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— Nous sommes en Colombie ?

— Dans quelques instants. Ensuite, c’est la route de montagne, mais vous pourrez allumer vos phares en toute tranquillité. Tout ce territoire appartient aux bandes armées. Bogota n’a jamais pu en venir à bout malgré le napalm et les bombardements massifs des pueblos. Nous serons vraiment chez nous.

Kovask réfléchissait tout en conduisant.

— En somme, si les gouvernementaux bloquaient la piste, toute cette région serait en difficulté et les bandes armées obligées de capituler ?

Caracas engagea sa tête dans la portière.

— Vous ne manquez pas de jugement. Encore faudrait-il que quelqu’un trahisse le secret, et ce n’est jamais arrivé jusqu’à ce jour.

Il y avait une menace manifeste dans ses paroles. Kovask quitta la route des yeux pour le regarder tranquillement.

— Pensez-vous que nous en serions capables ?

— Je n’ai rien dit de tel, mais vous n’êtes que des gringos pour nous, même si vous avez fait vos preuves. Vous ne travaillez que pour de l’argent. Malheureusement, le recrutement de bons chauffeurs est impossible avant plusieurs années parmi les guérilleros. Ce serait beaucoup plus sûr pour tout le monde.

Puis, Caracas rejoignit ses compagnons à l’arrière et les deux officiers de marine échangèrent un regard éloquent. Plus tard, Caracas revint s’installer sur le capot pour guider le camion dans un terrain assez difficile. On quittait les moyennes altitudes pour les hauteurs. Bientôt, ils connurent le premier col interminable, avec des raidillons de quinze à vingt pour cent. Le G.M.C., peinait énormément, roulait à dix à l’heure.

— Il faudra de l’eau, bientôt ! cria Kovask à Caracas.

— C’est prévu plus loin.

Marcus s’était endormi. Il devait prendre le volant tout de suite après le col. Brusquement, la brume tomba et Caracas marcha devant le camion, une lampe à la main. Kovask allumait cigarette sur cigarette, écarquillait ses yeux rougis par le manque de sommeil et la fatigue.

Soudain, devant lui, la lampe fortement agitée forma une sorte d’arc-en-ciel. Il sentit que le moteur peinait moins. Le col était atteint.

— Pour l’eau, il y a une source, mais pour se réchauffer, il y a une thermos de café.

Ils en burent chacun un gobelet en attendant que le moteur refroidisse.

— Il y a un mois, un camion y a laissé son moteur, expliqua Caracas. Nous avons dû le démonter sur place, le charger à dos de mulets en pièce détachées. Il nous a fallu quatre bêtes, le descendre jusqu’à un village d’où il a été transporté chez le mécanicien le plus proche qui a travaillé deux jours dessus. Plus d’une semaine d’immobilisation.

Marcus, frigorifié, faisait les cent pas en se battant les flancs avec ses bras.

— Nous allons redescendre un peu, puis escalader une série de cols dont l’un est plus élevé que celui-ci. Nous roulerons également une partie de la journée pour nous rapprocher d’un autre point critique dans l’Etat de Boyaca. Nous avons le fleuve Meta à traverser, un rio assez important que les pluies ont dû gonfler ces derniers jours. Peut-être serons-nous obligés d’attendre la décrue.

— Rouler en plein jour ? Mais les avions ?

— Il y a des planques et on les entend venir de loin. Les hélicoptères également.

Il oubliait de citer les avions pouvant voler à très haute altitude, tous moteurs coupés, comme l’U2 qui avait pris les remarquables photographies que Harvard, le géographe, avait voulu négocier. Il semblait à Kovask que cette première partie de leur mission se situait plusieurs années en arrière tant le dépaysement était total. Il songea au commodore Gary Rice, sans nouvelles d’eux depuis plus d’une semaine et qui devait s’inquiéter follement.

— Nous passerons la fin de la journée dans une grotte. Pas très confortable, mais, enfin, ça ira.

