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Avec satisfaction, Aldo et lui notèrent que le « clan » des Versaillais tenait bon. Ils étaient six au total : le général de Vernois et son épouse, le couple Olivier et Clothilde de Malden, Mme de La Begassière et lady Mendl, bien que celle-ci ne soit pas de confession catholique. Ils restèrent sagement à leur place. Mme de Sommières posa sa main sur le bras de sa lectrice :

— Plan-Crépin, dites à Lucien d’aller à la maison et de prévenir Eulalie que nous serons dix à table. Ces courageux ne méritent pas qu’on les renvoie dans leurs foyers le ventre vide…

Marie-Angéline partit comme une flèche tandis qu’Aldo, Adalbert et Tante Amélie quittaient le chœur pour s’installer avec ceux que l’on pouvait vraiment appeler les « fidèles ». L’instant suivant, l’office commençait et l’on se leva à la nouvelle entrée du prêtre qui n’avait pas gardé d’enfants de chœur. Ce fut une messe pleine de ferveur et d’émotion. L’organiste avait renvoyé les choristes mais resta à l’orgue avec Bach et Mozart pour l’accompagner en sourdine.

Chose étrange, ce fut la pieuse Marie-Angéline, l’habituée de l’office de six heures à Saint-Augustin, qui suivit avec le plus de distraction : elle retirait puis remettait ses gants, cherchait son mouchoir ou son missel, levait la tête pour examiner la voûte, bref s’agita tant et si bien que Mme de Sommières la fusilla du regard en murmurant :

— Tenez-vous tranquille, Plan-Crépin ! Qu’est-ce qui vous prend ?

— On perd du temps !

— La dignité n’est jamais du temps perdu ! Priez, que diable ! C’est vous, la spécialiste !

— Je n’y arrive pas !

L’ite missa est la précipita vers le porche tandis qu’Aldo et la marquise remettaient une généreuse offrande au prêtre en compensation d’une quête qui aurait dû être fructueuse, après quoi tout le monde se retrouva dans la rue où la marquise renouvela son invitation. Elle fut acceptée avec un plaisir d’autant plus vif qu’on allait se retrouver entre amis au cœur du problème et apprendre les dernières nouvelles.

— Ne m’attendez pas pour commencer à déjeuner, dit Aldo. Il faut que quelqu’un prévienne chez Vauxbrun. Adalbert va m’emmener.

À cet instant, Richard Bailey reparut. Il s’était rendu au magasin pour voir s’il s’était passé quelque chose mais il n’en était rien. Tout était bien fermé et l’intérieur était en ordre. On le convia aussitôt à déjeuner rue Alfred-de-Vigny et l’on se sépara.

Rue de Lille, d’où avaient disparu les voitures de livraison du traiteur, une surprise attendait Aldo et Adalbert.

Celui-ci n’avait pas encore serré ses freins que le maître d’hôtel accourait, visiblement dans tous ses états :

— Ah, Messieurs, je suis tellement heureux que vous soyez revenus. Je ne sais plus à quel saint me vouer et vous arrivez à point nommé !

— Calmez-vous, Servon ! fit Aldo en s’efforçant à une tranquillité qu’il était loin d’éprouver. On va certainement retrouver très vite M. Vauxbrun…

— Je l’espère sincèrement, Excellence ! Parce qu’ils sont venus s’installer il y a déjà un moment !

— Qui ça, « ils » ?

— Mais… la fiancée de Monsieur et sa famille. Ils sont en train de déjeuner et…

— Quoi ?

Un même mouvement fit sortir de leurs sièges les occupants de la petite Amilcar qui se ruèrent à l’intérieur de l’hôtel où il leur fallut se rendre à l’évidence : assis autour d’une table ronde dressée dans le salon donnant sur le jardin les – trois ! – Mexicains en étaient au homard Thermidor… Aldo en fut tellement suffoqué qu’il lança sans y penser :

— Bon appétit, Messieurs !

Entendant Adalbert glousser derrière lui, Aldo se rendit compte de ce qu’il venait de dire mais ne jugea pas utile de rectifier. Déjà Don Pedro était debout et, sans lâcher sa serviette, fonçait sur eux :

— Que voulez-vous ? Qu’auriez-vous à objecter à notre légitime présence en ces lieux ?

