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Ils sortirent tous deux suivis silencieusement des yeux par les autres. Puis le baron Hubert eut un petit rire.

— Aimez-vous toujours la vieille prune, Bois-Tracy ?

— La vôtre est inoubliable !

— Alors, je vais en faire porter dans la bibliothèque ! Elle nous aidera à supporter l’attente !

— L’attente ? Vous pensez qu’elle...

— Pourrait être un brin longuette ? Mon cher, cela fait quinze jours que nos tourtereaux n’ont quitté leur chambre que pour les repas... et encore pas régulièrement ! Alors, la première séparation !...

— On ira un peu plus vite, voilà tout ! fit le jeune homme avec philosophie. Il est vrai, ajouta-t-il plus bas comme pour lui-même, qu’elle est bien belle !

En effet, deux heures s’écoulèrent avant que le pont dormant du château retentisse sous les sabots des chevaux lancés au galop...

Quand vint l’heure du souper, ni Clarisse ni Hubert n’espéraient la présence de Lorenza qu'ils imaginaient écroulée sur son lit et pleurant toutes les larmes de son corps. Pourtant, elle les rejoignit ponctuellement, tirée à quatre épingles et souriante.

— Alors, père, dit-elle. Comment vont les orangers ?

Soudain rayonnant, il lui prit le bras pour la conduire à table.

— Nous verrons cela demain, mon petit ! Nous verrons cela demain...

Décidément, elle était de bonne race...

La vie reprit à Courcy comme avant le mariage, à cette différence près que la neige, revenue après une courte trêve, isolait à nouveau les châteaux, incitant leurs habitants à rester chez eux. Ce qui n’était pas sans charme. Comme on n’attendait pas de visites, on fermait les portes qui commandaient l'enfilade des salons pour se réunir dans la librairie où un feu d’enfer flambait dans la cheminée. Clarisse brodait tandis que son frère complétait la culture de Lorie - tous deux avaient adopté le tendre diminutif ! - en lui faisant lire les bons auteurs et, ensuite, en discutant sujet et tournure à longueur de temps, alternant disputes et chœurs laudatifs pour le plus grand amusement de la brodeuse. Il arrivait même que l’on se fît servir sur place. Les mets arrivaient alors des cuisines sur des chauffe-plats véhiculés par des laquais emmitouflés de cache-nez et autres lainages pour éviter d’attraper froid. Les châtelains tenaient essentiellement à ce que leur personnel n’eût pas à souffrir des intempéries. Ils bénéficiaient en outre de multiples centres de chaleur entre les cuisines et offices pour les serviteurs et la vaste salle des gardes pour ces derniers.

Le seul inconvénient était que les nouvelles ne passaient pas. On en avait un peu par Chantilly mais rarement, la duchesse Diane étant à Paris - pas fameuse depuis quelque temps, l’atmosphère de la Cour devenait, paraît-il, irrespirable! -, et aucune des pourparlers de Bruxelles. On savait seulement que le marquis de Praslin et ses deux anges gardiens étaient arrivés à bon port.

Pour sa part, Lorenza s’attardait volontiers dans la chambre où elle avait vécu tant d’heures délicieuses dans les bras de Thomas. Elle paraissait immense à présent que son corps vigoureux, sa voix chaude et son rire sonore l’avaient désertée. La jeune femme s’étendait sur le lit pour retrouver son odeur, ou s’asseyait devant la table à coiffer dont le miroir avait reflété bien des caresses quand il la déshabillait lentement. Ou bien elle méditait face au feu, assise sur la peau d’ours qui les avait accueillis à plusieurs reprises... C’étaient des moments doux et torturants à la fois où elle pouvait mesurer à quel point elle aimait son époux. Elle s'efforçait alors de repousser loin d’elle la terreur que lui avait inspirée le billet reçu la veille de son mariage parce qu’elle savait maintenant que, si elle le perdait, elle ne pourrait lui survivre. Péché ou pas, elle se donnerait la mort... mais non sans avoir abattu l’assassin de sa propre main !

Enfin, la vague de froid disparut, relayée par une pluie battante qui transforma la neige et le verglas en boue, et les communications reprirent avec la Cour. Cependant, personne ne bougea.