Marcus s’installa au volant et le voyage se poursuivit à travers les montagnes. Les cols se succédaient, tous aussi difficiles, périlleux parfois. L’aube vint dans un brouillard si épais qu’ils furent surpris de découvrir qu’il faisait grand jour au fond d’une vallée étroite qu’habitaient des Indiens misérables, vêtus de loques mais arborant des armes assez modernes.

— Ceux-là, le gouvernement les a abandonnés depuis près de trente ans et, sans nous, ils crèveraient de faim. Nous allons leur laisser quelques médicaments et des conserves.

L’échange s’effectua au bord de la piste. Puis, Caracas discuta longuement avec celui qui semblait être le chef de la communauté, en une langue inconnue.

— L’aviation colombienne a bombardé le col que nous devrions franchir. Ils ont essayé de déblayer les rochers, mais ils manquaient de moyens. Nous devrons utiliser quelques explosifs parmi ceux que nous transportons. L’ennui, c’est que la grotte se trouve de l’autre côté. Vous pourrez dormir dans le camion pendant que nous ouvrirons un passage.

Les bombes de deux cent cinquante kilos avaient fait un travail énorme, ils le constatèrent en arrivant devant la passe en partie obstruée.

— Nous sommes là pour deux jours, dit Marcus.

Les Indiens que Caracas avait réquisitionnés sautèrent du camion, suivis par les guérilleros armés de barres à mine et de cartouches de dynamite.

— Conduisez le camion là-bas, dit Caracas.

Bientôt, les explosions se succédèrent durant des heures. Entre-temps, les Indiens faisaient la chaîne pour transporter les rochers, faisaient rouler les plus gros en unissant leurs forces.

— J’ai la dent, bâilla Marcus, mais ce n’est peut-être pas le moment d’y songer. Et il n’y a même plus de café dans la thermos.

— Fume un cigare, ça te passera le temps.

Le soleil devint bientôt insupportable à cette altitude et dans ce désert. Mais le travail n’arrêtait pas pour autant, et les Indiens, aidés des guérilleros, besognaient sans se reposer. Les deux hommes les trouvaient admirables.

— Si on les a abandonnés depuis trente ans, je comprends parfaitement qu’ils acceptent les pires conditions pour lutter contre les gars de Bogota.

— N’oublie pas qu’ils n’ont certainement pas la conscience tranquille et que, depuis la fin de la guerre, il y a eu deux cent mille victimes dans la Colombie tout entière. Chiffre officiel qu’il faut peut-être multiplier par deux ou par trois.

— Si j’allais tracer la route sur la carte routière ? J’ai effectué de beaux relèvements, cette nuit.

— File, je surveille.

Marcus grimpa dans la cabine, sortit son stylo à encre sympathique et voulut prendre la carte routière. Il ne la trouva pas à sa place et appela Kovask.

— Tu l’as planquée ailleurs ?

— Je n’y ai pas touché.

Ils cherchèrent sans grand espoir dans la cabine, ne la trouvèrent pas.

— Ou nous l’avons perdue en route, ou bien Caracas nous l’a fauchée parce qu’il a des soupçons.

CHAPITRE XIV

Les Indiens avaient repris le chemin de leur vallée étroite et oubliée, les trois guérilleros se reposaient, enroulés dans leur couverture, près du petit feu que Kovask et Marcus entretenaient. La route était dégagée, mais à quel prix ! Ils n’avaient pu parvenir à la grotte qu’à la tombée de la nuit.

— Nous ne repartirons pas avant demain, déclara Caracas. De toute façon, nous ne pouvons franchir le rio Meta que la nuit. C’est la règle.

— Le coin est surveillé ?

— Non, dit Caracas, la voix encore marquée par l’effort qu’il avait fourni au long de la journée. Mais nous avons reçu des instructions spéciales au sujet du passage du rio.

Le coin pourrait être surveillé de très haut. Par un avion-espion, par exemple.