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« Cette robe conviendrait mieux pour une promenade dans le parc d’un seigneur que pour un voyage à cheval jusqu’à la Pointe de Toman », avait commenté ironiquement Nynaeve pendant qu’Egwene l’aidait à boutonner une robe de soie grise travaillée de motifs au fil d’or et de fleurs en perles sur la poitrine et le long des manches, « mais cela nous permettra de sortir sans être remarquées. »

Ainsi donc, Egwene rajusta sa cape, lissa sa propre robe en soie verte brodée d’or, jeta un coup d’œil à Élayne, en bleu à crevés crème, et espéra que Nynaeve ne s’était pas trompée. Jusque-là, tout le monde les avait prises pour des solliciteuses, des nobles ou au moins de riches bourgeoises, mais elle avait l’impression qu’elles auraient dû être la cible des regards. Elle fut surprise en comprenant pourquoi : elle se sentait déplacée dans cette robe élégante après avoir porté une simple tunique blanche de novice au cours de ces quelques derniers mois.

Un petit groupe de paysannes en solides habits de lainage sombre plongea dans une révérence à leur passage. Egwene tourna la tête vers Min dès qu’elle les eut laissées en arrière. Min avait conservé sa vaste chemise masculine et ses chausses sous un bliaud et une cape de garçon, avec un vieux chapeau à large bord enfoncé sur ses cheveux courts. « Il faut bien que l’une de nous joue les domestiques, avait-elle dit en riant. Des femmes habillées comme vous l’êtes en ont toujours au moins un. Vous regretterez de ne pas avoir mes chausses si nous avons à courir. » Elle était chargée de quatre paires de sacoches de selle bourrées de vêtements chauds, car l’hiver serait sûrement installé avant leur retour. Il y avait aussi des paquets de nourriture chapardée dans les cuisines, suffisamment pour durer jusqu’à ce qu’elles aient la possibilité d’en acheter davantage.

« Es-tu sûre que je ne peux pas porter un peu de tout ça, Min ? demanda tout bas Egwene.

— C’est malcommode à tenir, mais pas lourd », répliqua Min avec un large sourire. Elle avait l’air de penser que c’était un jeu ou alors faisait semblant de le croire. « Et l’on s’étonnerait sûrement qu’une belle dame comme toi porte ses propres fontes. Tu te chargeras des tiennes – et des miennes aussi, si tu veux – une fois que nous… » – son sourire s’effaça et elle chuchota avec véhémence : « Aes Sedai ! »

Egwene ramena en un éclair son regard en avant. Une Aes Sedai aux longs cheveux noirs lisses et au teint d’ivoire, témoignage d’un grand âge, s’approchait dans le couloir, écoutant avec attention une femme en habits grossiers de paysanne au manteau rapiécé. L’Aes Sedai ne les avait pas encore aperçues, mais Egwene la reconnut : Takima, de l’Ajah Brune, qui enseignait l’histoire de la Tour Blanche et des Aes Sedai – et qui était capable de repérer une de ses élèves à cent pas.

Nynaeve s’engagea dans un couloir transversal sans changer d’allure, mais là elles furent croisées par une des Acceptées, une grande femme maigre à la mine perpétuellement mécontente, qui avançait au pas de course en tirant par l’oreille une novice cramoisie.

Egwene fut obligée de ravaler sa salive avant de pouvoir parler. « C’était Irella, avec Else. Nous ont-elles remarquées ? » Elle fut incapable de se forcer à se retourner pour vérifier.

« Non, dit Min au bout d’un instant. Tout ce qu’elles ont vu, c’est nos vêtements. » Egwene émit un long soupir de soulagement et en entendit aussi un émaner de Nynaeve.

« J’ai le cœur qui risque de flancher avant que nous arrivions aux écuries, murmura Élayne. Est-ce que cela se passe d’habitude comme ça, une aventure, Egwene ? Ton cœur entre les dents et l’estomac retourné ?

— Je le suppose », répliqua Egwene avec lenteur. Elle avait du mal à croire qu’y avait eu un temps où elle brûlait de vivre des aventures, de faire quelque chose de dangereux et d’exaltant comme les personnages des contes. À présent, elle songea que le côté exaltant était ce dont on se souvenait quand on y repensait et que les contes laissaient de côté pas mal de désagréments. C’est ce qu’elle expliqua à Élayne.

