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— Je vais faire surveiller discrètement le consulat et la propriété du consul. Quant à vous, restez à votre poste et ouvrez l’œil. Vous devez emmener Son Excellence à une réception m’avez-vous dit ?

— Il paraîtrait. Une réception officielle, m’a dit le secrétaire.

— Je vais me renseigner à ce propos, tranche le Vioque, il est important de contrôler tous les déplacements du consul. Maintenant, nous devons tout prévoir…

Je lève le doigt, comme un écolier qui demande la permission d’y aller.

— Oui ? fait le Dabe.

— À mon avis, Patron, on obtiendrait de meilleurs résultats en embarquant le secrétaire, son garde du corps, la femme blonde et peut-être aussi le consul. Il est facile de les confondre maintenant que nous avons le cadavre de Morpion à leur brandir sous le nez !

Monsieur Chauve-qui-peut donne un petit coup de poing sur sa table.

— Faisons ce que j’ai décidé. Encore une fois, une enquête dans les milieux diplomatiques, demande plus de… diplomatie qu’une autre.

— Parce que vous prenez des gants avec des diplomates qui zigouillent d’honnêtes professeurs et qui font diluer chez eux son cadavre dans la chaux ?

Il se dresse.

— Excusez-moi, San-Antonio, j’ai un rendez-vous.

J’en prendrais bien un pour ses fesses avec mon 42 fillette, mais je suis sûr que ça ne serait pas apprécié dans la maison.

Dans ces cas-là il est préférable de s’aérer les soufflets et d’aller s’humecter le tout à l’égout.

J’y vais.

La journée s’écoule dans le calme. Je vais gratter : la jambe droite, le cou, la joue gauche, la fesse gauche, l’oreille droite, le nez, l’anus, la nuque et les paupières de Pinaud. Le cher Lamentable prend son mal en patience. Il est bien soigné et joue les vedettes.

Avec quelques ménagements je lui apprends la mort de son ancienne secrétaire, mais Pinuche sait accueillir les mauvaises nouvelles quand elles ne le concernent pas étroitement.

— Pauvre Yapaksa, fait-il pour toute oraison funèbre, elle était gentille et ne faisait presque pas de fautes de frappe.

— Se plaignait-elle du cœur lorsqu’elle était à ton service ?

Il réfléchit.

— Je ne crois pas. Quoique… Si, attends, je me souviens qu’un soir, en sortant du bureau, elle a vu un accident et elle a failli s’évanouir. J’ai été obligé de la conduire chez un pharmacien où on lui a administré…

— Les derniers sacrements ?

— Non ! un vulnéraire. Note bien que beaucoup de femmes tournent de l’œil en voyant les accidents…

Je quitte le cher blessé en lui promettant de revenir très bientôt pour un grattage général.

Avant de me rendre à « mon travail », j’ai, avec le célèbre Bérurier, une conversation édifiante.

— Écoute, Gros, ce soir je joue ma carrière à pile ou face, lui dis-je. Si je gagne le coquetier, c’est O.K., sinon demain je cherche une place de veilleur de nuit au Spitzberg où la nuit dure six mois. Je compte sur ton amitié, sur ton audace dantonesque, sur tes qualités intrinsèques (et néanmoins humides) de flic, sur ton esprit et sur ton syndicat d’initiative, sur ta force, sur…

Il balaie son odeur d’ail d’un geste énergique.

— Caresse de chien donne des puces ! coupe l’Ogre. Accouche en direct.

— Ce soir je dois emmener le consul à une réception.

— Alors ?

— En son absence tu vas t’introduire officieusement dans la propriété de Rueil-Malmaison.

— Encore ?

— Mais cette fois tu la fouilleras de fond en comble et tu arrêteras le gorille qui s’y trouve ainsi que le secrétaire.

— T’as dit que je devais m’introduire officieusement ?

— C’est-à-dire sans mandat d’amener et sans faire état de ta qualité de poulaga, tu piges ?

