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— Morte, répliqua Ingtar. Le bonhomme était trop confiant. Il n’a même pas essayé de jeter un cri d’alarme. J’ai caché son corps sous un de ces buissons. »

Rand le regarda avec stupeur. Le Seanchan était trop confiant ? La seule chose qui l’empêcha de retourner immédiatement sur ses pas était le murmure angoissé de Mat.

« Nous y sommes presque. » Ingtar avait lui aussi l’air de parler pour lui-même. « Presque. Venez. »

Rand dégaina tandis qu’ils commençaient à gravir les marches de derrière. Il se rendait compte que Hurin décrochait son épée à la courte lame[4] et son brise-épée cranté, tandis que Perrin dégageait à contrecœur sa hache de la boucle qui la retenait à sa ceinture.

Le couloir à l’intérieur était étroit. Une porte entrouverte à leur droite était d’après l’odeur celle d’une cuisine. Plusieurs personnes s’y affairaient ; il y avait un bruit de voix indistinctes et, de temps en temps, le claquement léger d’un couvercle de marmite.

Ingtar indiqua du geste à Mat de montrer le chemin et ils se faufilèrent devant la porte. Rand surveilla l’étroite ouverture jusqu’à ce qu’ils aient dépassé le tournant suivant.

Une svelte jeune femme aux cheveux noirs surgit d’une porte devant eux, portant un plateau sur lequel il n’y avait qu’une tasse. Tous se figèrent. Elle tourna de l’autre côté sans regarder dans leur direction. Les yeux de Rand s’écarquillèrent. Sa longue robe blanche était pratiquement transparente. Elle disparut derrière un autre tournant du couloir.

« Avez-vous vu ça ? dit Mat d’une voix étranglée. On distinguait tout à travers… »

Ingtar appuya brusquement une main sur la bouche de Mat et chuchota : « Gardez en tête la raison de notre présence ici. Maintenant trouvez-le. Trouvez-moi le Cor. »

Mat désigna un étroit escalier en hélice. Ils gravirent un étage et Mat les conduisit vers le devant de la maison. L’ameublement dans les couloirs était succinct et semblait tout en courbes. Çà et là, une tapisserie était suspendue sur un mur ou un paravent posé devant, chacun orné de quelques oiseaux juchés sur des branches ou d’une fleur ou deux. Une rivière coulait en travers d’un paravent mais, à part l’ondulation de l’eau et d’étroites berges, le reste était vierge de tout dessin.

Autour d’eux, Rand entendait les sons de gens qui bougeaient, de pantoufles effleurant le sol, de murmures de voix. Il ne vit personne, mais il n’imaginait que trop bien quelqu’un survenant dans le couloir pour apercevoir cinq hommes qui avancent furtivement des armes à la main, hurlant « au secours »…

« Ici », chuchota Mat en désignant devant eux les deux grands battants d’une porte coulissante, dont les poignées sculptées étaient l’unique décoration. « Le poignard y est, du moins. »

Ingtar regarda Hurin ; le Flaireur repoussa les battants et Ingtar franchit le seuil d’un bond, l’épée haute. Il n’y avait personne à l’intérieur. Rand et les autres se hâtèrent d’entrer et Hurin referma vivement les battants derrière eux.

Des paravents peints masquaient tous les murs et autres portes, et tamisaient la lumière tombant de fenêtres qui devaient donner sur la rue. À une extrémité de la vaste salle se dressait une haute armoire circulaire. À l’autre était installée une petite table, l’unique siège sur le tapis tourné de façon à lui faire face. Rand entendit s’étrangler la respiration d’Ingtar, mais lui-même eut seulement envie de pousser un soupir de soulagement. Un chevalet sur la table supportait le Cor de Valère au tube d’or enroulé sur lui-même. Au-dessous, le rubis dans le manche du poignard ornementé captait la lumière.

Mat bondit vers la table, saisit Cor et poignard. « Nous l’avons, s’exclama-t-il d’une voix croassante en agitant l’arme qu’il serrait dans son poing. Nous les avons tous les deux.

— Pas si fort, dit Perrin avec une grimace. Nous ne les avons pas encore sortis d’ici. » Ses mains remuaient sur le manche de sa hache ; elles semblaient avoir envie de tenir autre chose.

