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— Je me rappelais plus que c'était de toi, convient Bérurier.

— Parce que ta formation classique laisse à désirer !

La victoire des Beauxnavets est totale. M. Balandard est mystifié. Il gagne tout de même un petit quelque chose, et le droit de serrer la louche à maître Lesage. Y en a qui se sont fait tuer pour moins que ça ! Je m'apprête à saluer la baleine, mais je ne la vois plus. Elle vient de s'abattre sur le canapé. Le coiffeur lui fait le coup du bigoudi investigateur et la Gravosse roucoule comme un torrent.

— Y a des intermèdes chez toi ! chuchoté-je au Gros en lui désignant son cétacé.

Il murmure à mon oreille.

— Je peux rien dire : nous sommes z'en froid.

Puis, me montrant son copain le merlan, il ajoute : « Figure-toi que ce tordu vient de divorcer. Nous allons nous le taper tous les soirs à partir de dorénavant. »

Ce pluriel est quelque peu singulier. J'entraîne pudiquement le Gros jusqu'au troquet d'en bas.

Une fois accoudé au bastingage ça va mieux. L'hénorme retrouve sa sérénité.

— Tu vois, fait-il, depuis notre algarade d'hier, je bourdonne. Ça me fait de la peigne de ne plus avoir mon tigre. Enfin je vais le faire naturaliser ; quant à mon Sahara-Bernard il est en clinique ; tu le verrais, plâtré comme il est, tu croirais que c'est sa statue.

— On va le mettre au coté de Pinaud sur un piédestal, rigolé-je.

— A propos de Pinaud, je suis été le voir en fin de journée.

— Comment va-t-il ?

— Toujours ses démangeaisons. Le flic qui le garde passe son temps à le gratter.

— Maintenant, au rapport ! fais-je.

Bérurier vide son verre de beaujolpif.

— Bouscule pas le marin, proteste-t-il.

Il torche ses lèvres d'un puissant revers de manche et fait signe au taulier de pratiquer une nouvelle transfusion.

— Bon, causons. Côté observation, y a rien à dire vu que le consulat a tété fermaga toute la journée et que personne n'y est venu. Je m'ai fait mal à la tétine de l'œil à force de zieuter depuis chez ton vieux prof avec des jumelles.

— Pas de nouvelles de Morpion ?

— Pas la moindre plus légère. Sa pipelette ne l'a pas vu ion plus.

— Bref, tu n'as absolument rien à m'apprendre ?

Le Gros se compose une attitude énigmatique. Il plisse un œil, ouvre tout grand l'autre et se pince le bout du pif entre le pouce et l'index.

— Qui sait…

— Pose pas des charades, Gros, c'est pas dans ton style, tranché-je. Si tu as quelque chose à bonnir, déballe-le sans jouer les Harry Baur.

Ça le vexe.

— Le jour où que tu cesserais de me traiter comme un slip, fait-il, je pavoiserais. Le nouveau que j'ai à te causer, c'est grâce à mes dons que je l'ai découvert.

Il boit son deuxième verre. Je me retiens de le houspiller. C'est par le silence qu'on a raison de lui. Je chope un journal qui traînait sur le comptoir et je lis le compte rendu du match Monaco-Nice. Le Mastar me l'arrache des mains avec violence.

— Faut pas charrier, San-A. Je ne suis pas en service. T'es là, tu viens me chercher à mon domicile en pleine télé. Je laisse ma digne épouse se faire calter, par le coiffeur pour te suivre et tout ce que tu trouves c'est de me lire l'Equipe au nez ! Ça se fait pas.

Des larmes d'humiliation noient son regard couleur d'abattoir.

Je lui donne une bourrade.

— Allons, Béru, fais pas ta princesse meurtrie. Raconte…

C'est la bonne pâte à beignet, Bérurier. Toujours partant pour les bons sentiments. Il renifle puissamment et déclare :

— Comme rien ne se passait et que je me faisais tartir chez ton père Morpion, je m'ai mis à investiguer chez lui.

— Et les résultats de tes recherches, cher homme ?

— Voici-voilà, voilà-voici ! annonce-t-il en explorant ses poches.

