essaye de prendre le temps de te changer ! conseilla Mme de Sommières, qui venait d’arriver. Et vous aussi, Adalbert ! Je vous vois mal débarquant quai des Orfèvres en jaquette et chapeau haut de forme !

Le commissaire divisionnaire Langlois était sans doute l’homme le plus élégant de toutes les polices de France, même si, depuis un sérieux accident d’auto, il usait d’une canne à pommeau d’écaille qu’il réussissait à convertir en accessoire de mode tant il en jouait avec naturel. Grand, mince, le cheveu poivre et sel, le regard gris, c’était un cerveau et aussi un fidèle serviteur d’une loi dont il lui arrivait parfois d’arrondir un peu les angles quand sa stricte application lui semblait injuste. Au fil des années, il était devenu pour Morosini et Vidal-Pellicorne un véritable ami, même s’il lui arrivait d’observer d’un œil prudent mais toujours intéressé les activités des deux compères.

Quand un planton les introduisit dans son bureau, il les accueillit d’un :

— Ne perdez pas de temps à m’expliquer ce qui vous amène ! Je le sais. M. Vauxbrun a disparu.

— Comment est-ce possible ? demanda Morosini en lui serrant la main.

— Les journaux n’ont encore rien imprimé ? fit Adalbert, même jeu.

— Pour un événement mondain de cette importance qui déplace en général des personnalités et par conséquent un certain nombre de parures tentatrices, j’ai l’habitude d’envoyer un ou deux observateurs discrets. C’était d’autant plus le cas, aujourd’hui, qu’il s’agit d’un de vos amis et que vous étiez présents.

— Vous nous considérez comme à ce point dangereux ?

Le commissaire eut un demi-sourire :

— Vous personnellement, non, mais ce qui est curieux c’est votre étrange faculté à attirer les histoires sombres, compliquées, voire les catastrophes.

— Si catastrophe il y a, c’est bien Vauxbrun qui, cette fois, s’en est chargé. Ce mariage tellement disproportionné, si dissemblable ! Enfin, ce n’est pas le moment d’ergoter et, puisque vous êtes au courant : avez-vous des nouvelles, commissaire ?

Langlois n’eut pas le loisir de répondre. Un coup bref, frappé à sa porte aussitôt ouverte, et un jeune homme d’environ vingt-cinq ans faisait irruption en claironnant :

— Cela se confirme ! C’est effectivement un enlèvement ! Il a eu lieu rue de Poitiers et…

Constatant la présence de visiteurs il s’interrompit net :

— Oh pardon ! Je ne savais pas…

— Vous ne pouviez pas savoir. Inspecteur Lecoq, Messieurs ! Il était ce matin à Sainte-Clotilde. Lecoq, voici le prince Morosini et M. Vidal-Pellicorne que vous avez dû remarquer à l’église. À présent, parlez !

— C’est le même processus que pour le général Koutiepov(2) l’an passé, à cette différence près que c’est le contraire.

— Si vous essayiez d’être clair ? soupira Langlois.

L’inspecteur Lecoq possédait encore la juvénile faculté de rougir mais ne se troubla pas :

— C’est juste pour renforcer l’impression, Monsieur ! Le général, donc, était à pied et une voiture s’est arrêtée le temps de l’y jeter. Là, M. Vauxbrun était en voiture. Trois hommes qui bavardaient sur le trottoir lui ont barré le chemin, ont assommé le chauffeur, dont l’un d’eux a pris la place, pendant que les autres maîtrisaient la victime…

— Vous avez de ces mots ! ronchonna Adalbert – ce qui lui valut un regard sévère du jeune policier :

— Quand on enlève quelqu’un, c’est rarement pour l’emmener au bal ! (Puis, revenant à son chef :) Le concierge du 5 balayait devant sa porte. Il a pu enregistrer la marque de la voiture mais n’a pas pensé au numéro !

— C’est sans importance puisqu’il s’agit d’une voiture de grande remise. Il suffira d’appeler le garage de la location mais il probable qu’on la retrouvera abandonnée quelque part. Faites le nécessaire pour que les patrouilles soient averties ! Dans tous les commissariats de Paris et de banlieue !

Lecoq sortit avec un regret si visible qu’il amusa Langlois :

— C’est un excellent élément mais il a encore besoin d’être tenu en bride. Revenons à ce qui nous occupe ! Que pouvez-vous m’apprendre ?

— Pas grand-chose sinon qu’à peine sortis de l’église, la mariée et les siens se sont installés rue de Lille.

— Quoi ? Tout de suite ?

— Ils n’ont même pas dû prendre le temps de respirer. Tandis que le beau cousin Miguel galopait au Ritz régler la note et récupérer les bagages, le reste de la famille déjeunait confortablement, lâcha Aldo, rancunier. Ils sont peut-être dans leur droit mais côté élégance j’ai déjà vu mieux !