— Attendons que ça sèche ! commenta le baron. Il faut avoir à dire quelque chose de très important pour accepter de s'enfoncer dans la gadoue jusqu’aux yeux !

Ce qui ne l’empêchait pas de rejoindre régulièrement sa chère orangerie botté jusqu’au ventre, affublé d’une sorte de poncho en forte toile, d’un bonnet de laine épaisse et appuyé sur une canne pour éviter de glisser. Des gants de gros cuir protégeaient ses mains qu’il avait fort belles et dont il prenait grand soin. C’était sa coquetterie à lui évidemment mise à mal par la fréquentation des rosiers.

Et puis, un beau matin, le soleil revint. Arriva aussi un cavalier arborant les couleurs de la Reine - le bleu et le blanc ! - et porteur d’un message pour la baronne de Courcy. Il émanait du Surintendant de la maison de la souveraine, ce Sébastien Zamet, banquier florentin richissime, fort ami du Roi de surcroît bien que ce fût chez lui que la belle Gabrielle d’Estrées eût pris son dernier repas[1]. L’homme repartit d’ailleurs sans attendre la réponse après avoir avalé la bolée de vin chaud qu’on lui offrit.

Pendant ce temps, Lorenza tournait et retournait entre ses doigts le rouleau de parchemin scellé aux armes de France sans se résoudre à en faire sauter le cachet.

— Eh bien, qu’attendez-vous ? S’impatienta sa nouvelle tante qui mourait de curiosité. On dirait que cela vous fait peur?

— Mais j'ai vraiment peur ! La Reine m'a détestée dès notre rencontre à Fontainebleau et je n’ai jamais eu d’elle que de mauvais procédés. Tenez ! ajouta-t-elle en lui tendant l’objet, lisez à ma place. Moi je vais m’asseoir !

— Vous craignez de vous évanouir ?

— Avec elle, qui peut savoir !

— Cela a tout l’air d’un document officiel ! dit Clarisse en faisant sauter le sceau d’un doigt rapide. Elle le lut ensuite - le texte était assez bref - puis le rendit à la jeune femme : C'en est un en effet ! Un brevet qui vous incorpore à l’escadron des dames de Sa Majesté !

— Moi ? Que je... Jamais de la vie ! Je ne veux pas y aller !

Cette fois, Clarisse n’avait plus envie de rire. Elle alla s’asseoir près de Lorenza dont elle prit la main.

— Je crains que vous n’ayez pas le choix, mon petit ! On ne vous demande pas votre avis et vous devez obéir. En vous montrant convenablement reconnaissante par-dessus le marché !

— Mais je peux être malade ? Sa grosse Majesté redoute d’approcher les porteurs du moindre bobo comme s'ils avaient la peste, la lèpre ou le choléra !

— A moins d’être à l’agonie, cela vous fera gagner quelques jours mais pas davantage ! Si elle vous veut chez elle, soyez sûre qu'elle vous enverra chercher !

— Mais enfin pourquoi ? Elle a tout fait pour me détruire. Elle avait même refusé ma grâce quand on m’a condamnée. En outre, elle a auprès d’elle Honoria que je me refuse désormais à appeler ma tante !

Clarisse reprit la lettre, la relut puis soupira.

— J’aurais dû y penser plus tôt. Ce n’est pas à vous, en tant que Lorenza, que s’adresse cette nomination... contresignée en outre par le Roi...

— Le Roi ? Il sait pourtant bien...

— Rien du tout ! Il s’est conformé à la tradition et moi j’aurais dû y réfléchir plus tôt. Les baronnes de Courcy ont, depuis Louis VII et Aliénor d’Aquitaine que la dame de Courcy d’alors a sauvée de la mort, le privilège inaliénable d’entrer au service d’honneur de la reine de France. Votre défunte belle-mère, cette charmante Claire, a servi Catherine de Médicis et Louise de Vaudémont, l’épouse d’Henri III, jusqu’à ce qu’une maladie l’emporte. Mme de Guercheville, la dame d’honneur de Marie, l’a bien connue... Et dites-vous bien que vous ne serez pas au dernier rang : si nos ancêtres n’avaient pas tenu aussi obstinément à leur titre de baron vous devriez être duchesse ! Mon frère vous en dira tout autant. Plus peut-être. Il est tellement fier de ses ancêtres !