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Pendant un instant, il eut envie de fourrer le parchemin dans la flamme de la lanterne – c’était quelque chose de dangereux à avoir sur soi, dans Tear ou Illian ou n’importe quelle autre ville dont le nom lui venait à l’esprit – mais finalement il le plaça avec soin dans une niche secrète derrière son bureau, masquée par un panneau que lui seul savait comment ouvrir.

« Mes possessions, hein ? »

Il collectionnait de vieilles choses, autant que c’était faisable pour qui vivait à bord d’un bateau. Ce qu’il ne pouvait acheter, parce que trop cher ou tenant trop de place, il le collectionnait en le voyant et en le fixant dans sa mémoire. Tous ces vestiges des temps passés, toutes ces merveilles éparpillées de par le monde qui l’avaient poussé dans sa jeunesse à monter pour la première fois à bord d’un navire. À Maradon, au cours de ce dernier voyage, il en avait ajouté quatre à sa collection, et c’est alors que la poursuite par les Amis du Ténébreux avait commencé. Et par des Trollocs aussi, pendant une certaine période. Il avait entendu dire que la ville de Pont-Blanc avait été brûlée jusqu’aux fondations juste après son départ, et des rumeurs avaient couru concernant la présence de Myrddraals aussi bien que de Trollocs. C’est cela tout ensemble qui l’avait convaincu dès l’abord qu’il ne se montait pas la tête, qui l’avait mis sur ses gardes quand cette première commission bizarre avait été offerte – trop d’argent pour un simple voyage jusqu’à Tear et une histoire peu convaincante pour le justifier.

Il fouilla dans son coffre et disposa sur le bureau ce qu’il avait acheté à Maradon. Un bâton lumineux, datant de l’Ère des Légendes ou du moins censé remonter jusque-là. Certes, personne ne savait plus les fabriquer. Coûteux, ça, et plus rare qu’un magistrat honnête. Il ressemblait à une barre de verre ordinaire, plus épaisse que son pouce et pas tout à fait aussi long que son avant-bras mais, quand on le tenait dans la main, il luisait d’une clarté aussi vive qu’une lanterne.

Les bâtons lumineux se brisaient aussi comme du verre ; il avait failli perdre l’Écume dans l’incendie provoqué par le premier qu’il avait acquis. Une petite sculpture d’ivoire noirci par l’âge représentant un homme armé d’une épée. Le bonhomme qui l’avait vendue prétendait que si vous la teniez assez longtemps dans la main vous commenciez à avoir chaud. Ce n’était jamais arrivé à Domon, ni à aucun des membres de l’équipage à qui il l’avait laissée tenir, mais cette statuette était ancienne et cela suffisait à Domon. Le crâne d’un félin aussi gros qu’un lion et tellement vieux qu’il s’était pétrifié. Mais aucun félidé n’avait jamais eu de crocs, presque des défenses, d’un pied de long[1]. Et un disque épais de la taille d’une main d’homme, moitié blanc et moitié noir, les couleurs séparées par une ligne sinueuse. Le brocanteur de Maradon avait dit qu’il datait de l’Ère des Légendes, pensant mentir, mais Domon n’avait que peu marchandé avant de payer parce qu’il reconnaissait ce que le brocanteur ne connaissait pas : l’antique symbole des Aes Sedai d’avant la Destruction du Monde. Pas précisément quelque chose de tout repos à posséder, mais pas non plus un objet auquel renoncer pour un homme fasciné par ce qui est ancien.

Et c’était de la pierre-à-cœur. Le brocanteur n’avait jamais osé ajouter ce détail à ce qu’il estimait être de pures inventions. Aucun brocanteur du front du fleuve à Maradon n’avait les moyens de s’offrir même un seul morceau de cuendillar.

Le disque était dur et lisse dans sa main, et sans valeur à part son antiquité, mais il craignait que ce soit ce que ses poursuivants voulaient avoir. Les bâtons lumineux, les statuettes d’ivoire et même les os pétrifiés, il en avait vu d’autres fois, en d’autres lieux. Pourtant même sachant ce qu’ils voulaient – en admettant qu’il ne se trompe pas – il ne comprenait toujours pas pour quelle raison et il n’était plus sûr de leur identité. Des marcs de Tar Valon et un antique symbole des Aes Sedai. Il se frotta les lèvres avec la main ; le goût de la peur était amer sur sa langue.

