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— Vous êtes fiancée ? que je lui demande.

— Non, qu'elle me répond.

— Vous n'allez pas me raconter que votre vie ressemble au désert de Gobbi ?

— J'ai UNE amie, dit-elle.

J'en ai la glotte qui part à dame ! Elle a bien dit « UNE » amie, hein, les gars ? Vous avez entendu comme moi ? Il y a erreur d'aiguillage. Voilà que je tombe sur une adepte du gigot à l'ail ! Mademoiselle cachette les enveloppes ! C'est pas demain qu'elle l'aura, son mouflet personnel, du train où vont les choses (si je puis ainsi m'exprimer). Le travail à la menteuse, c'est de l'ouvrage de dame ! Un gamin de soixante-quinze ans en ferait pipi dans ses chaussettes ! Voir une belle souris comme Claire, en relief et couleurs, avec parfum de chez Rochas et balcon donnant sur la mer et se dire qu'elle est perdue pour l'humanité souffrante, ça vous cloque des adhérences au cervelet. On a envie de décrocher son bâton de pèlerin et de partir à pince pour Lourdes, histoire de faire brûler un cierge à sa santé ! Hélas, les bâtons de pèlerin, on n'en trouve plus guère que dans les gogues de campagne.

— Vous me décevez, ne puis-je m'empêcher de murmurer.

Ça ne l'émeut pas.

— Vraiment ?

— Une petite déesse comme vous, se laisser mettre à l'index, c'est navrant. Vous n'avez jamais essayé un bonhomme ?

— Si, mais je n'ai pas trouvé l'expérience concluante.

— Parce que vous êtes tombée sur un raton laveur. Enfin, chacun ses goûts.

« Le Clos Fleuri » est une aimable pension normande située dans un grand parc au bord de l'Arve. L'établissement est tenu par deux vieilles filles proprettes qui se mettent à pousser des cris d'admiration en voyant débarquer le bébé. Elles lui font gli-gli sous le menton et lui inventent des noms exotiques en exhalant des râles d'allégresse.

Je suis surpris parce que cette maison de très bon aloi ne correspond pas à ce que j'imaginais. Je m'attendais à débarquer dans un endroit suspect, mais au contraire, ici tout est propre, tout est sain et paisible. C'est la doulce province dans toute sa tiédeur.

Tandis que Claire s'installe avec son pensionnaire, j'interviewe l'une des demoiselles.

— Vous connaissez son Excellence ? je lui demande.

— Non. C'est son secrétaire qui est venu louer. Surtout dites bien à M. le consul combien nous sommes fières, ma sœur Hortense et moi, de ce choix. En honorant notre modeste maison, il…

Etc, etc…

— Vous ne connaissez pas l'hymne alabanien ? fais-je.

— Du tout !

— Eh bien ! il faudra l'apprendre. Son Excellence veut que vous le chantiez tous les matins à son fils lorsqu'il se réveille.

C'est une vieille demoiselle très alarmée que je quitte pour reprendre la route de Paris.

CHAPITRE XV

Je passe par Saint-Cloud afin de me déloquer. M'man ouvre de grands yeux en me voyant radiner dans cette tenue de chauffeur.

— Antoine, mon grand, soupire-t-elle, tu es obligé d'en faire, des choses !

Je l'embrasse.

— C'est rigolo comme tout, M'man.

Je la regarde tendrement. Elle a un peu vieilli ces derniers temps, Félicie. Les rides se sont un peu creusées autour des yeux, de même que ses tempes. Ses cheveux sont plus gris. Son regard est un peu triste. J'ai le cœur qui me remonte dans le gosier. Je me dis qu'elle vieillit dans les affres. Elle passe sa vie à trembler pour son sacré rejeton. Un jour elle disparaîtra et je charrierai un éternel remords, celui de l'avoir privée de ma présence.

— Je t'aime drôlement fort, tu sais, M'man.

Elle a un petit sourire heureux. En guise de réponse elle me caresse la joue du bout des doigts.