— Légitime ? Je crains que vous ne connaissiez pas la signification de ce mot. Vous êtes chez Gilles Vauxbrun, regrettablement absent pour le moment. Ce qui ne saurait durer !

— J’admets votre surprise encore que je vous eusse cru plus au fait de la loi française. Depuis hier, ma nièce est Mme Gilles Vauxbrun le plus légalement du monde. Nous sommes donc ici chez elle autant que chez lui. Ce qui nous fait un devoir, étant donné les circonstances, de rester auprès d’elle afin de la soutenir. Elle est trop jeune et trop fragile pour affronter la solitude d’une maison étrangère. Quoi qu’il en soit, nous devions nous installer ici pendant le voyage de noces en Égypte et mon fils Miguel est allé au Ritz pour régler la note et reprendre nos bagages. Cela nous évite les curiosités malsaines et, dans cette maison, entourée des siens, ma nièce supportera mieux une épreuve…

— … qui n’a pas l’air de lui couper l’appétit ? remarqua Adalbert. Ne devrait-elle pas être morte d’inquiétude, en larmes et livrée aux soins d’une femme de chambre armée de sels et d’eau de Cologne ? Cela se fait quand on aime quelqu’un…

En effet, comme s’ils n’étaient pas là, les deux femmes poursuivaient leur dégustation sans plus s’intéresser à eux… Simplement, une expression d’intense antipathie était peinte sur le visage de la douairière. Quant à Isabel, qui avait troqué sa toilette de mariée contre une robe de fin lainage bordeaux dont le col, drapé en écharpe, était retenu par une agrafe de perles fines, son attitude était la même qu’à l’église : elle gardait les yeux obstinément baissés, se comportant comme si elle n’était pas concernée.

Cependant, le ton relativement paisible dont avait usé Don Pedro envers les intrus ne résista pas à l’ironie de l’archéologue :

— Chez nous, fit-il sèchement, les filles de bonne race apprennent dès le berceau à ne rien montrer de leurs sentiments intimes. C’est donc moi qui vais traduire sa pensée : Mme Vauxbrun ne souhaite pas que nous prolongions cet entretien !

L’envie démangea Aldo de demander à la belle inconsciente ce qu’elle en pensait, mais il était plus sage de remettre à plus tard les questions auxquelles il faudrait bien qu’elle réponde. Il se contenta d’un :

— Elle pourrait le dire elle-même ! Quant à moi, je n’aurais jamais cru être traité en importun dans la demeure de mon plus vieil ami mais je me bornerai donc à espérer le revoir avant la nuit prochaine, sinon…

Un dédain quasi palpable arqua, sous la moustache, la bouche épaisse du Mexicain :

— Sinon ?

— J’ignore ce que sont vos coutumes lorsqu’une personne disparaît. Chez nous, on trouve plus simple d’en informer la police. C’est peut-être idiot mais il arrive que la chose donne des résultats. Mesdames, recevez mes hommages !

Dieu qu’il était difficile de rester courtois ou même simplement poli en certains cas ! Aldo bouillait de colère. Une fois dans la voiture d’Adalbert, il éclata :

— Mais qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? Et qu’est-ce qui a pris à Gilles de vouloir épouser cette statue ? Elle est belle, j’en conviens…

— … et il n’y a rien à ajouter ! émit Adalbert sur le mode apaisant. Tout est là : elle est venue, il l’a vue et il a été vaincu ! Il faut admettre qu’elle est sublime ! Trop peut-être ! C’est une œuvre d’art et, si tu veux mon sentiment, je me demande si Vauxbrun, saisi par une terreur sacrée, n’a pas préféré prendre la fuite au dernier moment ?

— Tu dérailles ou quoi ?

— Absolument pas ! Tu connais l’histoire de notre roi Philippe Auguste et de sa seconde épouse Ingeborg de Danemark ? Elle était si belle qu’il n’a même pas osé la toucher pendant la nuit de noces et le lendemain, l’ayant prise en horreur et les Danois ayant refusé de la reprendre, il l’a envoyée dans un donjon en l’accusant de lui avoir jeté un sort et noué l’aiguillette !