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— Celles qui donneront les mauvaises réponses seront mises à la question, et celles qui donneront les bonnes pourront racheter un peu leur traîtrise en pourchassant les Noires sous notre direction.

Par la Lumière, comment ?

Quand elle eut terminé, les autres discutèrent longtemps de l’affaire, ce qui signifiait que Saerin ne savait pas quelle décision prendre. Yukiri insista pour livrer immédiatement à la loi Zerah et ses acolytes – si c’était possible sans révéler leur propre situation à l’égard de Talene. Pevara argumenta en faveur de l’utilisation des rebelles, quoique sans conviction ; la discorde qu’elles semaient autour d’elles se centrait sur d’ignobles histoires concernant l’Ajah Rouge et les faux Dragons. Doesine semblait d’avis de kidnapper toutes les sœurs de la Tour et de leur faire prêter le serment supplémentaire, mais les trois autres ne lui accordèrent que peu d’attention.

Seaine ne prit pas part à la discussion. Sa réaction à leur situation délicate était la seule possible, pensait-elle. Titubant jusqu’au coin le plus proche, elle vomit bruyamment.

* * *

Elayne s’efforça de ne pas grincer des dents. Dehors, un nouveau blizzard fouettait Caemlyn, assombrissant tellement le ciel de midi que toutes les lampes disposées autour du salon lambrissé étaient allumées. De violentes rafales secouaient les fenêtres percées dans les hautes arches. Des éclairs illuminaient les vitres et les roulements assourdis du tonnerre grondaient au-dessus des têtes. Tonnerre et neige, la pire tempête hivernale. La pièce n’était pas spécialement froide, mais… Tendant les mains vers les bûches crépitant dans la vaste cheminée de marbre, elle sentait quand même le froid monter des tapis déployés sur les dalles, pénétrant ses épaisses pantoufles de velours. Le large col et les manchettes de renard noir qui ornaient sa robe rouge et blanc ne lui procuraient pas plus de chaleur que les perles brodées sur ses manches. Résister au froid ne signifiait pas pour autant qu’elle y était indifférente.

était Nynaeve ? Et Vandene ? Ses pensées grondaient comme l’orage. Elles devraient déjà être ici ! Par la Lumière ! Je voudrais apprendre à me passer de sommeil, et elles, elles lambinent ! Non, c’était injuste. Sa revendication du Trône du Lion ne datait que de quelques jours, et pour elle, tout devait passer au second plan pour le moment. Nynaeve et Vandene avaient d’autres priorités ; d’autres responsabilités, de leur point de vue. Nynaeve était plongée jusqu’au cou dans les projets qu’elle faisait avec Reanne et le reste du Cercle du Tricot, pour faire sortir les Femmes de la Famille des territoires contrôlés par les Seanchans avant qu’elles ne soient découvertes et mises à la laisse. Les Femmes de la Famille avaient l’habitude de garder profil bas, mais les Seanchans ne les dédaigneraient pas comme des Irrégulières, ainsi que l’avaient toujours fait les Aes Sedai. Vandene était toujours ravagée par le meurtre de sa sœur, mangeant à peine et incapable de donner quelque conseil que ce soit. La recherche du meurtrier l’obsédait. Arpentant les couloirs à des heures indues, apparemment plongée dans son chagrin, elle pourchassait secrètement les Amies du Ténébreux qui pouvaient se trouver parmi elles. Trois jours plus tôt, cette seule pensée aurait fait frissonner Elayne ; maintenant, c’était un danger de plus parmi beaucoup d’autres.

Elles effectuaient des tâches importantes, approuvées et encouragées par Egwene, qui souhaitait malgré tout qu’elles se dépêchent. Vandene était pleine de bons conseils, grâce à de longues expériences et études, et les années que Nynaeve avait passées à traiter avec le Conseil du Village et le Cercle des Femmes au Champ d’Emond lui donnaient un jugement pénétrant pour la politique, malgré ses dénégations. Que je sois réduite en cendres, mais j’ai cent problèmes à traiter, dont certains dans ce palais même, et j’ai besoin d’elles ! Si elle pouvait faire à sa guise, Nynaeve al’Meara serait l’Aes Sedai conseillère de la prochaine Reine d’Andor. Elle avait besoin de toute l’aide qu’elle pouvait trouver et en qui elle avait toute confiance.

Le visage détendu, elle se détourna du brasier flambant dans l’âtre. Treize hauts fauteuils, sculptés simplement mais finement, étaient disposés en fer à cheval devant la cheminée. Paradoxalement, la place d’honneur, où s’asseyait la Reine quand elle recevait dans cette pièce, était la plus éloignée du feu. Son dos se réchauffa immédiatement, et son torse se refroidit. Dehors, la neige tombait, le tonnerre grondait, les éclairs fulguraient. Dans sa tête également. Du calme. Une souveraine en avait autant besoin que toute Aes Sedai.

— Ce sont sans doute les mercenaires, dit-elle, sans parvenir tout à fait à contenir ses regrets.

Les hommes d’armes de ses domaines commenceraient sûrement à arriver d’ici un mois – dès qu’ils sauraient qu’elle était vivante – mais il faudrait attendre le printemps avant qu’ils soient en nombre important ; et les hommes que Birgitte recrutait auraient besoin des six mois ou plus avant d’être capables à la fois de chevaucher et manier l’épée.

— Et les Chasseurs en Quête du Cor, si certains acceptent de s’engager et de jurer allégeance.

Recrues et Chasseurs étaient nombreux à Caemlyn, piégés par le mauvais temps. Trop nombreux, disaient la plupart des gens, toujours à faire la noce, se bagarrer et importuner les femmes qui rejetaient leurs avances. Au moins, elle les emploierait au maintien de l’ordre. Elle aurait aimé ne pas penser qu’elle s’efforçât encore de s’en convaincre.

— Coûteux, mais le trésor public couvrira les dépenses.

Les couvrirait un certain temps. Il faudrait qu’elle commence bientôt à encaisser les revenus de ses domaines.

Merveille des merveilles, les deux femmes debout devant elle réagirent de la même façon.

Dyelin émit un grognement irrité. Pour seul bijou, une grosse broche ronde en argent, gravée du Chêne et de la Chouette de Taravin, fermait le haut col de sa robe vert foncé. Une manifestation de fierté de sa Maison, le Haut Siège de la Maison de Taravin était d’ailleurs une femme fière. Quelques fils gris striaient ses cheveux d’or, et de fines pattes-d’oie entouraient ses yeux. Mais elle avait le visage ferme, le regard incisif et direct. Son esprit était acéré comme un rasoir. Ou une épée. Cette femme qui avait son franc-parler, du moins le semblait-il, ne cachait pas ses opinions.

— Les mercenaires connaissent leur travail, Elayne, dit-elle avec dédain, mais ils sont difficiles à contrôler. Quand il faut agir avec la légèreté d’une plume, ils sont capables de frapper comme un marteau, et quand on a besoin d’un marteau, ils risquent d’être occupés ailleurs, et de piller en prime. Ils sont fidèles à l’or, et seulement tant qu’il dure. S’ils ne commencent pas par trahir pour de l’or. Je suis sûre que pour cette fois, Dame Birgitte sera d’accord avec moi.

Pieds écartés fermement plantés sur le sol dans ses bottes à talons hauts, bras étroitement croisés, Birgitte grimaça, comme toujours quand quelqu’un la gratifiait de son nouveau titre. Elayne lui avait donné un domaine dès qu’elles étaient arrivées à Caemlyn, où il serait enregistré. En privé, Birgitte ronchonnait sans discontinuer au sujet de ce cadeau et de l’autre changement survenu dans sa vie. Ses chausses bleu ciel étaient de la même coupe que ses chausses habituelles, bouffantes et resserrées aux chevilles, mais sa courte tunique rouge avait un haut col et de larges manchettes blanches rayées d’or. Elle était Dame Birgitte Trahelion et Capitaine-Générale de la Garde de la Reine, et elle pouvait ronchonner tant qu’elle voulait pourvu que ce fût en privé.

— Je suis d’accord, gronda Birgitte à contrecœur, lançant à Dyelin un regard foudroyant.