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Sans un mot, Adalbert le lui enleva, essuya soigneusement l’arme avec son mouchoir avant d’y imprimer ses propres empreintes :

— Moi, je ne risque pas grand-chose, expliqua-t-il à Aldo. Et j’ai Langlois en arrière-garde. Tandis que ce jeunot, victime de ses sentiments ? Je vois d’ici les gros titres à la une de la presse : « Un procureur de la République abat l’assassin de son père… »

— N’exagérons rien : parrain suffirait !

— Bah, il s’en trouverait bien un pour dénicher la vérité… D’autant qu’il va hériter… et n’importe comment, sa carrière serait fichue. Surtout à Lyon !

— Il va falloir le lui faire avaler. Il a une fâcheuse attirance pour la vérité…

— Ça lui passera. Il n’est pas idiot…

Le temps des explications de cette nuit insensée vint plus tard, après l’obligatoire passage des gendarmes et du juge d’instruction de Bayonne. Après aussi qu’une bonne partie des participants, côté contrebandiers, se fut dissoute dans la nature, ne laissant en ligne que Mme de Saint-Adour et ses « gens » venus spontanément au secours de vieux amis en grand danger. Lequel danger se trouva confirmé par la découverte, dans les caves, du cadavre de Don Miguel Olmedo de Quiroga, de celui d’un gangster new-yorkais dont on ne savait trop ce qu’il faisait là, accompagnés d’un Alcide Truchon, de l’agence « L’œil écoute », devenu à moitié fou de terreur.

Naturellement il y eut d’autres arrestations que celles des trois ou quatre Américains rescapés de la bataille.

Elles vinrent donc un peu plus tard, lesdites explications, autour du café et du grand feu allumé dans le salon de Saint-Adour, après qu’Honorine eut pratiquement bordé dans leurs lits les deux Mexicaines parvenues aux extrémités de leurs forces. La découverte du corps de Miguel dans la cave d’Urgarrain avait été pour elles l’estocade finale et elles avaient accepté avec reconnaissance l’hospitalité que leur offrait celle qui avait été le principal artisan de leur libération. À la stupeur totale d’Aldo – Adalbert avait sur le sujet une longueur d’avance ! –, il venait d’apprendre que le chef des contrebandiers apparus si fort à propos dans la nuit tragique n’était autre que Prisca de Saint-Adour. Elle s’en était expliquée sans détours superflus :

— Le fisc de votre damnée République nous tourmente à longueur d’année, nous autres, agriculteurs. Il faut bien se dédommager quelque part. À l’exception des gendarmes qui préfèrent rester dans leurs pénates que galoper la nuit dans les montagnes et de rares réfractaires trop convenables pour des dénonciateurs, le pays est pour moi.

Tandis que Marie-Angéline, aux anges, s’étranglait de rire, Tante Amélie avait pris la nouvelle sans surprise excessive et même avec amusement. Rien ne l’étonnait plus venant de sa cousine et, à la limite, elle trouvait l’aventure réconfortante :

— On a eu de tout dans la famille : des foudres de guerre, des aventuriers, des grandes cocottes, et une favorite royale. Sans oublier un saint ! Alors, qu’une chanoinesse devienne chef de bande, il n’y a vraiment pas de quoi en faire un fromage !

En fait, c’était Adalbert qui avait été renseigné le premier. Le soir où il était venu dîner, Prisca s’était arrangée pour parler avec lui, exigeant qu’il la tienne au courant de ce qui allait se passer, mais sous le sceau du secret :

« Même vis-à-vis de votre ami Aldo ! Il faut qu’il joue le jeu jusqu’au bout sans se douter de rien. Et, je ne vous le cache pas, mon ami Etchegoyen et moi commencions à observer avec méfiance les nouveaux propriétaires du château. Ce qui s’y passe n’est vraiment pas clair. »

