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Mais je ne lui laisse pas le temps de poursuivre. J’ai déjà raccroché, je cavale dans le bistrot, je saute sur le chauffeur de l’Ambassade marocaine.

— Sais-tu si l’ambassadeur d’U.R.S.S. assiste à la soirée de l’Élysée ?

— Cette c… erie ! gouaille-t-il, elle est donnée en son honneur !

Je prends un autre jeton à la caisse et je retourne au téléphone. Cette fois c’est le Vieux que je sonne.

— Quoi de neuf, San-Antonio ? Vous ne vous êtes livré à aucune initiative fâcheuse, j’espère ?

— Écoutez-moi, tonnerre de m… ! je hurle. D’une seconde à l’autre on va assassiner le président de la République et le ministre des Affaires étrangères russe.

— Si c’est une plaisanterie, San-Antonio…

— Le drame a peut-être eu lieu à la seconde où je vous parle, Patron. Il faut donner immédiatement des ordres pour qu’on arrête en pleine réception le secrétaire du consulat, lequel représente le consul à la soirée. C’est lui qui doit perpétrer ce vilain coup. Que l’arrestation ait lieu tout de suite, vous m’entendez ? Tout de suite. Et en souplesse !

Je raccroche, épuisé, ruisselant de sueur.

— T’en as une mine, mon pote ! remarque mon « confrère » chauffeur. T’as mangé des moules pas fraîches ou quoi ?

— Servez-moi un scotch ! enjoins-je au garçon. Dans un grand verre, c’est pour un malade !

Une demi-heure plus tard, me voilà dans le poste de garde de l’Élysée. Croyez-moi si vous voudrez, comme proclame Béru, mais le Vieux s’y trouve aussi. Parfaitement, le Tondu s’est déplacé pour la circonstance, vu la gravité du cas. Tiens : il sait donc qu’il existe des rues, des arbres, d’autres gens que des poulets au garde-à-vous !

Il vient à moi, me saisit aux épaules et, théâtralement, devant toute la poulaille, me donne l’accolade.

— Le voici, messieurs, dit-il, celui qui a su éviter le désastre. Mon cher San-Antonio, je peux vous assurer d’ores et déjà que votre nomination au grade de commissaire principal ne saurait tarder. Dès demain, M. le ministre de l’intérieur sera saisi de ma demande et…

Il est gentil de me faire la bise, le Vieux. Je lui raconte pour le calmer de quelle manière je lui ai désobéi. Ça le vexe à peine. Il a frisé la catastrophe, lui qui n’a pas un cheveu sur le dôme et il en frissonne encore.

— Regardez ce qu’on a trouvé sur lui !

Il sort un pistolet mitrailleur chargé jusqu’à la gueule avec des prunes qui guériraient la migraine d’un troupeau d’éléphants.

— Que dit Hétaurdu ?

— Rien. Et il ne parlera pas.

— Et la femme ?

— Elle est ici. C’est la femme du consul. Elle réclame son enfant. Ces terroristes l’ont kidnappé pour faire pression sur elle et l’avoir à merci.

— Rassurez-la, je sais où il est.

— Moi aussi, je sais où il est, dit sentencieusement le Dabuche.

Ne lui faisons pas perdre la face : je retiens le rire sarcastique qui me coince les maxibules.

— Tu paies la croque ? demande Béru.

Il ajoute, un brin jaloux :

— Quand on va z’être promu commissaire principal, on peut se fendre d’un gueuleton envers un suborné.

— O.K., fils, je t’invite au restaurant alabanien de la place Péreire.

— J’en ai soupé de l’Alabanie !

— Tu en as soupé mais pas encore déjeuné, lui dis-je avec une extrême finesse car je suis dans une forme époustouflante.

Il en rit. Béru n’a pas besoin de Vermot pour se dilater la rate ; mes saillies lui suffisent.

Dans l’escalier nous croisons le Vieux.

— Tout va bien, me dit-il, Mme la femme du consul a récupéré son hoir et va rentrer en Alabanie. La blessure du professeur Maupuy est en bonne voie et… il fait soleil. Où allez-vous ?

