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— Je sais, mais c’était au Moyen Âge et Vauxbrun a derrière lui un assez beau palmarès en matière de femmes !

— Philippe Auguste aussi, n’empêche qu’il s’est retrouvé tout bête et d’autant plus furieux ! Prenons un autre exemple : ça ne devait pas être facile de coucher avec la Joconde.

— Idiot ! Le portrait est… quasi divin mais le modèle ne m’aurait jamais tenté ! Et quant à l’épouser…

— Et… la jeune Isabel ? En admettant qu’elle ne soit pas liée à un vieux copain, tu pourrais en avoir envie ?

— Non, reconnut Aldo, catégorique. Non, tu as raison ! L’émotion qu’elle pourrait éveiller en moi est purement esthétique… Quand on se souvient des derniers coups de cœur de Vauxbrun, c’est franchement incroyable qu’il ait voulu l’épouser, si tu ajoutes la différence d’âge. D’ailleurs, depuis mon arrivée, j’ai l’impression qu’il a beaucoup changé. Il a maigri ; il est… fébrile. Il est venu me chercher à la gare mais, dès qu’il m’a récupéré, il s’est comporté comme s’il avait hâte de se débarrasser de moi. Il n’a pas demandé des nouvelles de Lisa ni des jumeaux qui devaient constituer à eux deux le service d’honneur de la mariée. Si tu ajoutes que ce bon vivant n’a pas pensé à enterrer dignement sa vie de garçon et si tu additionnes, tu as un joli paquet de bizarreries… et tu n’imagines pas comme je suis content que Lisa ait attrapé une bronchite !

Vidal-Pellicorne démarra mais dut s’arrêter quelques mètres plus loin : la sortie était bouchée par une autre voiture devant laquelle patientaient Jacques Mathieu et sa jeune collègue. Immédiatement Adalbert prit feu :

— Auriez-vous l’obligeance de nous laisser passer ? On a déjà suffisamment d’ennuis sans que la presse s’en mêle ! Allez, ouste !

— Ne vous fâchez pas, Monsieur Vidal-Pellicorne ! Nous ne sommes que deux !

— Mais vous êtes aussi encombrants que si vous étiez cinquante…

— Au fait, dit Morosini, qu’avez-vous fait de vos collègues ? Vous étiez plus nombreux devant l’église ?

— On nous a proprement renvoyés dans nos foyers et nous avons obtempéré… mais ayant déjà eu l’honneur de vous fréquenter l’an passé, je vous ai suivi d’autant plus facilement que je connaissais l’adresse privée de M. Vauxbrun ! À propos, je vous présente Stéphanie Audoin, ma stagiaire.

Morosini ne put s’empêcher de sourire à ce frais visage qui, avec ses cheveux blonds ébouriffés sous un béret bleu, lui rappelait Nelly Parker, la petite journaliste du New Yorker qui lui collait aux basques mais qui, cependant, lui avait sauvé la vie :

— Content de vous connaître, Mademoiselle, et je vous souhaite une belle carrière… mais, dans l’état actuel des choses, je ne vois pas ce que nous pourrions vous apprendre.

— Toujours pas de nouvelles de M. Vauxbrun ? demanda Mathieu.

— Aucune. C’est incompréhensible !

— Il doit tout de même bien y avoir une explication, logique ou pas ?… Et, est-ce vrai que les Mexicains ont emménagé ici ?

— Eh oui, étant légalement mariée, Mme Vauxbrun en a entièrement le droit et il est naturel que ses parents souhaitent l’entourer.

— Hum !… C’est pas un peu rapide, cette histoire ? Ils auraient pu attendre avant de faire de l’occupation. On n’est pas si mal au Ritz ! Et que devient la jeune mariée en ce moment ?

— Elle mange ! lança Adalbert. Et si vous consentiez à nous laisser partir on serait contents d’en faire autant.

— Elle mange ? reprit Stéphanie. Et ça vous paraît normal ?

— Rien n’est normal dans cette histoire, Mademoiselle, et si vous voulez le fond de ma pensée, je trouve indécente cette hâte à envahir une demeure pleine de meubles et d’objets plus précieux les uns que les autres.

