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Lorsqu’il se réveilla, le jour pointait et la plupart des lits étaient vides. Il alla secouer Marcus Clark qui adopta tout de suite une attitude de défense.

— Doucement, vieux…

— Je rêvais qu’on était coincés par une vingtaine de gars armés de barres à mines.

Martinez les rejoignit alors qu’ils avalaient un café brûlant et des beignets.

— On roule ensemble ?

— Bien sûr, dit Kovask.

— Tu ne le trouves pas collant ? demanda Marcus alors que Martinez se dirigeait vers les lavabos.

— On verra bien.

Le Vénézuélien revint, la mine réjouie.

— Au fait, j’ai un tuyau. Celui qui embauche, c’est un copain à un copain. Un Ricain nommé Roy. Un dur, mais si on est recommandé… Dans une heure, on sera devant lui.

— La prime, c’est calculé comment ?

— Plus de vingt voyages en moins de vingt-quatre heures. Il y a des chauffeurs qui en font jusqu’à trente. La deuxième prime. Ça va chercher jusqu’à quarante dollars par jour. Mais on y laisse aussi le matériel. Les mécanos sont débordés et faut leur filer de drôles de pourboires pour qu’ils travaillent sur votre matériel. Faut pas s’amener là-bas avec des camions peu usuels. C’est vrai que, au Mexique, il y a des cimetières de G.M.C. ? Ça vaudrait le coup d’aller acheter les pièces pour les revendre ici. Dix fois plus cher. Les gars sont fous pour ne pas perdre une seconde. Marcus Clark le regarda dans les yeux :

— Pour un gars qui débarque, tu es rudement bien renseigné, hey ? On dirait que tu y as été, amigo.

— Au Mexique ?

— Non, à la Marginale.

— Je me suis documenté. J’ai emporté quelques pièces de rechange, fait équiper un filtre à air spécial. Avec la poussière…

Ils attendirent qu’il démarre pour en faire autant. Clark, la cigarette au coin des lèvres, avait l’expression morose. Kovask écoutait les bruits du G.M.C.

— Le Martinez, faudra l’avoir à l’œil. Il nous tombe dessus un peu trop par hasard, dit le lieutenant de vaisseau.

— On va le serrer de près. Une fois dans le cirque, ce sera assez facile. Il ne pourra pas quitter le boulot sans qu’on le repère.

Bientôt, la route devint effroyable, poussiéreuse et ravinée par les orages.

— C’est ça, la Marginale ? Ils feraient mieux de la goudronner avant qu’elle ne disparaisse totalement, grommela Marcus Clark. Ça promet pour le reste !

Devant eux le Berliet de Martinez roulait, invisible, au centre d’un nuage. Il y eut un embranchement, la route de droite piquant directement vers la Colombie, la ville-frontière de Cucuta. Celle de droite n’était plus qu’une vague piste.

Ils ne prêtèrent guère attention au premier camion dans le fossé, mais, au quatrième, ils comprirent.

— Ça paye, commenta Marcus Clark. Notre ferraille n’ira pas loin. Et, sans moyen de transport, dans le coin…

Kovask ralentit. Devant, le nuage retombait, se dégonflait comme une baudruche. Martinez venait de s’arrêter pour discuter avec le chauffeur d’un camion venant d’en face.

— Je vais aux nouvelles, dit Marcus. Il revint rapidement.

— Il y a de l’embauche. Le gars fout le camp comme une dizaine d’autres depuis le début de la semaine.

Kovask embraya lentement. Le torse en dehors de la portière, le chauffeur de l’autre camion leur cria quelque chose sur un ton très véhément.

— Il n’a pas l’air content, remarqua Marcus Clark. Les guérilleros ont attaqué des isolés et ont flanqué le feu aux camions.

— Il faut croire que le tracé de la Marginale les empoisonne fort, dans ce secteur. Les autorités ne se sont pas étonnées de leur acharnement ?

