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– Eh! il n’y a pas de bandits italiens! dit Debray.

– Pas de vampires! ajouta Beauchamp.

– Pas de comte de Monte-Cristo, ajouta Debray. Tenez, cher Albert, voilà dix heures et demie qui sonnent.

– Avouez que vous avez eu le cauchemar, et allons déjeuner», dit Beauchamp.

Mais la vibration de la pendule ne s’était pas encore éteinte, lorsque la porte s’ouvrit, et que Germain annonça:

«Son Excellence le comte de Monte-Cristo!»

Tous les auditeurs firent malgré eux un bond qui dénotait la préoccupation que le récit de Morcerf avait infiltrée dans leurs âmes. Albert lui-même ne put se défendre d’une émotion soudaine.

On n’avait entendu ni voiture dans la rue, ni pas dans l’antichambre; la porte elle-même s’était ouverte sans bruit.

Le comte parut sur le seuil, vêtu avec la plus grande simplicité, mais le lion le plus exigeant n’eût rien trouvé à reprendre à sa toilette. Tout était d’un goût exquis, tout sortait des mains des plus élégants fournisseurs, habits, chapeau et linge.

Il paraissait âgé de trente-cinq ans à peine, et, ce qui frappa tout le monde, ce fut son extrême ressemblance avec le portrait qu’avait tracé de lui Debray.

Le comte s’avança en souriant au milieu du salon, et vint droit à Albert, qui, marchant au-devant de lui, lui offrit la main avec empressement.

«L’exactitude, dit Monte-Cristo, est la politesse des rois, à ce qu’a prétendu, je crois, un de nos souverains. Mais quelle que soit leur bonne volonté, elle n’est pas toujours celle des voyageurs. Cependant j’espère, mon cher vicomte, que vous excuserez, en faveur de ma bonne volonté, les deux ou trois secondes de retard que je crois avoir mises à paraître au rendez-vous. Cinq cents lieues ne se font pas sans quelque contrariété, surtout en France, où il est défendu, à ce qu’il paraît, de battre les postillons.

– Monsieur le comte, répondit Albert, j’étais en train d’annoncer votre visite à quelques-uns de mes amis que j’ai réunis à l’occasion de la promesse que vous avez bien voulu me faire, et que j’ai l’honneur de vous présenter. Ce sont M. le comte de Château-Renaud, dont la noblesse remonte aux Douze pairs, et dont les ancêtres ont eu leur place à la Table Ronde; M. Lucien Debray, secrétaire particulier du ministre de l’intérieur; M. Beauchamp, terrible journaliste, l’effroi du gouvernement français, mais dont peut-être, malgré sa célébrité nationale, vous n’avez jamais entendu parler en Italie, attendu que son journal n’y entre pas; enfin M. Maximilien Morrel, capitaine de spahis.»

À ce nom, le comte, qui avait jusque-là salué courtoisement, mais avec une froideur et une impassibilité tout anglaises, fit malgré lui un pas en avant, et un léger ton de vermillon passa comme l’éclair sur ses joues pâles.

«Monsieur porte l’uniforme des nouveaux vainqueurs français, dit-il, c’est un bel uniforme.»

On n’eût pas pu dire quel était le sentiment qui donnait à la voix du comte une si profonde vibration et qui faisait briller, comme malgré lui, son œil si beau, si calme et si limpide, quand il n’avait point un motif quelconque pour le voiler.

«Vous n’aviez jamais vu nos Africains, monsieur? dit Albert.

– Jamais, répliqua le comte, redevenu parfaitement libre de lui.

– Eh bien, monsieur, sous cet uniforme bat un des cœurs les plus braves et les plus nobles de l’armée.

– Oh! monsieur le comte, interrompit Morrel.

– Laissez-moi dire, capitaine… Et nous venons, continua Albert, d’apprendre de monsieur un fait si héroïque, que, quoique je l’aie vu aujourd’hui pour la première fois, je réclame de lui la faveur de vous le présenter comme mon ami.»

Et l’on put encore, à ces paroles, remarquer chez Monte-Cristo ce regard étrange de fixité, cette rougeur furtive et ce léger tremblement de la paupière qui, chez lui, décelaient l’émotion.

«Ah! Monsieur est un noble cœur, dit le comte, tant mieux!»

Cette espèce d’exclamation, qui répondait à la propre pensée du comte plutôt qu’à ce que venait de dire Albert, surprit tout le monde et surtout Morrel, qui regarda Monte-Cristo avec étonnement. Mais en même temps l’intonation était si douce et pour ainsi dire si suave que, quelque étrange que fût cette exclamation, il n’y avait pas moyen de s’en fâcher.

«Pourquoi en douterait-il? dit Beauchamp à Château-Renaud.

– En vérité, répondit celui-ci, qui, avec son habitude du monde et la netteté de son œil aristocratique, avait pénétré de Monte-Cristo tout ce qui était pénétrable en lui, en vérité Albert ne nous a point trompés, et c’est un singulier personnage que le comte; qu’en dites-vous, Morrel?

– Ma foi, dit celui-ci, il a l’œil franc et la voix sympathique, de sorte qu’il me plaît, malgré la réflexion bizarre qu’il vient de faire à mon endroit.

– Messieurs, dit Albert, Germain m’annonce que vous êtes servis. Mon cher comte, permettez-moi de vous montrer le chemin.»

On passa silencieusement dans la salle à manger. Chacun prit sa place.

«Messieurs, dit le comte en s’asseyant, permettez-moi un aveu qui sera mon excuse pour toutes les inconvenances que je pourrai faire: je suis étranger, mais étranger à tel point que c’est la première fois que je viens à Paris. La vie française m’est donc parfaitement inconnue, et je n’ai guère jusqu’à présent pratiqué que la vie orientale, la plus antipathique aux bonnes traditions parisiennes. Je vous prie donc de m’excuser si vous trouvez en moi quelque chose de trop turc, de trop napolitain ou de trop arabe. Cela dit, messieurs, déjeunons.

– Comme il dit tout cela! murmura Beauchamp; c’est décidément un grand seigneur.

– Un grand seigneur étranger, ajouta Debray.

– Un grand seigneur de tous les pays, monsieur Debray», dit Château-Renaud.

Fin du tome deuxième