« Le Cor de Valère. » L’accent d’Ingtar révélait une vénération sincère. Il toucha le Cor avec hésitation, suivant du doigt l’inscription en lettres d’argent incrustée autour du pavillon et prononçant à la muette sa traduction, puis il retira sa main, frémissant d’exaltation. « C’est lui. Par la Lumière, c’est lui ! Je suis sauvé. »

Hurin déplaçait les paravents qui masquaient les fenêtres. Il repoussa le dernier hors de son chemin et examina la rue au-dessous. « Ces soldats sont tous encore là, comme qui dirait qu’ils ont pris racine. » Il frissonna. « Ces… choses-là aussi. »

Rand alla le rejoindre. Les deux bêtes étaient des grolms ; c’était indubitable. « Comment ont-ils… » Il releva les yeux en parlant et sa voix s’éteignit. Il voyait par-dessus un mur l’intérieur du jardin de la grande maison qui se trouvait de l’autre côté de la rue. Il distinguait les endroits où d’autres murs avaient été abattus pour lui adjoindre d’autres jardins. Des femmes étaient assises sur des bancs là-bas, ou se promenaient dans les allées, toujours par deux. Des femmes reliées, du cou au poignet, par des laisses d’argent. L’une d’elles, avec un collier au cou, redressa la tête. Il était trop loin pour voir nettement ses traits mais, pendant un instant, il eut l’impression de croiser son regard, et il sut. Le sang se retira de son visage. « Egwene, dit-il dans un souffle.

— Qu’est-ce que tu racontes ? s’exclama Mat. Egwene est en sécurité à Tar Valon. Je voudrais bien y être.

— C’est ici qu’elle est », répliqua Rand. Les deux femmes tournaient, se dirigeant vers l’un des bâtiments situés à l’autre extrémité des jardins réunis. « Elle est ici, juste de l’autre côté de la rue. Oh, par la Lumière, elle porte un de ces colliers !

— En es-tu sûr ? » demanda Perrin. Il s’approcha pour regarder par la fenêtre. « Je ne la vois pas, Rand. Et… et je la reconnaîtrais si je la voyais, même à cette distance.

— J’en suis certain », affirma Rand. Les deux femmes disparurent dans une des maisons dont la façade donnait sur l’autre rue. Il avait l’estomac serré. Elle est censée être en sécurité. Elle est censée se trouver dans la Tour Blanche. « Il faut que je la sorte de là. Vous autres…

— Tiens ! » La voix grasseyante était aussi feutrée que le son des portes coulissant dans leur rainure. « Vous n’êtes pas celui que j’attendais. »

Pendant un bref instant, Rand resta à regarder, stupéfait. L’homme de haute taille, à la tête rasée, qui venait d’entrer dans la salle, était vêtu d’une longue robe bleue traînant jusqu’à terre et ses ongles étaient si longs que Rand se demanda s’il pouvait manipuler quoi que ce soit. Les deux hommes qui se tenaient obséquieusement derrière lui n’avaient que la moitié de leur chevelure noire rasée, le reste pendait en tresse sur leur joue droite. Une épée dans son fourreau reposait sur les avant-bras de l’un d’eux.

Rand n’eut qu’un instant pour s’étonner, puis des paravents basculèrent, dévoilant à chaque extrémité de la salle l’embrasure d’une porte bloquée par quatre ou cinq guerriers seanchans, nu-tête mais cuirassés et l’épée au clair.

« Vous êtes en présence du Puissant Seigneur Turak… », commença l’homme chargé de l’épée, jetant à Rand et à ses compagnons un regard de colère, mais un léger mouvement d’un doigt à l’ongle laqué de bleu le fit s’interrompre. L’autre serviteur s’avança en saluant et se mit à déboutonner la robe de Turak.

« Quand un de mes gardes a été trouvé mort, déclara calmement le personnage à la tête rasée, j’ai soupçonné l’homme qui dit s’appeler Fain. Je me méfiais de lui depuis que Huan est mort si mystérieusement, lui qui avait toujours eu envie de ce poignard. » Il écarta les bras pour que le serviteur ôte sa robe. En dépit de sa voix douce, presque chantante, des muscles durs saillaient comme des cordes sur ses bras et sa poitrine lisse, qui était nue jusqu’à une ceinture-écharpe bleue resserrée sur un ample pantalon blanc, lequel paraissait constitué de centaines de plis. Il avait un ton détaché et semblait indifférent aux armes que Rand et ses compagnons avaient en main. « Et maintenant trouver des inconnus avec non seulement le poignard mais aussi le Cor. Il me sera agréable de tuer un ou deux d’entre vous, puisque vous avez troublé ma matinée. Ceux qui survivront me raconteront ce que vous êtes et pourquoi vous êtes venus. » Il tendit une main sans tourner la tête – l’homme à l’épée au fourreau en déposa la poignée dans cette main – et dégaina la lourde lame courbe. « Je ne voudrais pas que le Cor soit endommagé. »

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4

Ou brand au Moyen Âge. (N.d.T.)