— Ecoute, M'man, je sais bien que je te le promets souvent et que je ne tiens pas beaucoup mes promesses, mais c'est décidé. Dès que j'ai achevé mon enquête en cours, on fiche le camp quinze jours à la campagne tout les deux.

Elle n'en croit pas une broque, mais elle fait semblant.

— Mais oui, Antoine.

— Je suis à la bourre de vacances. Si je prenais tous les congés qui me sont dus, J'aurais droit à la retraite anticipée ! On ira dans un coin, pas loin. La distance ne fait rien à la chose. Du côté de Fécamp, tu veux ? On cherchera une auberge sans téléphone et on bouffera de la langouste à tous les repas. Tu peux déjà préparer nos valises, c'est du peu au jus.

Je me refringue en civil et je mate the clock. Il est presque neuf heures.

— Tu ne dînes pas à la maison ? s'inquiète la chère femme.

— Si, mais plus tard. Tiens-moi un petit quelque chose tout prêt, je le croquerai en rentrant.

— Je vais regarder la télé, chuchote-t-elle.

Ce qui veut dire, dans le langage de Félicie, qu'elle va m'attendre, m'espérer jusqu'à la fin des programmes et au-delà. Elle aime tant me voir manger ses petits plats mijotés. Elle me verse à boire, me tend le Sel ou la moutarde à l'instant précis où j'en ai besoin…

— T'es pas malade, M'man ?

— Mais non, quelle idée, j'ai mauvaise mine ?

— Tu parais lasse.

— Parce que je n'ai pas eu ma femme de ménage aujourd'hui. Figure-toi que sa fille vient d'accoucher, la pauvre avait pris de la thalidomide, et…

Félicie se signe. D'où je conclus que la pauvre Mme Saugrenut, qui décidément les collectionne toutes, est maintenant grand-mère d'une otarie.

Un calme plat (c'est la seule chose qui soit plate dans leur appartement) règne chez les Bérurier. La bonne vient délourder et m'informe qu'en effet, Monsieur est là.

Les décombres ont été balayés : on a mis du grillage au plafond pour que le voisin du dessus qui risquerait de ne pas s'entendre tomber reste chez lui, et recollé ce qui était recollable.

Berthe, affalée sur un canapé, regarde la télé. A ses côtés il y a leur ami le coiffeur. Béru est assis sur une chaise, derrière eux, comme dans l'autobus. On entend le bruit menu et-flasque de la jarretelle de la Grosse sur laquelle le coiffeur fait des gammes. A la télé, M. Pierre Sabbagh en personne dans l'homme du XXe. siècle. Il pose une question drôlement épineuse, M. Sabbagh « Quelle était la couleur du cheval d'Henri IV ? » Y a un suspense si épuisant qu'aucune des trois personnes ne daignent me saluer. Je m'assieds aux côtés du gros. La bonne se met sur mes genoux parce que je viens de mobiliser son siège. La minute est angoissante. C'est le match de l'année : M. Balandard contre les gars de Bellenaves (Allier). Le représentant de Bellenaves dit que le cheval d'Henri IV (le roi du Bouillon Kub) était gris pommelé. M. Balandard, lui, affirme qu'il était noir. Zéro point partout ! Et le jeu se poursuit.

Sa Majesté se décide à me tendre deux doigts négligemment.

— Quel bon vent ? me demande-t-il, très Régence.

Je presse les deux francforts.

— On peut bavarder un instant ?

— A la fin de l'émission, tranche-t-il. D'ailleurs ça va z'être la dernière question.

— Une question de littérature ! nous précise M. Sabbagh. (C'est maintenant le jeudi le jour du Sabbagh).

Il prend une fiche dans un casier et son visage s'éclaire comme le hall d'un cinéma.

— Qui a écrit « Du Mouron à se faire », demande-t-il, en prenant son petit air narquois qui bouleverse quatre millions cinq cent vingt-six mille téléspectatrices.

M. Balandard répond Shakespeare ; le représentant de Bellenaves dit que c'est San-Antonio, et naturellement il triomphe.