Un coup à la porte. Il posa le disque et tira une carte déroulée sur ce qui se trouvait sur son bureau. « Venez. »

Yarin entra. « Nous avons dépassé le môle, Capitaine. »

Domon éprouva une bouffée de surprise, puis de colère contre lui-même. Il n’aurait jamais dû se laisser absorber au point de ne pas sentir L’Écume monter à la houle. « Cap à l’ouest, Yarin. Veillez-y.

— Ebou Dar, Capitaine ? »

Pas assez loin. D’au moins cinq cents lieues. « Nous relâcherons le temps pour moi d’acheter des cartes et de faire le plein des barils d’eau, puis nous naviguerons vers l’ouest.

— L’ouest, Capitaine ? Tremalking ? Le Peuple de la Mer est dur en affaires avec tous les navires marchands sauf les siens.

— L’Océan d’Aryth, Yarin. Le négoce va bon train entre le Tarabon et l’Arad Doman, et il n’y a guère de navires tarabonais ou domani pour nous causer du souci. Ils n’aiment pas la mer, à ce que j’ai entendu dire. Et toutes ces petites villes sur la Pointe de Toman, chacune maintient son indépendance par rapport aux autres nations. Nous pouvons même embarquer des fourrures et des piments glacés de la Saldaea apportés à Bandar Eban. »

Yarin secoua lentement la tête. Il considérait toujours le mauvais côté des choses, mais c’était un bon marin. « Les fourrures et les piments nous coûteront plus cher là-bas que de remonter le fleuve pour aller les chercher, Capitaine. Et on m’a dit qu’il y avait une sorte de guerre. Si le Tarabon et l’Arad Doman se battent, ça se pourrait que le commerce soit au point mort. Je doute que nous tirions grand-chose des villes de la Pointe de Toman seules, même si elles sont en paix. Falme est la plus importante, mais elle n’est pas grande.

— Les gens du Tarabon et ceux du Doman se sont toujours chamaillés à propos de la Plaine d’Almoth et de la Pointe de Toman. Même si cela en vient aux coups cette fois-ci, quelqu’un de prudent peut toujours trouver de quoi commercer. Cap à l’ouest, Yarin. »

Quand Yarin eut regagné le pont, Domon ajouta le disque noir et blanc à ce que contenait la niche secrète et rangea le reste au fond de son coffre. Amis du Ténébreux ou Aes Sedai, je ne me précipiterai pas dans la direction où ils veulent m’envoyer. Que la Fortune me pique, je n’irai pas.

L’esprit tranquille pour la première fois depuis des mois, Domon monta sur le pont au moment où l’Écume s’inclinait pour prendre le vent et orientait son étrave vers l’ouest dans la mer obscurcie par la nuit.

10

La poursuite commence

Ingtar imposa une allure rapide pour un début de long voyage, assez vive pour que Rand éprouve un peu d’inquiétude en ce qui concernait les chevaux. Ceux-ci pouvaient soutenir le train pendant des heures, mais ils avaient encore devant eux la majeure partie de la journée, et probablement d’autres jours derrière celle-là. À la rigidité des traits d’Ingtar, Rand pensa qu’il entendait peut-être bien attraper dès le premier jour, dès la première heure, ceux qui avaient volé le Cor. Se rappelant le ton de sa voix quand il avait prêté serment à l’Amyrlin, Rand n’en aurait pas été autrement étonné. Néanmoins, il garda le silence. Tel avait été l’ordre du Seigneur Ingtar ; quelque amical qu’il se soit montré envers Rand, il n’apprécierait pas qu’un berger donne un avis.

Hurin chevauchait à un pas derrière Ingtar, mais c’était lui le Flaireur qui les conduisait vers le sud, désignant la direction pour Ingtar. Le pays était tout en ondulations de collines boisées, couvertes de sapins, de chênes et de lauréoles, mais la piste que traçait Hurin filait presque droit comme une flèche, sans infléchissement sauf pour contourner quelques-unes des plus hautes collines, quand le trajet était manifestement plus court autour que par-dessus. La bannière au Hibou Gris ondulait dans le vent.

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1

Il s’agit d’un crâne de tigre à dents de sabre : un machérode, carnivore de l’ère tertiaire.