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«- Oui, c’est fâcheux, dit Vampa, mais nous ne l’avons pas vu.

«Alors les carabiniers battirent le pays dans des directions différentes, mais inutilement.

«Puis, successivement, ils disparurent.

«Alors Vampa alla tirer la pierre, et Cucumetto sortit.

«Il avait vu, à travers les jours de la porte de granit, les deux jeunes gens causer avec les carabiniers; il s’était douté du sujet de leur conversation, il avait lu sur le visage de Luigi et de Teresa l’inébranlable résolution de ne point le livrer et tira de sa poche une bourse pleine d’or et la leur offrit.

«Mais Vampa releva la tête avec fierté; quant à Teresa, ses yeux brillèrent en pensant à tout ce qu’elle pourrait acheter de riches bijoux et beaux habits avec cette bourse pleine d’or.

«Cucumetto était un Satan fort habile: il avait pris la forme d’un bandit au lieu de celle d’un serpent; il surprit ce regard, reconnut dans Teresa une digne fille d’Ève, et rentra dans la forêt en se retournant plusieurs fois sous prétexte de saluer ses libérateurs.

«Plusieurs jours s’écoulèrent sans que l’on revit Cucumetto, sans qu’on entendit reparler de lui.

«Le temps du carnaval approchait. Le comte de San-Felice annonça un grand bal masqué où tout ce que Rome avait de plus élégant fut invité.

«Teresa avait grande envie de voir ce bal. Luigi demanda à son protecteur l’intendant la permission pour elle et pour lui d’y assister cachés parmi les serviteurs de la maison. Cette permission lui fut accordée.

«Ce bal était surtout donné par le comte pour faire plaisir à sa fille Carmela, qu’il adorait.

«Carmela était juste de l’âge et de la taille de Teresa, et Teresa était au moins aussi belle que Carmela.

«Le soir du bal, Teresa mit sa plus belle toilette ses plus riches aiguilles, ses plus brillantes verroteries. Elle avait le costume des femmes de Frascati.

«Luigi avait l’habit si pittoresque du paysan romain les jours de fête.

«Tous deux se mêlèrent, comme on l’avait permis, aux serviteurs et aux paysans.

«La fête était magnifique. Non seulement la villa était ardemment illuminée, mais des milliers de lanternes de couleur étaient suspendues aux arbres du jardin. Aussi bientôt le palais eut-il débordé sur les terrasses et les terrasses dans les allées.

«À chaque carrefour; il y avait un orchestre, des buffets et des rafraîchissements; les promeneurs s’arrêtaient, les quadrilles se formaient et l’on dansait là où il plaisait de danser.

«Carmela était vêtue en femme de Sonino. Elle avait son bonnet tout brodé de perles, les aiguilles de ses cheveux étaient d’or et de diamants, sa ceinture était de soie turque à grandes fleurs brochées, son surtout et son jupon étaient de cachemire, son tablier était de mousseline des Indes; les boutons de son corset étaient autant de pierreries.

«Deux autres de ses compagnes étaient vêtues, l’une en femme de Nettuno, l’autre en femme de la Riccia.

«Quatre jeunes gens des plus riches et des plus nobles familles de Rome les accompagnaient avec cette liberté italienne qui a son égale dans aucun autre pays du monde: ils étaient vêtus de leur côté en paysans d’Albano, de Velletri, de Civita-Castellana et de Sora.

«Il va sans dire que ces costumes de paysans, comme ceux de paysannes, étaient resplendissant d’or et de pierreries.

«Il vint à Carmela l’idée de faire un quadrille uniforme, seulement il manquait une femme.

«Carmela regardait tout autour d’elle, pas une de ses invitées n’avait un costume analogue au sien et à ceux de ses compagnes.

«Le comte San-Felice lui montra, au milieu des paysannes, Teresa appuyée au bras de Luigi.

«- Est-ce que vous permettez, mon père? dit Carmela.

«- Sans doute, répondit le comte, ne sommes-nous pas en carnaval!

«Carmela se pencha vers un jeune homme qui l’accompagnait en causant, et lui dit quelques mots tout en lui montrant du doigt la jeune fille.

«Le jeune homme suivit des yeux la jolie main qui lui servait de conductrice, fit un geste d’obéissance et vint inviter Teresa à figurer au quadrille dirigé par la fille du comte.

«Teresa sentit comme une flamme qui lui passait sur le visage. Elle interrogea du regard Luigi: il n’y avait pas moyen de refuser. Luigi laissa lentement glisser le bras de Teresa, qu’il tenait sous le sien, et Teresa, s’éloignant conduite par son élégant cavalier, vint prendre, toute tremblante, sa place au quadrille aristocratique.

«Certes, aux yeux d’un artiste, l’exact et sévère costume de Teresa eût eu un bien autre caractère que celui de Carmela et des ses compagnes, mais Teresa était une jeune fille frivole et coquette; les broderies de la mousseline, les palmes de la ceinture, l’éclat du cachemire l’éblouissaient, le reflet des saphirs et des diamants la rendaient folle.

«De son côté Luigi sentait naître en lui un sentiment inconnu: c’était comme une douleur sourde qui le mordait au cœur d’abord, et de là, toute frémissante, courait par ses veines et s’emparait de tout son corps; il suivit des yeux les moindres mouvements de Teresa et de son cavalier; lorsque leurs mains se touchaient il ressentait comme des éblouissements, ses artères battaient avec violence, et l’on eût dit que le son d’une cloche vibrait à ses oreilles. Lorsqu’ils se parlaient, quoique Teresa écoutât, timide et les yeux baissés, les discours de son cavalier, comme Luigi lisait dans les yeux ardents du beau jeune homme que ces discours étaient des louanges, il lui semblait que la terre tournait sous lui et que toutes les voix de l’enfer lui soufflaient des idées de meurtre et d’assassinat. Alors, craignant de se laisser emporter à sa folie, il se cramponnait d’une main à la charmille contre laquelle il était debout, et de l’autre il serrait d’un mouvement convulsif le poignard au manche sculpté qui était passé dans sa ceinture et que, sans s’en apercevoir, il tirait quelquefois presque entier du fourreau.

«Luigi était jaloux! il sentait qu’emportée par sa nature coquette et orgueilleuse Teresa pouvait lui échapper.

«Et cependant la jeune paysanne, timide et presque effrayée d’abord, s’était bientôt remise. Nous avons dit que Teresa était belle. Ce n’est pas tout, Teresa était gracieuse, de cette grâce sauvage bien autrement puissante que notre grâce minaudière et affectée.

«Elle eut presque les honneurs du quadrille, et si elle fut envieuse de la fille du comte de San-Felice, nous n’oserions pas dire que Carmela ne fut pas jalouse d’elle.

«Aussi fût-ce avec force compliments que son beau cavalier la reconduisit à la place où il l’avait prise, et où l’attendait Luigi.

«Deux ou trois fois, pendant la contredanse, la jeune fille avait jeté un regard sur lui, et à chaque fois elle l’avait vu pâle et les traits crispés. Une fois même la lame de son couteau, à moitié tirée de sa gaine, avait ébloui ses yeux comme un sinistre éclair.

«Ce fut donc presque en tremblant qu’elle reprit le bras de son amant.

«Le quadrille avait eu le plus grand succès, et il était évident qu’il était question d’en faire une seconde édition; Carmela seule s’y opposait; mais le comte de San-Felice pria sa fille si tendrement, qu’elle finit par consentir.

«Aussitôt un des cavaliers s’avança pour inviter Teresa, sans laquelle il était impossible que la contredanse eût lieu; mais la jeune fille avait déjà disparu.