Ce n’était que trop vrai ! Spécialisé dans le XVIIIe siècle français, Gilles Vauxbrun, nanti d’une confortable fortune, ne revendait pas, tant s’en fallait, toutes ses trouvailles. Il était ainsi entré en possession de plusieurs meubles aux signatures prestigieuses en provenance de Versailles ou des Trianon, avait décoré son hôtel du faubourg Saint-Germain avec un goût sans défaut. Marie-Antoinette, Louis XV le raffiné ou la Pompadour s’y fussent sentis chez eux sans peine.

— Il va falloir éclaircir ce mystère ! dit Mathieu. On vous trouve où, prince ? Chez M. Vidal-Pellicorne ou chez Mme de Sommières ?

— Chez Mme de Sommières… Et si vous pouviez en savoir un peu plus sur la famille de Doña Isabel, je vous en serais infiniment reconnaissant parce que, moi, je ne sais rien !

— Vraiment rien ?

— À part que M. Vauxbrun les a rencontrés à Biarritz, absolument rien ! Cela dit, j’ai l’impression qu’il faudrait que vous songiez à dégager ! Voilà un arrivage !

En effet, deux taxis encombrés de bagages venaient de s’arrêter dans la visible intention de pénétrer dans la cour.

— On y va ! cria Mathieu en sautant dans sa voiture.

Il démarra. Adalbert embraya à sa suite mais stoppa quelques mètres plus loin pour observer l’entrée des arrivants. La silhouette arrogante de Miguel Olmedo occupait le premier véhicule, puis le cortège disparut. Derrière eux, le concierge referma le portail de l’hôtel.

Aldo avait beau savoir que c’était seulement momentané, il éprouva un bizarre pincement au cœur : le sentiment d’être définitivement retranché de son plus vieil ami, celui qui lui avait mis le pied à l’étrier lorsque, à son retour de la guerre, il avait décidé de transformer son palais vénitien en magasin d’antiquités. Et c’était douloureux…

2

DANS LE BROUILLARD…

— Pouvez-vous m’en dire davantage ?

Tandis que les invités de Mme de Sommières prenaient congé de leur hôtesse, Aldo avait emmené Mr Bailey dans le petit salon spiritualisé par deux bibliothèques d’ébène où il avait demandé qu’on leur apporte un supplément de café et une fine Napoléon dont il savait l’Anglais friand… Il fallait voir avec quelle sollicitude il chauffait entre ses mains le ballon de cristal.

— Davantage sur quoi ?

— Sur tout ! fit Morosini avec un geste d’impuissance. Et d’abord sur ce mariage dont je ne sais strictement rien. En dehors de sa lettre d’invitation reçue il y a environ un mois, je n’ai pu obtenir aucune explication. C’est à peine si nous avons échangé trois paroles en gare de Lyon et à la mairie ! Gilles ne se ressemblait plus. Il était une sorte de litanie vivante à la beauté intangible de sa fiancée et à l’exception des hautes vertus de la demoiselle, tout ce qu’il a consenti à m’apprendre est qu’il l’a rencontrée à Biarritz… et aussi qu’il a acheté un château ! C’est maigre, non ?

Le vieil Anglais reposa son verre, toussota et, les coudes appuyés sur les bras de son fauteuil, joignit les bouts de ses doigts tandis que ses traits distingués s’accordaient un semblant de grimace, comme s’il venait d’absorber une potion amère. Ce qui n’était évidemment pas le cas.

— Si, soupira-t-il. Et vous me voyez terriblement embarrassé parce que je crains de vous décevoir. Je n’en sais pas beaucoup plus que vous… sinon qu’à l’automne dernier M. Vauxbrun s’est rendu là-bas à l’occasion de la vente d’un domaine, qu’au lieu de deux ou trois jours il y est resté trois semaines, qu’à son retour il ne s’était pas contenté d’acheter une ou plusieurs « pièces » mais le château entier, qu’il allait se marier sous peu… et qu’il n’était plus le même homme…