— Au restaurant alabanien de la place Péreire. Si le cœur vous en dit, Boss ?

— Hélas, je n’ai pas le temps.

C’est fête au village ce matin. Il y a de l’allégresse dans l’air et de la négresse sur les trottoirs de la rue Caumartin.

— Pourquoi t’est-ce que tu tiens à aller là-bas ? s’informe Béru.

Et comme je m’abstiens d’éclairer sa lanterne, il ajoute :

— À cause du décès de la gosse, hein ? Ça te tracasse, reconnais ?

— Je reconnais.

On se commande une jaffe pantagruélique. Béru prend des prépuces de crabe frits à l’ail comme entrée, de la tête d’âne gris aux haricots rouges, comme plat de résistance ; et une soupe gratinée avec du sucre en poudre pour dessert.

— Excuse-moi un moment, Bibendum, lui dis-je ; je vais me laver les pognes.

— Moi z’aussi faut que j’aille pisser ! décide-t-il.

Nous gagnons les toilettes. Béru pénètre dans les toilettes messieurs, vu que sa maman lui a fourni tous les accessoires l’autorisant à y pénétrer. Je l’attends en discutant le bout de gras avec la vestiaireuse. Elle me reconnaît et paraît gênée. C’est un petit être obscur. On se demande comment ça vit, ces trucs-là. Je la fixe intensément, et, plus je la regarde, plus elle se trouble. Plus elle se trouble, plus moi je la regarde, si bien que c’est à se demander si l’un de nous deux va pas faire explosion, comme ce pauvre caméléon qui s’était installé sur un kilt.

J’attaque enfin.

— Ça n’a pas l’air de carburer, douce amie…

— Mais, pourquoi, je…

— Si, si. Et si vous voulez le fond de ma pensée, vous avez la conscience en berne.

Son regard devient humide.

Je revois la scène de l’avant-veille (qui tombait le lendemain du jour d’avant par un hasard extraordinaire).

Tandis que j’enfilais mon imper, la gosse Yapaksa se rendait aux toilettes. À ce moment-là, la dame du vestiaire lui a dit quelque chose… Ç’a été si rapide que je n’y ai pas pris garde.

— Qu’avez-vous dit à la jeune fille ?

J’ai parlé sourdement, en fait c’est presque à moi que j’ai posé la question. Elle pâlit.

— Mais…

— Ne cherchez pas à me pigeonner, sinon vous la sentirez passer…

— Je vous avais reconnu, dit-elle…

— Comment cela, reconnu ?

— J’ai été serveuse au café qui se trouve en face de vos locaux.

— Et alors ?

— J’ai cru que vous filiez la jeune fille. Elle venait quelquefois, nous bavardions ; elle m’était sympathique.

— Continuez…

— Je lui ai dit de prendre garde.

Je respire profondément pour stabiliser mes soufflets oppressés.

— Quelles ont été vos paroles exactes ?

— Je m’excuse, mais…

— Répétez-les, tonnerre de Dieu !

Elle bredouille :

— Je lui ai dit « Faites attention à ce type-là, ça n’est pas du tout qui vous croyez ». Je suis navrée… Franchement, je pensais qu’elle avait fait quelque chose de répréhensible et que vous…

— Vous l’avez tuée, murmuré-je.

— Comment !

— Vous ne pouvez pas comprendre. Elle était cardiaque…

— Mais…

— Et elle savait qui j’étais. En lui affirmant que je n’étais pas cela, elle a cru que j’appartenais à la bande.

Je me tais. Pas besoin de donner d’explications à cette vieille toile d’araignée moisie. Yapaksa avait déjà eu une terrible émotion au début de l’après-midi. Lorsque cette chaussette hors d’usage lui a dit que je n’étais pas qui elle croyait, elle a cru que… Bon voilà que je me répète, excusez-moi : c’est l’émotion. Notez qu’avec un palpitant en sucre elle ne devait pas battre le record du monde détenu par Mathusalem, Yapaksa. Mais tout de même !