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Quant à son attente d’événement, elle avait cessé; une fois le pied sur la terre ferme, une fois qu’il eut vu les dispositions, sinon amicales, du moins indifférentes de ses hôtes, toute sa préoccupation avait disparu, et, à l’odeur du chevreau qui rôtissait au bivouac voisin, la préoccupation s’était changée en appétit.

Il toucha deux mots de ce nouvel incident à Gaetano, qui lui répondit qu’il n’y avait rien de plus simple qu’un souper quand on avait, comme eux dans leur barque, du pain, du vin, six perdrix et un bon feu pour les faire rôtir.

«D’ailleurs, ajouta-t-il, si Votre Excellence trouve si tentante l’odeur de ce chevreau, je puis aller offrir à nos voisins deux de nos oiseaux pour une tranche de leur quadrupède.

– Faites, Gaetano, faites, dit Franz; vous êtes véritablement né avec le génie de la négociation.»

Pendant ce temps, les matelots avaient arraché des brassées de bruyères, fait des fagots de myrtes et de chênes verts, auxquels ils avaient mis le feu, ce qui présentait un foyer assez respectable.

Franz attendait donc avec impatience, humant toujours l’odeur du chevreau, le retour du patron, lorsque celui-ci reparut et vint à lui d’un air fort préoccupé.

«Eh bien, demanda-t-il, quoi de nouveau? on repousse notre offre?

– Au contraire, fit Gaetano. Le chef, à qui l’on a dit que vous étiez un jeune homme français, vous invite à souper avec lui.

– Eh bien, mais, dit Franz, c’est un homme fort civilisé que ce chef, et je ne vois pas pourquoi je refuserais; d’autant plus que j’apporte ma part du souper.

– Oh! ce n’est pas cela: il a de quoi souper, et au-delà, mais c’est qu’il met à votre présentation chez lui une singulière condition.

– Chez lui! reprit le jeune homme; il a donc fait bâtir une maison?

– Non; mais il n’en a pas moins un chez lui fort confortable, à ce qu’on assure du moins.

– Vous connaissez donc ce chef?

– J’en ai entendu parler.

– En bien ou en mal?

– Des deux façons.

– Diable! Et quelle est cette condition?

– C’est de vous laisser bander les yeux et de n’ôter votre bandeau que lorsqu’il vous y invitera lui-même.»

Franz sonda autant que possible le regard de Gaetano pour savoir ce que cachait cette proposition.

«Ah dame! reprit celui-ci, répondant à la pensée de Franz, je le sais bien, la chose mérite réflexion.

– Que feriez-vous à ma place? fit le jeune homme.

– Moi, qui n’ai rien à perdre, j’irais.

– Vous accepteriez?

– Oui, ne fût-ce que par curiosité.

– Il y a donc quelque chose de curieux à voir chez ce chef?

– Écoutez, dit Gaetano en baissant la voix, je ne sais pas si ce qu’on dit est vrai…»

Il s’arrêta en regardant si aucun étranger ne l’écoutait.

«Et que dit-on?

– On dit que ce chef habite un souterrain auprès duquel le palais Pitti est bien peu de chose.

– Quel rêve! dit Franz en se rasseyant.

– Oh! ce n’est pas un rêve, continua le patron, c’est une réalité! Cama, le pilote du Saint-Ferdinand, y est entré un jour, et il en est sorti tout émerveillé, en disant qu’il n’y a de pareils trésors que dans les contes de fées.

– Ah çà! mais, savez-vous, dit Franz, qu’avec de pareilles paroles vous me feriez descendre dans la caverne d’Ali-Baba?

– Je vous dis ce qu’on m’a dit, Excellence.

– Alors, vous me conseillez d’accepter?

– Oh! je ne dis pas cela! Votre Excellence fera selon son bon plaisir. Je ne voudrais pas lui donner un conseil dans une semblable occasion.»

Franz réfléchit quelques instants, comprit que cet homme si riche ne pouvait lui en vouloir, à lui qui portait seulement quelques mille francs; et, comme il n’entrevoyait dans tout cela qu’un excellent souper, il accepta. Gaetano alla porter sa réponse.