Il tire une vieille blague à tabac qui sent le port de pêche sous la pluie. Il l'ouvre. La blague contient une photographie pornographique représentant une dame et un monsieur en train de jouer au photographe (c'est la dame qui fait l'appareil), un cure-dents ébréché, une noisette, une pièce de 50 anciens francs, une nouvelle pièce de 50 centimes, une croûte de gruyère et un bouton de braguette. Il continue de gratouiller dans le tabac, et triomphalement, déniche un morceau de ferraille qu'il me tend.

J'identifie une balle écrasée.

— Qué zacco ? lui demandé-je en italien.

— Tu le vois, gars : une prune de 11,37. Elle se trouvait piquée dans le plafond. J'ai cherché à reconstituer la trajectoire et j'y suis z'arrivé. Cette balle a été tirée depuis le consulat. Au passage elle a arraché un morceau, du cadre de la fenêtre. Cette fenêtre devait z'étre ouverte, vu que les vitres n'ont pas tété brisées. Peut-être que la valda a traversé ton prof de parent pauvre avant de se planter dans le plafond. Mais entre nous je ne le pense pas car, selon ma destination personnelle, elle eusse t'été déviée.

Je fais sauter le projectile dans le creux de ma paume.

— Question de vie ou de mort, t'a dit Morpion au téléphone ?

— Yes, Monsieur.

— Je commence à comprendre. Il se tenait à sa croisée et surveillait le consulat à la jumelle. Ceux d'en face l'auront repéré et ont voulu se le farcir. Le tireur l'a raté et Morpion n'a eu rien de plus pressé que de me prévenir.

— Moi, affirme le Gravos, c'eut été à Police-Secours que j'eusse téléphoné.

— Morpion est un homme qui n'a pas les réactions de tout le monde. Donc, il m'a appelé. Pendant qu'il téléphonait ; ceux d'en face sont venus s'assurer qu'il était bien mort.

— Et ils l'ont trouvé vivant !

— Oui. Alors ils ont changé leur revolver d'épaule et ont préféré embarquer le vioque.

Morpion a voulu me prévenir à sa façon. Ne pouvant me laisser un message, subrepticement, il a décroché le balancier de sa pendule.

— Pourquoi ?

— La pendule est à l'origine de tout. C'est parce qu'elle marchait à son retour de l'hôpital qu'il a compris que quelqu'un était venu chez lui. En l'arrêtant ainsi, il pensait me faire comprendre que rien n'allait plus…

Je gamberge un instant. L'explication me parait valable. Jusqu'ici je n'avais pas très bien saisi le coup du balancier, mais maintenant je suis certain d'être sur la bonne voie.

— Pourquoi t'est-ce qu'ils l'ont emmené ? demande le Gros.

— Il est plus facile de trimbaler un type qui se tient à la verticale.

— Ils n'avaient qu'à le laisser sur place.

— Probablement qu'ils en ont jugé autrement. D'ailleurs, je crois piger.

— Mets-moi dans le coup, ronchonne l'Obèse.

— Eh bien ! comme Morpion téléphonait à leur arrivée, ils se sont gaffés qu'il venait de prévenir la police. Cela allait faire du vilain pour eux, car vivant, il témoignait et mort, son cadavre confirmait ses dires. L'unique solution, c'était de le faire disparaitre en vitesse.

Je médite un peu. Morpion a-t-il été abattu dans un coin discret ? C'est probable, et même certain, car ces bons messieurs ne plaisantent pas. La facilité avec laquelle ils butent leur prochain me rend perplexe. Tout me porte à croire qu'en ce moment un coup bizarre et de grande envergure se prépare. Ça urge et ces messieurs n'ont pas le temps de finasser, voilà pourquoi ils abattent les obstacles à coups de pétard. Ils prennent tous les risques comme ces skieurs d'élite qui font joujou avec leurs os pour gagner quelques centièmes de seconde dans la descente.

— Marrant tout de même, cet aller et retour, conclut sa Rondeur.

— Quel aller et retour ?

— Par les fenêtres ! Un coup on tire de chez Morpion dans le consulat, un autre coup du consulat chez Morpion. C'est du pinge-ponge !