L’ami Etchegoyen en question avait, lui, à son actif le sauvetage de Faugier-Lassagne qui s’était approché trop près d’Urgarrain, s’était fait canarder et, en s’enfuyant, était tombé dans sa fosse à fumier. Il l’avait recueilli, soigné et gardé chez lui, en lui conseillant, pour son bien, de laisser croire à sa disparition. En fait, le Basque était le bras droit de Mme de Saint-Adour. C’était lui qui décidait des expéditions, réunissait les hommes et traçait les plans. En outre, il était le seul parent encore vivant – mais fâché ! – du dernier propriétaire d’Urgarrain qu’il avait souhaité acheter au moment de la vente. La maison, il la connaissait comme sa poche dans le moindre recoin. À commencer par la vieille galerie souterraine creusée depuis le Moyen Âge permettant de rejoindre une rive de la Nivelle. Aussi était-il pleinement disposé à exécuter les desseins de la chanoinesse à laquelle le liait une ancienne amitié.

Dès son arrivée à Saint-Jean-de-Luz, Adalbert avait pédalé jusqu’à Saint-Adour, à la suite de quoi Prisca s’était précipitée chez Maxime Etchegoyen qui avait battu le rappel avec la satisfaction que l’on imagine.

Pourtant il n’était pas là ce soir pour fêter la victoire à Saint-Adour. Une fois la cause entendue, la bande s’était dispersée telles les feuilles tombées sous le vent d’automne, emportant les deux blessés de la nuit mais laissant sur le terrain une demi-douzaine de morts. Version officielle : lui et quelques amis s’étaient rendus à Urgarrain à la prière de Mme de Saint-Adour dont un parent venait d’être capturé par les gens du château pour le mettre à rançon… et à mort s’il ne payait pas !

Il n’y avait personne en Pays basque qui ne comprît cela ! On y avait le sens de la famille et le sens de l’honneur !…

Quinze jours plus tard, au Havre, trois hommes, debout sur le quai de la gare maritime, regardaient le paquebot France quitter le port escorté par un remorqueur pour gagner la haute mer et, loin au-delà de l’horizon, les gratte-ciel de New York. Aldo, Adalbert et François Faugier-Lassagne venaient de faire leurs adieux à Doña Luisa de Vargas y Villahermosa et à sa petite-fille Isabel qui rejoignaient les États-Unis en attendant de préparer leur retour au Mexique.

Elles repartaient blessées, meurtries par leurs deuils mais sereines. Avec elles s’en allait le collier sacré de Montezuma, et c’était leur joie de le ramener au pays. Elles l’avaient exprimée en termes chaleureux à ceux qui s’étaient finalement dévoués pour leur cause.

Quand la sirène du navire eut fait entendre son dernier salut, les trois hommes repartirent vers la ville. À ce moment, le plus jeune dit :

— Je garde une inquiétude : ces maudites émeraudes qui portent sur elles encore plus de sang, ne vont-elles pas leur être néfastes ?

— Sincèrement, je ne le pense pas, répondit Morosini. Elles sont leurs servantes dévouées et leurs mains sont pures, comme l’est, grâce à vous, Isabel, qui leur a voué sa vie. Chassez au moins cette idée de votre esprit. Votre peine est déjà suffisamment lourde à porter.

— C’est vrai. J’aurai du mal à l’oublier… Tellement que je n’aurai sûrement jamais envie de me marier.

— Célibataire comme votre père… ou comme moi ? fit Adalbert. Ce n’est pas le plus mauvais état, croyez-moi ! Évidemment, ce sera peut-être plus difficile dans la haute magistrature lyonnaise où les candidates ne doivent pas vous manquer.

— J’y ai renoncé. Je ne serai jamais procureur de la République…

— Quoi ?

Adalbert s’était exclamé. Aldo, lui, se contenta de sourire tandis que François-Gilles expliquait :

— Même endossé par vous, Adalbert, un meurtre reste un meurtre, et c’est de sang-froid que j’ai tiré sur ce misérable qui allait souiller Isabel. Je ne me reconnais plus le droit de requérir contre qui que ce soit !

— Qu’allez-vous faire ?

Cette fois Aldo se chargea de la réponse :