Cependant nous l’avons dit, Franz était prudent; aussi voulut-il avoir le plus de détails possible sur son hôte étrange et mystérieux. Il se retourna donc du côté du matelot qui, pendant ce dialogue, avait plumé les perdrix avec la gravité d’un homme fier de ses fonctions, et lui demanda dans quoi ses hommes avaient pu aborder, puisqu’on ne voyait ni barques, ni spéronares, ni tartanes.

«Je ne suis pas inquiet de cela, dit le matelot, et je connais le bâtiment qu’ils montent.

– Est-ce un joli bâtiment?

– J’en souhaite un pareil à Votre Excellence pour faire le tour du monde.

– De quelle force est-il?

– Mais de cent tonneaux à peu près. C’est, du reste un bâtiment de fantaisie, un yacht, comme disent les Anglais, mais confectionné, voyez-vous, de façon à tenir la mer par tous les temps.

– Et où a-t-il été construit?

– Je l’ignore. Cependant je le crois génois.

– Et comment un chef de contrebandiers, continua Franz, ose-t-il faire construire un yacht destiné à son commerce dans le port de Gênes?

– Je n’ai pas dit, fit le matelot, que le propriétaire de ce yacht fût un contrebandier.

– Non; mais Gaetano l’a dit, ce me semble.

– Gaetano avait vu l’équipage de loin, mais il n’avait encore parlé à personne.

– Mais si cet homme n’est pas un chef de contrebandiers, quel est-il donc?

– Un riche seigneur qui voyage pour son plaisir.»

«Allons, pensa Franz, le personnage n’en est que plus mystérieux, puisque les versions sont différentes.»

«Et comment s’appelle-t-il?

– Lorsqu’on le lui demande, il répond qu’il se nomme Simbad le marin. Mais je doute que ce soit son véritable nom.

– Simbad le marin?

– Oui.

– Et où habite ce seigneur?

– Sur la mer.

– De quel pays est-il?

– Je ne sais pas.

– L’avez-vous vu?

– Quelquefois.

– Quel homme est-ce?

– Votre Excellence en jugera elle-même.

– Et où va-t-il me recevoir?

– Sans doute dans ce palais souterrain dont vous a parlé Gaetano.

– Et vous n’avez jamais eu la curiosité, quand vous avez relâché ici et que vous avez trouvé l’île déserte, de chercher à pénétrer dans ce palais enchanté?

– Oh! si fait, Excellence, reprit le matelot, et plus d’une fois même; mais toujours nos recherches ont été inutiles. Nous avons fouillé la grotte de tous côtés et nous n’avons pas trouvé le plus petit passage. Au reste, on dit que la porte ne s’ouvre pas avec une clef, mais avec un mot magique.

– Allons, décidément, murmura Franz, me voilà embarqué dans un conte des Mille et une Nuits.

– Son Excellence vous attend», dit derrière lui une voix qu’il reconnut pour celle de la sentinelle. Le nouveau venu était accompagné de deux hommes de l’équipage du yacht. Pour toute réponse, Franz tira son mouchoir et le présenta à celui qui lui avait adressé la parole.

Sans dire une seule parole, on lui banda les yeux avec un soin qui indiquait la crainte qu’il ne commit quelque indiscrétion; après quoi on lui fit jurer qu’il n’essayerait en aucune façon d’ôter son bandeau.

Il jura. Alors les deux hommes le prirent chacun par un bras, et il marcha guidé par eux et précédé de la sentinelle. Après une trentaine de pas, il sentit, à l’odeur de plus en plus appétissante du chevreau, qu’il repassait devant le bivouac; puis on lui fit continuer sa route pendant une cinquantaine de pas encore, en avançant évidemment du côté où l’on n’avait pas voulu laisser pénétrer Gaetano: défense qui s’expliquait maintenant. Bientôt, au changement d’atmosphère, il comprit qu’il entrait dans un souterrain; au bout de quelques secondes de marche, il entendit un craquement, et il lui sembla que l’atmosphère changeait encore de nature et devenait tiède et parfumée; enfin, il sentit que ses pieds posaient sur un tapis épais et moelleux; ses guides l’abandonnèrent. Il se fit un instant de silence, et une voix dit en bon français, quoique avec un accent étranger: