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Je n'aime pas cette habileté-là.

La première fois, j'avais pris tes propos pour de la lucidité teintée d'amertume. Tu avais chantonné, t'en souviens-tu, cette chanson de Léonard Cohen :

Give me back the Berlin Wall

Give me Stalin and saint Paul

I've seen the future, brother

It is a murder...

Je n'imaginais pas que tu serais complice.

Je puis aimer quelqu'un de désespéré, quelqu'un qui doute, quelqu'un qui regarde le spectacle en voyeur lucide, qui veut tout voir, tout éclairer, y compris même la défaite de ceux qu'il estime.

Je te croyais ainsi.

C'est ma morale. J'essaie de dire tout ce que je vois. Je le fais maladroitement, sans doute. J'écris quand je suis convaincue d'approcher de la vérité. Peut-être suis-je aveugle ou myope? Mais je ne veux pas être habile. Je veux qu'on continue de souffrir de la mort de Giordano Bruno, qu'on connaisse le sort des hérétiques, qu'on se souvienne de Savonarole.

Je veux qu'on espère avec Joachim de Flore. Et qu'on sache comment a vécu et est morte Ariane Duguet.

Franz Leiburg n'a nul besoin que je le serve. Il y a suffisamment d'hommes et de femmes qui se vendent.

Je dois seulement dire qui il est, comment il peut séduire et vaincre.

Je pensais que tu étais comme moi. Et voilà que je te retrouve avec les autres.

Et donc je doute de toi.

Et donc je doute de nous.

Jean-Luc Duguet me racontait une nouvelle fois, hier, qu'à Dongo, lorsqu'il s'était rendu là-bas pour identifier le corps de sa fille, quelqu'un, le médecin sans doute, avait tenté de le consoler en lui expliquant que la mort, chez certains, libère de cette torture qu'est pour eux la vie.

La mort, lui avait dit ce médecin que j'ai rencontré depuis, est la part de Dieu. Jean-Luc avait voulu que j'approuve ça, que je reconnaisse qu'Ariane avait été sauvée par la mort, survenue comme une sorte de grâce.

« N'est-ce pas, Joan? N'est-ce pas, Joan? » questionnait-il.

Je me suis tue.

J'aime la vie, Mario. Je t'aime en vie. Mais il faut que la vie soit claire.

Et, pour moi, tu es devenu presque aussi opaque que les autres.

Pour moi, c'est cela, la mort: l'obscurité qui s'étend, qui voile la vie.

Je hais cette vie-là, je la dénonce comme le règne de la mort.

Je ne veux pas d'elle.

C'est pour cela que je préfère partir, ne plus te voir durant quelques semaines. Je déciderai à mon retour.

Dans le livre sur Joachim de Flore que j'emporte avec moi, Ariane avait souligné cette phrase que je recopie. Elle exprime ce que je ressens, ce que j'espère:

Aujourd'hui, nous voyons à travers un miroir de manière confuse, mais alors ce sera face à face... Quand viendra la perfection, ce qui est limité sera aboli.

Je t'aime encore, Mario, mais je ne veux pas être habile. Je suis seulement exigeante.

Pour moi, l'amour doit être perfection : c'est lui, la part de Dieu.

Pense ce que tu veux. C'est ainsi.

Joan.