— Et tu veux qu’à moi tout seul j’alpague les habitants ?

— Tu es inspecteur-chef. Prends du monde avec toi. Sonne. Arrête le zig qui t’ouvrira ; poursuis ta route jusqu’à la maison, mets la main sur tout le monde…

— Et ensuite ?

— Au lieu d’embarquer tes prises à la maison bourremen, conduis-les chez moi, à Saint-Cloud, et tiens-les à l’œil jusqu’à mon retour. Fais gaffe car tu le sais maintenant : ce sont des princes de la détente.

— Princes ou pas princes, c’est pas eux qui repasseront Bérurier.

— Alors fais ce que je te dis, gars !

— Et s’il y a du pet ? s’inquiète le Mammouth, je prendrai sur mes doigts ?

— Non, puisque je te couvre.

Il opine.

— Il en sera fait comme suivant vos désirs, Monseigneur !

Satisfait, je bombe sur la banlieue ouest.

Les deux molosses me font le gros circus lorsque je carillonne. J’ai beau regarder, je ne vois plus Mlle Julie ; probable que le gorille l’a jetée à la rue comme une fille perdue qu’elle est. Ça m’étonnerait que ses rejetons soient d’authentiques boxers ; il va y avoir des pétarades dans leur pedigree, moi je vous le dis.

Le costaud patibulaire vient délourder en calmant ses dogues. Je le gratifie d’un salut militaire.

Il hoche la tête sèchement ; aussi liant qu’un ours polaire, ce zigoto.

— Préparez la voiture de maître, m’or-donne-t-il, elle est poussiéreuse…

J’obtempère. Ce carrosse noir est folichon comme un enterrement. Quand on est au volant d’un tel véhicule, on a l’impression de marner pour la R.A.T.P. Je le sors dans le parc et j’entreprends de le fourbir avec la peau d’un chamois défunt.

Les chromes se mettent à briller. C’est vraiment de la tire grand standinge. Je ne voudrais pas partir en vacances avec, mais faut reconnaître qu’elle fait son effet. Lorsque j’ai fini, je m’assieds sur le marchepied pour griller une cigarette. La nuit descend sur le parc. On entend des petits oiseaux dans les arbres. Les étoiles se précisent dans un ciel velouté. Comme l’univers est tranquille lorsque les hommes lui foutent la paix ! Je songe à la carcasse de mon pauvre Morpion. Cet homme paisible a eu une fin trop dramatique décidément. Je le voyais claquer parmi ses chats et ses bouquins, d’une maladie bien longue et bien confortable. Et puis le sort ironique en a décidé autrement.

— Vous êtes prêt ?

C’est le gorille. Il bigle ma cigarette d’un œil hostile.

— J’attends, fais-je en balançant le mégot dans la rosée.

Je me juche sur mon siège et je vais me ranger devant le perron. J’ai le cœur qui pilpate. Enfin je vais donc le connaître ce satané consul ! Je descends de la guinde afin d’ouvrir la portière arrière, casquette en main, figé dans un garde-à-vous qui filerait la colique verte à un soldat de plomb. Deux silhouettes apparaissent sur le perron. L’une est mon petit camarade Wadonk Hétaurdu, impec dans un uniforme vert-olida à brandebourgs et épaulettes d’or ; l’autre c’est la femme blonde que j’ai aperçue à la fenêtre.

Cette dernière retient toute mon attention. Elle porte une robe de soirée blanche, ornée d’une rose en or massif. Elle est belle et triste. Sous son maquillage on voit qu’elle a les traits tirés et les yeux violemment cernés. Sa chevelure blonde est légèrement cendrée. C’est une personne d’une trentaine d’années, un peu large des hanches et des chevilles pour mon goût personnel (et difficile) mais pleine d’un charme émouvant. Elle monte à l’arrière de la bagnole. Au passage elle me lance un regard intense et plus profond qu’un puits de mine. Hétaurdu monte à sa suite. Je marque un léger temps d’incertitude.