« N’empêche, répliqua la Fille-Héritière d’un ton ferme, je n’ai jamais expérimenté quelque chose d’excitant et j’ai peu de chance d’y parvenir tant que Maman a son mot à dire et qu’elle dira jusqu’à ce que je lui succède sur le trône.

— Silence, vous deux », ordonna Nynaeve. Elles se trouvaient seules dans le couloir, pour changer, avec personne en vue ni dans une direction ni dans l’autre. Elle désigna un escalier étroit qui descendait. « Voilà probablement ce que nous cherchons. Si je n’ai pas été complètement désorientée par tous nos tours et détours. »

Elle s’engagea néanmoins dans l’escalier comme si elle était sûre d’elle, et les autres suivirent. Effectivement, la petite porte dans le bas ouvrait sur la cour poussiéreuse de l’Écurie du Sud, où étaient logés les chevaux des novices, pour celles qui en avaient, jusqu’à ce qu’elles aient de nouveau besoin d’une monture, ce qui ne se produisait généralement pas avant qu’elles deviennent Acceptées ou soient renvoyées chez elles. La masse miroitante de la Tour se dressait derrière elle ; le domaine entourant la Tour s’étendait sur un chiffre imposant d’arpents de terre, avec ses propres murs plus hauts que les remparts de bien des villes.

Nynaeve pénétra dans l’écurie du même pas que si elle la possédait. Il y régnait une odeur plaisante de foin et de cheval, et deux longues rangées de stalles se perdaient dans des ombres traversées de barres lumineuses provenant des petites fenêtres hautes assurant l’aération. Par miracle, Béla à la robe broussailleuse et la jument grise de Nynaeve se tenaient dans des stalles proches de la porte. Béla passa le nez par-dessus la barre de sa stalle et hennit doucement à l’adresse d’Egwene. Il n’y avait sur place qu’un palefrenier, un bonhomme avenant d’aspect, avec du gris dans la barbe, qui mâchonnait une paille.

« Nous voulons que nos chevaux soient sellés, lui dit Nynaeve de sa voix la plus autoritaire. Ces deux-là. Min, allez chercher votre cheval et celui d’Élayne. » Min laissa choir les sacoches et entraîna Élayne au fond de l’écurie.

Le palefrenier les regarda s’éloigner en fronçant les sourcils et retira lentement la paille de sa bouche. « Il doit y avoir une erreur, ma Dame. Ces bêtes…

— … sont à nous, répliqua d’un ton ferme Nynaeve qui croisa les bras de façon que l’anneau au Serpent soit visible. Sellez-les tout de suite. »

Egwene retint son souffle ; c’était en dernière ressource que Nynaeve devait essayer de passer pour une Aes Sedai si elles rencontraient des difficultés avec quiconque pouvait ne pas douter de sa qualité. Ce qui, bien sûr, ne serait le cas ni d’une Aes Sedai ni d’une Acceptée et probablement même pas d’une novice, mais un palefrenier…

Le bonhomme cligna des paupières en regardant l’anneau, puis Nynaeve elle-même. « On m’a dit deux, finit-il par répondre, apparemment pas impressionné.

Une des Acceptées et une novice. Il n’a pas été question de quatre personnes. »

Egwene eut envie de rire. Évidemment, Liandrin ne les avait pas crues capables de prendre leurs chevaux elles-mêmes.

Nynaeve parut déçue et sa voix se fit plus acerbe. « Sortez-moi ces chevaux sans plus tarder et sellez-les ou vous aurez besoin des Soins de Liandrin, si toutefois elle veut bien vous les donner. »

Le palefrenier répéta à la muette le nom de Liandrin mais, après un coup d’œil au visage de Nynaeve, il s’occupa des chevaux avec juste un murmure ou deux, pas assez audible pour tout autre que pour lui-même. Min et Élayne revinrent avec leurs propres montures à l’instant où il achevait d’ajuster la seconde sangle. La monture de Min était un grand hongre cendré, celle d’Élayne une jument baie à l’encolure rouée[3].

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3

Se dit d’un cheval dont l’encolure va s’arrondissant du garrot à la nuque, autrement dit dont le bord supérieur est convexe. (N.d.T.)