Une demi-heure plus tard, ils arrivaient en vue du chantier. Ils découvrirent un impressionnant matériel, d’énormes engins dont beaucoup semblaient immobilisés. Quelques mécanos se donnaient l’air de s’affairer. Plus loin la chaîne des camions s’enfonçait dans la montagne, en ressortait par une sorte de gorge, les bennes chargées d’une terre rougeâtre.

Martinez continuait, passait auprès d’un tas impressionnant de pneus de grosse taille, disparaissait derrière les pyramides de bidons pleins de carburant. Ils rencontrèrent plusieurs soldats armés qui surveillaient ces dépôts.

— L’ami Martinez connaît bien le chemin, remarqua Kovask. Tiens, il s’est arrêté devant ce baraquement.

Il les attendait, souriant.

— C’est ici qu’on se fait inscrire. Le gars rencontré en route m’a renseigné. Au fait, vous avez cent dollars devant vous ?

— Cent dollars ?

— La caution pour pouvoir bénéficier d’une assistance mécanique rapide et pour payer les huit jours d’assurance. On renouvelle chaque semaine lorsqu’on passe à la paye.

— Entrons, on verra bien.

Ils furent étonnés de voir des filles dans le baraquement. Une demi-douzaine dont plusieurs étaient jolies. Il y avait aussi plusieurs types dont un, gigantesque, le crâne rasé et la gueule arrogante.

— Roy, les avertit discrètement Martinez.

Ils s’en seraient doutés. L’homme avança vers le comptoir qui partageait la pièce, suivi par deux autres d’origine latine.

— Alors, les gars, on vient s’embaucher ?

— Je suis un ami de Satander, de Caracas. C’est lui qui m’a conseillé de venir ici.

— Satander ? Le patron de la société de bus ? Eh bien ! les gars, on va certainement s’entendre. D’ailleurs, c’est facile. Quel camion ?

— Berliet, dit Martinez.

— Ça colle. Et vous ?

— G.M.C., mais pour tous les deux. Roy hocha la tête :

— Dommage pour nous et pour vous. La paye sera à partager, et ici, mieux vaut travailler pour soi. Tâchez de vous tenir peinards et de ne pas vous bagarrer lorsqu’on vous remettra l’enveloppe.

— On est ensemble depuis dix ans, dit Kovask.

Un des Latins prenait la parole.

— Vous devez avancer cent dollars. Quatre-vingts pour la caution en cas de pépin mécanique. On vous dépanne où que vous soyez. Dix dollars d’assurance pour trois jours, dix dollars, c’est-à-dire cinq dollars chacun, d’avance pour la cantine.

— Vingt dollars d’assurance pour une semaine ? Non, mais ça fait mille dollars par an. Pour une ferraille.

— C’est obligatoire, répondit l’autre, imperturbable. Si vous ne voulez pas, à votre guise. On n’oblige personne à travailler, ici.

Les deux Américains firent semblant de se consulter du regard, puis Marcus Clark haussa les épaules.

— Qu’est-ce qu’on risque, pour une semaine ?

Il sortit cinquante dollars de son portefeuille et Kovask en fit autant. Il y eut des difficultés à propos de l’immatriculation au Guatemala.

— Vous n’êtes pas en règle. Il vous faut un permis de travail d’un mois, qui sera ensuite renouvelé pour trois mois.

— On ira le chercher à Maracaïbo. Nous n’avons pas eu la patience ni l’argent nécessaire pour attendre. Quand nous aurons fait huit jours, on se mettra en règle.

Le Vénézuélien se butait, visiblement, mais Roy intervint.

— Laisse tomber, Eusebio. Il me faut des camions. J’enverrai un message à Maracaïbo et le permis arrivera, ainsi que l’immatriculation nationale pour le tacot. Vous connaissez le tarif, les gars ? Sept cents la tonne-kilomètre. Autant que vous sachiez chacun ce que ça va vous rapporter. Toi, Martinez, environ huit dollars le voyage. Vous devez faire quinze voyages au minimum par jour, sinon on fait sauter un cinquième. Après vingt voyages, vous avez droit à une prime d’un cinquième ; après trente, deux cinquièmes. Je doute que vous alliez plus loin.